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Pour assurer la perpétuation d’une lignée corrompue. Pour prolonger le règne de la stupidité.

Enfin, ils avaient leurs raisons. Il n’y avait qu’à prendre l’argent et filer. Sauf que ce n’était pas à proprement parler d’argent qu’il s’agissait. Alors, que faire, mon garçon, que faire ?

Croire. Même s’ils méprisent la croyance. Faire. Agir, bien qu’ils se méfient de l’action. Je suis leur exécuteur de basses œuvres, comprit-il. Un héros d’emprunt. Et ils éprouvent suffisamment de dédain à l’égard des héros pour que ce statut vienne renforcer la confiance que je me porte.

Viens avec nous, fais ce que nous te disons de faire et que tu aurais envie de faire de toute façon (mais une envie encore plus brûlante), et nous te donnerons ce que tu n’aurais jamais pu obtenir autrement, quels que soient le temps et le lieu : la preuve incontestable que tes actes sont justes, que non seulement tu t’amuses immensément, mais que c’est également pour le bien commun. Alors profites-en.

Et il l’avait fait, il en avait profité, même s’il n’était pas toujours bien certain que ce soit pour les bonnes raisons. Mais cela n’avait aucune importance pour eux.

Amener l’Élu au Palais.

Il prit du recul par rapport à sa vie et ne ressentit aucune honte. Tout ce qu’il avait jamais fait, c’était parce qu’il y avait quelque chose à faire. Tu t’es servi de ces armes, qu’elles soient d’une espèce ou d’une autre. On te donnait un objectif, ou bien tu te le donnais à toi-même, et il fallait que tu tendes vers lui, quels que soient les obstacles qui se dressaient sur ton chemin. Même la Culture était bien forcée de le reconnaître. La chose était formulée en termes de réalisations possibles étant donné le délai et le niveau d’avancement technologique, mais ils devaient bien avouer que tout cela était bien relatif, que tout était en continuelle fluctuation…

Il essaya subitement – dans l’espoir de le prendre par surprise – de revenir d’un seul coup à l’endroit où se trouvaient la demeure éventrée par la guerre, le pavillon d’été calciné et le bateau embourbé taillé dans la pierre… mais le souvenir refusait d’en supporter le poids, et il fut à nouveau rejeté, projeté tout tourbillonnant dans le néant, expédié au royaume de l’oubli, où régnaient les pensées délibérément non pensées.

La tente se dressait au point focal des deux pistes du désert. Blanche dehors, noire dedans, elle semblait être le reflet de ses vaticinations formées de croisements et de rencontres.

Hé, ho ! Ce n’est qu’un rêve.

Excepté que ce n’était pas un rêve, qu’il était parfaitement maître de lui et que, s’il ouvrait les yeux, il verrait la fille assise en face de lui qui le regardait fixement, l’air perplexe, il avait toujours su, sans la moindre hésitation, qui se trouvait à quel endroit et ce qui s’était passé à tel ou tel moment, et, d’une certaine façon, c’était ce que cette drogue avait de pire : elle vous permettait de vous rendre en n’importe quel endroit et à n’importe quelle époque – ce qui était tout de même le cas de nombreuses drogues –, mais en vous laissant rétablir le contact avec la réalité chaque fois que vous le désiriez réellement.

Comme c’est cruel, songea-t-il.

Finalement, la Culture avait peut-être vu juste ; tout à coup, il trouvait moins autocomplaisant, moins décadent de pouvoir synthétiser en soi, à n’importe quel moment, toutes les drogues ou combinaisons de drogues, ou presque.

