Выбрать главу

Magrat se dégela, farfouilla dans ses poches et sortit un petit miroir à main dans un cadre de bois. Elle le passa à son aînée.

Mémé Ciredutemps contempla son reflet. Nounou Ogg manœuvra discrètement son balai pour se rapprocher.

« Hmm, fit Mémé au bout d’un moment.

— J’aime bien les raisins qui te pendent au-dessus de l’oreille, dit Nounou d’un ton encourageant. Tu sais, c’est un chapeau de chef ou je m’y connais pas.

— Hmm.

— Vous croyez pas ? fit Magrat.

— Ben, répondit Mémé à contrecœur, ça peut sans doute convenir pour les pays étrangers. Où personne que je connais risque de m’voir. Personne d’important, en tout cas.

— Et quand on sera rentrées, tu pourras toujours le boulotter », ajouta Nounou Ogg.

Elles se détendirent. Elles avaient l’impression d’avoir gravi une colline, négocié une vallée délicate.

Magrat contempla sous elle le fleuve brun et les troncs douteux sur les bancs de sable.

« Je voudrais savoir une chose, dit-elle : est-ce que madame Gogol était gentille ou méchante, en fait ? J’veux dire, les morts, les alligators, tout ça… »

Mémé regarda le soleil levant qui perçait à travers la brume.

« Le bien et le mal, c’est pas simple, dit-elle. J’sais jamais vraiment où situer les gens. Peut-être que l’important, c’est de quel côté on se tourne.

» Dites donc, ajouta-t-elle, j’ai bien l’impression que j’aperçois le Bord d’ici.

— C’est marrant, fit Nounou, paraît qu’on trouve des éléphants dans certains pays étrangers. J’ai toujours eu envie de voir un éléphant, vous savez. Et y a un coin de Klatch, quelque part, où des gars grimpent à des cordes et disparaissent.

— Pour quoi faire ? demanda Magrat.

— Va savoir. Doit sans doute y avoir une bonne raison étrangère.

— Dans un de ses livres, reprit Magrat, Desiderata écrivait une chose intéressante sur les éléphants. Que dans les plaines de Sto, quand les gens disent qu’ils vont voir l’éléphant, ça signifie qu’ils partent en voyage parce qu’ils en ont assez de rester au même endroit.

— Rester au même endroit, c’est pas trop grave tant qu’on empêche pas l’esprit de se balader, dit Nounou.

— Moi, j’aimerais bien remonter vers le Moyeu, fit Magrat. Pour voir les temples anciens comme ceux qui sont décrits dans le premier chapitre du Sentier du scorpion.

— Et ils t’apprendraient tout ce que tu sais pas déjà, c’est ça ? » répliqua Nounou avec une brusquerie dont elle n’était pas coutumière.

Magrat lança un coup d’œil à Mémé.

« Sans doute que non, fit-elle humblement.

— Bon, dit Nounou. Qu’est-ce qu’on fait, Esmé ? On rentre chez nous ? Ou on va voir l’éléphant ? »

Le balai de Mémé vira doucement dans le vent.

« T’es une vieille polissonne dégoûtante, Gytha Ogg, fit-elle.

— Tu l’as dit, répliqua joyeusement Nounou.

— Et Magrat Goussedail…

— Je sais, la coupa une Magrat au comble du soulagement, je suis un bonnet de nuit sans coiffe. »

Mémé regarda en arrière vers le Moyeu et les hautes montagnes. Quelque part là-bas attendait une vieille chaumière dont la clé était accrochée dans les cabinets. Il devait se passer des tas de choses au pays. Le royaume devait aller à vau-l’eau sans elle pour maintenir les sujets dans la bonne voie. C’était son boulot. Allez savoir de quelles bêtises ils étaient capables durant son absence…

Nounou frappa négligemment ses bottines rouges l’une contre l’autre.

« Ben, j’imagine que rien n’vaut chez soi, dit-elle.

— Non, fit Mémé Ciredutemps d’un air toujours songeur. Non. Y a des milliards de pays comme chez soi. Mais on vit que dans un seul.

— Alors on rentre ? demanda Magrat.

— Oui. »

Mais elles prirent le chemin des écoliers et virent l’éléphant.

AINSI PREND FIN « MÉCOMPTES DE FÉES »,
DOUZIÈME LIVRE DES ANNALES DU DISQUE-MONDE.