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Il pénétra dans la cour d’un grand hôtel qui réussissait à avoir l’air à la fois coûteux et assez mal entretenu. Des jardiniers en tenue de couleur terne occupés à débarrasser de ses feuilles la surface d’une vieille piscine le suivirent du regard comme s’il n’avait aucun droit de se trouver là.

On était en train de repeindre le porche menant au hall d’entrée, et il dut faire un détour pour y accéder. Les peintres employaient une peinture de qualité volontairement inférieure et fabriquée selon une recette très ancienne ; elle était assurée de pâlir, de se craqueler et de se décoller de la manière la plus authentique, et cela dans les deux ans.

Le grand hall regorgeait d’ornements. L’homme tira sur une grosse corde violette qui pendait près de la réception. L’employé fit son apparition, souriant.

— Bonjour, monsieur Staberinde. Avez-vous fait une agréable promenade ?

— Oui, je vous remercie. Faites-moi monter mon petit déjeuner, voulez-vous ?

— Tout de suite, monsieur.

« Solotol est une cité composée d’arcades et de passerelles, où escaliers et trottoirs serpentent entre de hauts immeubles, s’élancent au-dessus de cours d’eau et de caniveaux en pente raide, sur de fins ponts suspendus et de fragiles arches de pierre. Les routes y coulent le long des rivières et, décrivant des boucles, s’enfoncent sous elles ou au contraire les survolent ; les chemins de fer s’y déploient en un enchevêtrement de voies et de passages à niveau, et s’en vont tourbillonnant à travers un vaste réseau de tunnels et de grottes où convergent les routes et les réservoirs souterrains ; de la fenêtre de leur train lancé à toute vitesse, les passagers peuvent admirer les galaxies de lumières reflétées par des étendues d’eau sombre que traversent les plans inclinés des funiculaires souterrains, les jetées et les accès des routes en sous-sol. »

Assis dans son lit, ses lunettes posées sur l’oreiller voisin, il prenait son petit déjeuner tout en regardant, sur l’écran de sa suite, la cassette vidéo de présentation proposée par l’hôtel. L’antique téléphone se mit à sonner et il baissa le son.

— Allô ?

— Zakalwe ? fit la voix de Sma.

— Ça alors, vous êtes encore là ?

— Sur le point de quitter notre orbite.

— Eh bien, ne vous mettez pas en retard pour moi.

Il fouilla dans sa poche de poitrine et en retira la perle-terminal.

— Pourquoi par téléphone ? Mon transcepteur a rendu l’âme, ou quoi ?

— Non, non ; je voulais juste m’assurer qu’on pouvait se connecter sans problème au réseau téléphonique.

— Parfait. Et c’est tout ?

— Non. Nous avons localisé Beychaé avec davantage de précision. Il se trouve toujours à l’université de Jarnsaromol, mais dans l’annexe Quatre de la bibliothèque. Qui se trouve à une centaine de mètres au-dessous du niveau de la ville ; c’est l’entrepôt protégé le mieux protégé de l’université. Parfaitement sûr dans des circonstances optimales, sans compter qu’on y a posté des gardes ; encore qu’il ne s’agisse pas réellement de militaires.

— Mais où habite-t-il ? Où dort-il ?

— Dans les appartements du conservateur, mitoyens de la bibliothèque.

— Est-ce qu’il remonte parfois à la surface ?

— Pas à notre connaissance, non.

Zakalwe émit un sifflement.

— Ma foi, on verra bien si ça pose problème ou non.

— Et de ton côté, comment ça se passe ?

— Très bien, répondit-il en mordant dans une sucrerie. J’attends simplement l’ouverture des bureaux ; j’ai laissé un message pour les avocats, leur demandant de me rappeler. Ensuite, je commencerai à mettre un peu d’agitation.

— Parfait. Il ne devrait pas y avoir de problèmes de ce côté-là ; les instructions nécessaires ont été données et tu devrais normalement recevoir ce que tu demandes. En cas de difficulté quelconque, prends contact avec nous et nous expédierons illico un câble indigné.

— Au fait, Sma, je me demandais… Quelle est la taille de cet empire commercial régi par la Culture dont tu m’as parlé, cette Corporation Avant-garde…

— Fondation Avant-garde. Eh bien, plutôt étendu.

— D’accord, mais pourrais-tu être plus précise ? Jusqu’où puis-je aller ?

— Eh bien, n’achète rien de plus gros qu’un pays. Écoute, Chéradénine ; une fois que tu auras commencé à « mettre un peu d’agitation », comme tu dis, tu peux te montrer aussi extravagant qu’il te plaira ; tout ce qui compte, c’est de faire sortir Beychaé de son trou. Et vite.

— Bon, bon, d’accord.

— Nous sommes sur le départ, mais nous gardons le contact. Et n’oublie pas : nous sommes là pour t’aider en cas de besoin.

— Ouais. Salut.

Il raccrocha et remonta le son de l’écran.

« Des grottes naturelles ou artificielles sont disséminées dans la paroi rocheuse du canyon, presque aussi abondantes que les constructions peuplant les pentes de la surface. C’est là que se trouvent nombre des anciennes sources d’énergie hydroélectrique de la ville qui, creusées à même le roc, continuent à faire entendre leur bourdonnement. Quelques petites fabriques et ateliers ont survécu, à l’abri des regards, entre falaises et blocs d’argile schisteuse ; seules leurs cheminées courtaudes affleurant à la surface du désert révèlent leur emplacement. Ce fleuve vertical de chaudes émanations vient en contrepoint du réseau d’égouts et de drains qui, à l’occasion, remonte lui aussi jusqu’à la surface, et dont les nervures complexes s’insèrent dans le tissu urbain proprement dit. »

Le téléphone sonna.

— Allô ?

— Monsieur… euh, monsieur Staberinde ?

— Lui-même.

— Ah oui. Bonjour. Je m’appelle Kiaplor, de…

— Ah ! Les avocats.

— C’est cela. Je vous remercie pour votre message. J’ai ici un câble vous garantissant un accès illimité au revenu et aux valeurs de la Fondation Avant-garde.

— Je suis au courant. Et vous vous en réjouissez, n’est-ce pas, monsieur Kiaplor ?

— Euh… Je…, mais certainement. Ce câble donne tous les éclaircissements nécessaires… encore que ce degré de crédit personnel soit absolument sans précédent, étant donné le volume du compte concerné. Notez que la Fondation Avant-garde ne s’est jamais comportée de manière bien conventionnelle.

— Bien. En premier lieu, je voudrais disposer de fonds suffisants pour couvrir la location de deux étages à l’Excelsior pour une durée de deux mois, à virer sans attendre sur le compte de l’hôtel. Ensuite, je vais devoir faire quelques achats.

— Ah… bon. Par exemple ?

Zakalwe s’essuya les lèvres avec sa serviette.

— Eh bien, pour commencer, il me faut une rue.

— Une rue ?

— Oui. Rien de trop ostentatoire, et elle n’a pas besoin d’être très longue. Mais j’ai besoin d’une rue entière, pas trop loin du centre-ville. Vous croyez que vous pourriez vous mettre tout de suite à la recherche d’une rue qui convienne ?

— Euh… Eh bien ma foi, nous pouvons toujours entreprendre les recherches, oui. Je…

— Parfait. Je vous rappelle à vos bureaux dans deux heures ; je souhaite me trouver à ce moment-là en mesure de prendre une décision.

— Dans deux… ? Euh… eh bien, euh…

— La rapidité est essentielle, monsieur Kiaplor. Mettez vos meilleurs éléments sur l’affaire.