Cette fille, comprit-il en une seconde atroce, ferait de grandes choses. Elle serait célèbre, respectée ; les membres de la tribu qui l’entourait commettraient des actes grandioses – et terribles –, et tout cela pour rien, car, quel que fût le terrible enchaînement d’événements qu’il avait mis en marche en emmenant l’Élu au Palais, la tribu ne survivrait pas. Ces gens étaient déjà morts. Déjà la marque qu’ils avaient laissée sur le désert de la vie s’effaçait, le sable la recouvrait, grain après grain, grain après grain… Il avait déjà contribué à la fouler aux pieds, même s’ils ne s’en étaient pas encore rendu compte. Ils comprendraient une fois qu’il serait parti. La Culture viendrait le prendre pour le déposer ailleurs, et cette aventure-là serait absorbée comme les autres dans le néant du sens ; et, tandis qu’il irait s’acquitter ailleurs d’une tâche similaire, il n’en resterait pas grand-chose.

En fait, il aurait très bien pu assassiner l’Élu : ce gamin était un imbécile, il n’avait que rarement tenu compagnie à quelqu’un d’aussi bête. Oui, ce jeune était un crétin, et il ne le savait même pas.

Il ne pouvait imaginer combinaison plus désastreuse.

Il repartit brusquement vers la planète qu’il avait jadis abandonnée.

S’en approcha un peu, fut repoussé au loin. Essaya à nouveau, mais sans réelle confiance en lui.

Fut rejeté à nouveau. Ma foi, il ne s’était guère attendu à autre chose.

Le Chaisier n’était pas la personne qui avait fabriqué la chaise, comprit-il en un éclair de lucidité. C’était et ce n’était pas lui. Il n’y a point de dieux, nous dit-on, aussi suis-je responsable de mon propre salut.

Il avait déjà les yeux fermés ; pourtant, il les ferma encore.

Il se balançait en rond, sans savoir.

Mensonges ; il pleurait, criait, s’effondrait aux pieds dédaigneux de la fille.

Mensonges ; il continuait à se balancer en rond.

Mensonges ; il tombait sur la fille, les mains tendues, en quête d’une mère qui n’était pas là.

Mensonges.

Mensonges.

Mensonges.

Mensonges ; il se balançait toujours en rond, traçant son propre symbole personnel dans l’air entre le sommet de sa tête et le trou empli de jour par où devait s’échapper la fumée de la tente.

Il sombra à nouveau vers la planète, mais la fille sous la tente noire/blanche approcha la main pour lui éponger le front et, par cet infime mouvement, parut balayer au loin son être…

(Mensonges.)

… Bien plus tard, il découvrit que, s’il avait escorté l’Élu jusqu’au Palais, c’était seulement parce que ce sale gamin était le dernier de sa lignée. Non seulement stupide mais en plus impuissant, l’Élu ne donna naissance à aucun fils vigoureux, nulle fille astucieuse (ainsi que la Culture le savait depuis le début), et les hargneuses tribus du désert déferlèrent une décennie plus tard avec à leur tête une Matriarque qui avait guidé la plupart des guerriers placés sous son commandement à travers le temps de la feuille-de-rêve, une femme qui avait vu le plus robuste et le plus étranger d’entre eux subir ses effets et en revenir indemne mais insatisfait, et qui avait appris par cette expérience que la vie dans le désert pouvait être autre chose que ce qui avait été pressenti dans les mythes et récits des aînés de sa tribu nomade.

3. RÉMINISCENCE

Dix

Il adorait son fusil à plasma ; il s’en servait en véritable artiste. Avec cette arme-là, il savait peindre des tableaux figurant la destruction, composer des symphonies célébrant la démolition, écrire des élégies à la gloire de l’anéantissement.

Voilà les pensées qui lui traversaient la tête tandis que le vent soulevait les feuilles mortes à ses pieds, un vent auquel faisaient bravement face les vieilles pierres.

Ils n’avaient pas réussi à quitter la planète. La capsule avait été attaquée par… quelque chose. À voir les dégâts causés, il n’aurait su dire s’il s’agissait d’un rayon offensif ou d’une ogive quelconque qui aurait explosé dans le voisinage. Dans un cas comme dans l’autre, ils se retrouvaient impuissants. Accroché au revêtement de la capsule, il avait eu de la chance de s’être trouvé du côté opposé à la source de la décharge. S’il avait dû faire face à ce rayon, ou à cette ogive, il aurait péri.