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Il s’accroupit derrière le parapet, de l’autre côté de l’observatoire par rapport à l’avion qui approchait seul. Derrière lui, au bas d’une pente raide, se trouvaient des buissons, des arbres et une série de constructions sans toit envahies par la végétation. Il regarda l’avion arriver et chercha du regard d’éventuels appareils venant dans d’autres directions, mais en vain. Sur l’écran interne de sa combinaison, il observa en fronçant les sourcils l’avion qui descendait sans cesser de ralentir et dont la silhouette en forme de tête de flèche obèse se profilait de plus en plus nettement sur le couchant.

Il vit l’appareil descendre lentement vers la plateforme de l’observatoire ; une passerelle d’accès sortit en se dépliant du ventre de l’aéronef, et trois pieds se détendirent. Zakalwe releva quelques indications-effecteur émises par la machine, puis secoua la tête, rentra la tête dans les épaules et dévala la pente à toutes jambes.

Tsoldrin était assis dans l’une des constructions en ruine. Il prit l’air surpris en voyant son compagnon, en combinaison, franchir la porte à demi obstruée par le lierre.

— Alors, Chéradénine ?

— C’est un appareil civil, répondit ce dernier. (Il releva sa visière, découvrant un visage souriant.) En fin de compte, je ne crois pas qu’il en ait après nous. En revanche, il peut nous fournir une porte de sortie. (Il haussa les épaules.) Ça vaut toujours la peine d’essayer. (Il indiqua le haut de la pente.) Tu viens ?

Dans la lueur du crépuscule, Tsoldrin Beychaé contempla la silhouette noir mat qui se découpait sur le seuil. Il s’était demandé un moment ce qu’il devait faire, mais n’avait pas encore trouvé la réponse. D’un côté il regrettait le calme, la tranquillité et les certitudes de la bibliothèque universitaire, où l’on pouvait vivre heureux et sans souci à l’écart du monde, se plonger dans les livres anciens pour essayer de comprendre les concepts et les récits d’antan en espérant en dégager un jour le sens, voire développer ses propres idées, s’efforcer de mettre en lumière les enseignements de ces histoires anciennes, et peut-être amener les gens à réfléchir encore sur leur propre époque, leurs propres idéologies. Pendant un temps – qui lui avait paru bien long, là-bas – il avait cru sans l’ombre d’un doute que c’était là l’activité la plus utile, la plus productive à laquelle il puisse se livrer… mais à présent, il n’en était plus aussi sûr.

Peut-être, songeait-il maintenant, y a-t-il des choses plus importantes auxquelles je puisse apporter mon concours. Peut-être devrais-je partir avec Zakalwe, ainsi qu’il me le demande, ainsi que me le demande la Culture.

Et puis, comment se contenter simplement de retourner à ses études après ce qui venait d’arriver ?

Zakalwe qui surgissait tout à coup du passé, plus impétueux, plus fougueux que jamais ; Ubrel qui ne faisait en fin de compte que lui jouer la comédie – mais comment y croire ? – et à cause de qui il se sentait à présent très vieux et très bête, mais aussi fou de rage ; et l’Amas tout entier qui s’en allait encore une fois à la dérive, tout droit vers les écueils…

Avait-il le droit de ne rien tenter, même si la Culture se trompait sur le prestige dont il était revêtu au sein de cette société ? Il l’ignorait. Il voyait bien que Zakalwe avait voulu l’atteindre dans son orgueil, mais… s’il y avait tout de même eu du vrai dans son discours ? Était-il juste de se croiser les bras et d’attendre que les choses arrivent, même si c’était là la voie la plus facile, la moins éprouvante ? Si la guerre éclatait et qu’il prît conscience de n’avoir rien fait pour l’en empêcher, quels seraient alors ses sentiments à l’égard de lui-même ?

Maudit sois-tu, Zakalwe, songea-t-il. Puis il se leva et déclara :

— Je n’ai pas encore décidé. Mais voyons jusqu’où tu réussiras à nous emmener.

