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Il partit en quête de sens et ne trouva que des cendres. Où ai-je mal ? Eh bien, là, justement. Un pavillon d’été en ruine, éventré, calciné. Pas trace de chaise.

Parfois, et c’était le cas à présent, la banalité de tout cela lui coupait le souffle. Il fit une pause pour vérifier, car il y avait des drogues qui vous faisaient cet effet-là : elles vous coupaient le souffle. Mais non, il respirait toujours. Son organisme était probablement équipé pour maintenir cet état de fait quoi qu’il arrive, mais la Culture (que le Chaos la bénisse deux fois !) l’avait pourvu d’un programme complémentaire, pour ne rien laisser au hasard. C’était de la triche, pour ces gens (il vit la fille en face de lui et la contempla à travers des paupières plus qu’aux trois quarts closes qu’ensuite il referma hermétiquement), mais après tout, tant pis ; il leur avait rendu un service, même s’ils n’en prenaient pas toute la mesure, et c’était maintenant à leur tour de faire quelque chose pour lui.

Mais dans de nombreuses civilisations, comme le lui avait fait un jour remarquer Sma, le trône était le symbole ultime. Siéger en pleine gloire, voilà la plus haute expression du pouvoir. Tout le reste vient alors à vous bien bas, souvent courbé en deux, reculant fréquemment et quelquefois à plat ventre (bien que ce soit invariablement mauvais signe, à en croire les sacro-saintes statistiques de la Culture) ; et siéger, perdre un peu de son animalité par la grâce de cette posture non sollicitée d’un point de vue évolutionniste, c’était avoir le pouvoir d’utiliser.

Il existait quelques petites civilisations – à peine plus que des tribus, avait dit Sma – où l’on dormait assis, dans des fauteuils à dormir spécialement conçus à cet effet, car on croyait que s’allonger c’était mourir (ne trouvait-on pas les morts immanquablement étendus ?).

Zakalwe (était-ce vraiment là son nom ? Il rendait subitement un son étrange et étranger dans son souvenir), Zakalwe, disait Sma, j’ai visité un endroit (comment en étaient-ils arrivés là ? Qu’est-ce qui avait bien pu le pousser à lui parler de cela ? Avait-il bu ? Baissé sa garde, encore une fois ? Sans doute avait-il tenté de séduire Sma et fini sous la table, comme d’habitude), Zakalwe, j’ai un jour visité un endroit où l’on exécutait les gens en les faisant asseoir sur une chaise. Ce n’était pas de la torture – qui n’a rien que de très banal ; chaises et lits étaient la règle lorsqu’il s’agissait de réduire les gens à l’impuissance et de les immobiliser, de leur infliger des souffrances ; non, la chaise en question était prévue pour tuer celui qui s’y asseyait. Pour cela – crois-moi si tu le peux – deux méthodes : soit on les gazait, soit on faisait circuler dans leur corps des courants électriques à voltage très élevé. Une boulette jetée dans un récipient caché sous le siège, sorte de parodie grotesque de la chaise percée, produisait un gaz mortel ; ou bien on les coiffait d’un casque avant de leur plonger les mains dans un quelconque liquide conducteur afin de leur griller le cerveau.

Et tu veux savoir le plus fort ?

Mais oui, Sma, vas-y, dis-moi le plus fort.

Ce même état avait une loi qui interdisait (et je cite !) « les châtiments cruels et inusités » ! Tu te rends compte ?

Il se mit à décrire des cercles autour de la planète, si loin de tout cela.

Puis il descendit en piqué vers la surface, fendant l’air jusqu’au sol.

Il y trouva l’enveloppe vide d’une demeure qui ressemblait à un crâne oublié ; il y trouva le pavillon d’été en ruine, comme un crâne éclaté. Il y trouva le bateau de pierre, image désertée d’un crâne. C’était un faux. Jamais il n’avait navigué.

Il vit un autre vaisseau, un navire ; cent mille tonnes de potentiel destructif figé dans la représentation desséchée de sa propre désuétude, tendu vers l’extérieur par toutes ses couches hérissées : primaire, secondaire, tertiaire, antiaérienne, restreinte…

Il décrivit un cercle puis tenta une approche, visa sa cible…

Mais il y avait trop de couches ; elles eurent raison de lui.

