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— On leur enseigne à parler joliment à Gilead, hein ?

Avery, qui était armé d’un fusil, s’avança alors vers le Pistolero dûment menotté, crosse en avant.

— Je vais t’apprendre, moi, comment faut s’adresser à un membre de la gentry, si fait ! J’vas t’lui faire sauter les dents d’la bouche, t’as qu’un mot à dire, Fran !

Lengyll le retint d’un air las.

— Sois pas stupide. J’tiens point à l’ramener couché en travers d’la selle, à moins qu’il soille mort.

Avery abaissa son fusil. Lengyll se tourna vers Roland.

— Tu vivras point assez vieux pour profiter d’mes conseils, Dearborn, dit-il. Mais j’m’en vas t’en donner un tout d’même : faut toujours être du côté des vainqueurs dans c’monde. Et savoir comment souffle l’vent pour s’apercevoir quand il tourne.

— Tu as oublié le visage de ton père, sale vermine rampante, prononça très clairement Cuthbert.

Cela piqua Lengyll plus au vif que la vanne lancée par Roland sur sa mère — ce que trahit la soudaine coloration de ses joues burinées.

— Foutez-les à cheval ! cria-t-il. J’veux qu’on les boucle sur l’heure !

5

Roland fut planté si durement sur la selle de Flash qu’il faillit voltiger de l’autre côté… ce qui serait arrivé si Dave Hollis n’avait pas été là pour affermir son équilibre et glisser la botte de Roland dans l’étrier. Dave, ce faisant, adressa au Pistolero un sourire nerveux, un peu gêné.

— Je regrette de vous voir ici, dit Roland avec gravité.

— Et moi d’être obligé de m’y trouver, repartit l’adjoint. Si le meurtre était le but que vous poursuiviez, j’aurais préféré que vous le mettiez à exécution plus tôt. Et que votre ami n’ait point eu l’arrogance de signer ce forfait de sa carte de visite, ajouta-t-il en désignant Cuthbert du chef.

Roland n’avait pas la moindre idée de ce à quoi faisait référence l’Adjoint Dave, mais aucune importance. Cela devait faire partie du coup monté auquel nul de ses hommes n’ajoutait beaucoup de foi, Dave inclus, apparemment. Même si, supposa Roland, ils viendraient à y croire dans quelques années comme si c’était parole d’évangile et raconteraient à leurs enfants et petits-enfants ce jour de gloire où ils avaient fait partie de la patrouille à cheval et capturé les traîtres.

Le Pistolero usa de ses genoux pour faire virer Flash… et là, près du portail qui séparait la cour du Bar K du chemin menant à la Grand-Route, se tenait Jonas. Il montait un bai à large poitrail, coiffé du feutre vert d’un meneur de chevaux et emmitouflé dans un vieux cache-poussière gris. Un fusil dépassait de la housse fixée près de son genou droit. Il avait repoussé le pan gauche de son cache-poussière pour exposer la crosse de son revolver. Les cheveux blancs de Jonas, qu’il avait négligé d’attacher aujourd’hui, s’étalaient sur ses épaules.

Ôtant son feutre, il salua Roland fort courtoisement.

— Ce fut une belle partie, dit-il. Vous avez très bien joué pour quelqu’un qui tétait encore sa mère il y a peu.

— Et toi, vieillard, tu as dépassé la limite d’âge, répliqua Roland.

Jonas sourit.

— Tu y porterais remède si tu pouvais, je t’entends bien ? Ouair, je crois.

Il reporta son regard sur Lengyll.

— Confisquez-leur leurs joujoux, Fran. Cherchez surtout des couteaux. Ils ont des pistolets, mais pas sur eux. D’ailleurs, j’en sais là-dessus plus qu’ils ne pensent. N’oubliez pas la fronde du plaisantin. Surtout pas ça, au nom des dieux. Y a pas si longtemps qu’il aurait aimé fracasser la tête de Roy avec.

— C’est de poil de carotte que vous parlez ? demanda Cuthbert.

Son cheval dansait sous lui et Bert oscillait d’avant en arrière et de droite à gauche comme un écuyer de cirque pour éviter d’être désarçonné.

— Le plaisantin, il aurait jamais raté sa tête ; ses couilles, peut-être, mais pas sa caboche.