— C’est bien.

La voix de la silhouette en combinaison ne trahissait pas la moindre émotion.

— … Sincèrement désolé pour ce retard, gentigens ; il était tout à fait indépendant de notre volonté. Une espèce de panique à la direction du trafic aérien, mais permettez-moi de vous présenter à nouveau les excuses d’Héritage Tours. Enfin, nous y voilà ; un peu plus tard que prévu, mais le coucher de soleil n’est-il pas ravissant ? Le très célèbre Observatoire de Srometren. Gentigens, quatre mille cinq cents ans d’histoire au moins se sont joués ici même, à vos pieds. Il va falloir que je débite mon speech à toute allure pour rattraper notre retard, alors écoutez bien…

Dans un bourdonnement de champ anti-g, l’aéronef planait juste au-dessus du sol, du côté ouest de la plate-forme observatoire. Ses trois pieds pendaient dans le vide ; manifestement, ils n’étaient là qu’à titre de précaution. Une quarantaine de personnes avaient débarqué par la passerelle sous-ventrale et formaient à présent cercle autour d’un des instruments de mesure en forme de socle de pierre tandis qu’un jeune guide touristique impatient s’adressait à eux.

Zakalwe les observait entre deux piliers de la balustrade en pierre ; il les balayait l’un après l’autre au moyen de l’effecteur intégré à sa combinaison et lisait le résultat sur l’affichage facial de sa visière. Plus de trente portaient sur eux un véritable terminal, c’est-à-dire un accès au réseau de communications de la planète. L’ordinateur de la combinaison les interrogea secrètement par l’intermédiaire de l’effecteur. Deux des terminaux étaient allumés ; l’un transmettait un bulletin d’informations sportives, l’autre un programme musical. Tous les autres étaient en position de veille.

— Combinaison, chuchota-t-il. (Pourtant, personne n’aurait pu l’entendre, même pas Tsoldrin – qui se tenait à ses côtés – et encore moins le groupe de touristes.) Je veux neutraliser ces terminaux, discrètement ; les empêcher de transmettre.

— Deux terminaux en réception émettent actuellement un code de localisation, répondit la combinaison.

— Puis-je neutraliser leur fonction de transmission sans interférer avec leur fonction code de localisation ni intervenir dans l’état de réception dans lequel ils se trouvent ?

— Oui.

— Parfait ; alors, neutralisation de tous les terminaux, la priorité étant d’empêcher toute émission de nouveaux signaux.

— Neutralisation de trente-quatre terminaux personnels réseau-comm extra-Culturels, veuillez confirmer.

— Confirmé, nom de nom ! Exécution !

— Instructions exécutées.

Il vit son affichage facial se modifier au moment où les sources d’alimentation internes des terminaux tombaient presque à zéro. Le guide menait son groupe à travers la plate-forme de pierre qui constituait l’ancien observatoire, en direction de l’endroit où il se tapissait avec Beychaé et en tournant le dos à l’aéronef suspendu dans les airs.

Zakalwe releva d’un geste sa visière et tourna la tête vers son compagnon.

— Allez, on y va. Pas de bruit.

Il passa le premier et traversa les broussailles en se faufilant entre les arbres serrés ; il faisait plutôt sombre sous leur feuillage éployé, et Beychaé trébucha à une ou deux reprises. Mais ils ne firent que peu de bruit en foulant aux pieds le tapis de feuilles mortes qui bordait sur deux côtés la plate-forme d’observation.

Parvenu sous l’appareil, Zakalwe le sonda au moyen de son effecteur.

— Tu es un joli petit engin, souffla-t-il en attendant l’affichage des résultats. (L’aéronef était automatique, et parfaitement stupide. Même pas une cervelle d’oiseau.) Combinaison ! Interfaçage avec l’appareil et prise de contrôle des commandes sans que personne s’en aperçoive.