Il fut rejeté vers l’extérieur et dut encore une fois se contenter de tourner autour de la planète ; et ce faisant, il vit la Chaise, et le Chaisier – mais pas celui auquel il avait pensé jusqu’alors. L’autre Chaisier, le vrai, celui à qui il devait constamment revenir, à travers tous ses souvenirs – dans toute sa splendeur horrible.

Mais il y avait des choses par trop insoutenables.

Des choses qu’on ne pouvait décidément pas supporter.

Maudits, maudits soient les autres. Maudit soit le fait qu’on doive exister à côté d’eux.

Mais revenons à la fille. (Pourquoi fallait-il donc qu’il y ait les autres ?)

Peut-être n’avait-elle en effet que peu d’expérience en tant que guide, mais, de par le fait même qu’il était étranger, c’était à elle qu’on avait confié le sort de l’homme : on la considérait comme la meilleure de ceux qui n’avaient pas encore été mis à l’épreuve. Mais elle allait leur montrer. Après cela, peut-être penserait-on déjà à elle pour les Matriarques.

Un jour elle serait à leur tête. Elle le sentait jusque dans ses os. Ces os qui lui faisaient mal quand elle voyait un enfant tomber ; la douleur qu’elle ressentait dans ses os d’enfant quand elle voyait quelqu’un s’écrouler brutalement sur le sol, cette douleur-là serait son guide au moment de prendre en charge la politique de la tribu et ses tribulations. Elle l’emporterait. Comme cet homme, assis là devant elle, mais d’une autre manière. La force intérieure aussi, elle l’avait. Elle conduirait son peuple ; cette certitude était comme un enfant qu’elle portait en elle et qui grandissait. Elle dresserait les siens contre l’envahisseur ; elle leur montrerait leur hégémonie fugace sous son véritable aspect : celui d’une piste secondaire auprès de la route tracée dans le désert, la route qui était leur destinée. Le peuple qui vivait au-delà de la plaine, sur la falaise, dans ce palais parfumé où régnait la corruption, tomberait sous leur coupe. La puissance et la sagacité des femmes, la puissance et la bravoure des hommes – ces épines du désert – écraseraient le peuple-pétale décadent des falaises. Alors les sables leur appartiendraient à nouveau. Des temples seraient érigés en son nom à elle.

Mensonges. La fille était jeune et ne savait rien des pensées de la tribu, ni de sa destinée. Elle était le rebut qu’on lui avait jeté en pâture afin d’adoucir son passage dans ce qu’ils croyaient être son rêve-de-mort. Le sort de son peuple vaincu importait peu aux yeux de cette fille ; on avait substitué à l’ancien héritage des notions de prestige et quelques gadgets.

Qu’elle rêve donc. Il se laissa aller à la tranquille frénésie de la drogue.

Une connexion se faisait là où le point d’extinction de la mémoire rencontrait le temps-lumière issu d’un autre lieu, et il n’était pas encore tout à fait certain de l’avoir dépassée.

Il s’efforça de distinguer à nouveau la grande maison, mais elle était masquée par la fumée et les fusées éclairantes. Il se tourna alors vers le grand cuirassé arrimé en cale sèche, mais celui-ci refusait de s’agrandir. C’était un gros vaisseau de guerre, ni plus ni moins, et il n’arrivait pas à aller jusqu’au fond de la signification que ce bâtiment aurait dû prendre pour lui.

Il n’avait rien fait d’autre qu’escorter l’Élu à travers les terres désolées pour le conduire au Palais. Pourquoi avaient-ils voulu que l’Élu se joigne à la cour ?

Cela paraissait absurde. La Culture n’avait pas foi en ces inepties surnaturelles, superstitieuses. Et pourtant, elle lui avait donné l’ordre de faire en sorte que l’Élu parvienne sain et sauf à la Cour, malgré les mésaventures multiples et variées qui étaient venues se mettre en travers de leur chemin.