— Probable, tomba d’accord Jonas, tandis qu’on délestait Roland de son arc et de ses lances. La fronde était fixée à la ceinture de Cuthbert, dans le dos et dans un étui qu’il avait confectionné tout spécialement de ses mains. Roy Depape avait été bien inspiré de ne pas avoir mis Bert à l’épreuve, d’après Roland — Bert pouvait cueillir un oiseau en plein vol à soixante mètres. Une bourse pleine de billes d’acier pendait au côté gauche du garçon. Bridger fit également main basse dessus.

Pendant que tout cela allait bon train, Jonas ne cessa de gratifier Roland de son plus aimable sourire.

— C’est quoi ton vrai nom, gamin ? Allez, à confesse — y a plus de mal à ce que tu parles maintenant : t’enfourchera bientôt la Jolie Dame à la Faux, tu le sais comme moi.

Roland ne broncha pas. Lengyll lança un regard à Jonas, l’interrogeant du sourcil. Jonas haussa les épaules, puis désigna d’un mouvement de tête la direction de la ville. Lengyll opina et tisonna Roland d’un long doigt crevassé.

— Allez, en route, mon garçon.

Roland pressa les flancs de Flash. Sa monture se dirigea au petit trot vers Jonas. Une certitude envahit soudain Roland. À l’instar de ses meilleures intuitions tombant pile, elle provenait de nulle part et de partout — absente la seconde d’avant, elle se trouvait là, celle d’après, vêtue de pied en cap.

— Qui t’a expédié dans l’Ouest, sale larve ? lança-t-il à Jonas en passant près de lui. Ça ne peut pas être Cort — tu es trop vieux pour ça. Mais ne serait-ce pas son père ?

La lueur d’amusement teinté d’ennui s’éteignit dans l’œil de Jonas — fut balayée, plutôt, comme si on l’avait frappé au visage. Un court — et stupéfiant — moment, le vieillard à cheveux blancs redevint un enfant : honteux, vexé comme un pou, atteint au plus profond.

— Pour sûr, le pa de Cort — tes yeux t’ont trahi. Et te voilà maintenant, au bord de la Mer Limpide… sauf qu’en réalité tu es dans l’Ouest. L’âme d’un homme tel que toi ne peut jamais quitter l’Ouest.

Jonas dégaina avec une telle célérité que seul l’œil extraordinaire d’un Roland pouvait percevoir son mouvement. Un murmure parcourut le groupe d’hommes, derrière eux — partie sous le choc, mais surtout par crainte superstitieuse.

— Jonas, faites point l’imbécile ! grogna Lengyll. Z’allez point m’tuer ces faucons après qu’on a pris not’ temps et l’risque d’les encapuchonner et d’leur lier les pattes, non mais ?

Jonas parut ne pas entendre. Il avait les yeux hagards et sa bouche cousue tremblait aux commissures.

— Mesure tes paroles, Will Dearborn, dit-il d’une voix basse et rauque. T’as jamais eu autant besoin de les mesurer. Encore une toute petite pression sur la détente et le coup part à la seconde.

— Vas-y, descends-moi, reprit Roland.

Relevant la tête, il regarda Jonas de haut.

— Tire donc, exilé. Tire donc, vil cloporte. Tire donc, ratage ambulant. Celui qui vit en exil mourra en exil.

Un instant, il crut que Jonas allait tirer pour de bon. Et Roland trouva que mourir lui siérait, serait une fin acceptable après la honte de s’être fait prendre aussi facilement. Susan avait déserté ses pensées. Il n’y eut ni souffle, ni cri, ni mouvement durant ce laps de temps : tout était suspendu. Les ombres des hommes, à pied ou à cheval, qui assistaient à cet affrontement, s’imprimaient à fleur de poussière.

Puis Jonas relâcha le chien de son arme qu’il reglissa dans son étui.

— Emmenez-les en ville et bouclez-les, ordonna-t-il à Lengyll. Et à mon arrivée, je ne veux pas qu’on ait touché à un seul de leurs cheveux. Si j’ai pu me retenir de tuer çui-là, vous pouvez vous abstenir de molester le reste de la bande. Disposez maintenant.