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Maria regardait Susan avec sympathie, tout affolée.

— Maintenant, debout, je vous dis. Allez-vous-en. Cet endroit est devenu loco.

— Ils n’ont pas fait une chose pareille, dit Susan, se retenant de justesse d’ajouter : ça ne faisait point partie du plan.

— Sai Thorin et sai Rimer sont morts tout de même, qui que ce soit qu’a fait le coup.

Il y eut d’autres cris en bas suivis d’une petite explosion, qui n’avait rien d’un tir de pétards. Maria tourna les yeux dans cette direction, puis commença à lancer ses habits à Susan.

— Les yeux du Maire, on les lui a sortis de la tête au couteau.

— Ils n’ont pas pu faire ça, Maria ! Je les connais…

— Moi, je les connais point du tout et je m’en soucie mie… c’est pour vous que j’ai du souci. Habillez-vous et partez, je vous répète. Le plus vite que vous pourrez.

— Que leur est-il arrivé ?

Une idée affreuse traversa Susan qui bondit sur ses pieds, envoyant valser ses vêtements autour d’elle. Elle attrapa Maria par les épaules.

— On ne les a point tués ?

Susan secoua la petite bonne.

— Dis-moi qu’on ne les a point tués !

— Je crois point. On a crié tant et plus et y a eu des rumeurs qu’ont couru dans tous les coins, mais je crois qu’y sont juste en prison. Seulement…

Elle n’eut pas besoin d’achever sa phrase. Ses yeux se détournèrent de ceux de Susan à qui ce mouvement involontaire, s’ajoutant à la bruyante confusion d’en bas, révéla tout le reste. On ne les avait pas encore tués, soit, mais Hart Thorin, Maire très aimé de ses concitoyens, descendait d’une très ancienne famille, alors que Roland, Cuthbert et Alain n’étaient au mieux que des étrangers.

Point encore tués… or, demain, c’était la Fête de la Moisson et demain soir, le Feu de Joie.

Susan commença à s’habiller le plus vite qu’elle put.

8

À peine Reynolds, qui accompagnait Jonas depuis plus longtemps que Depape, eut-il jeté un coup d’œil à la silhouette s’avançant vers eux au petit galop entre les derricks squelettiques qu’il se tourna vers son partenaire.

— Ne lui pose pas de question : il est pas d’humeur à répondre à des demandes idiotes, ce matin.

— Qu’est-ce que t’en sais ?

— T’occupe. Fais gaffe à tenir ton putain de clapet fermé.

Jonas tira sur les rênes de sa monture à leur hauteur. Il était avachi sur sa selle, pâle et songeur. Son apparence fit monter une question aux lèvres de Roy Depape, en dépit de la mise en garde de Reynolds.

— Ça va, Eldred ?

— Pourquoi ? Y a quelqu’un pour qui ça va ? répondit Jonas, qui redevint muet.

Dans leur dos, les rares stations de pompage en activité à Citgo piaillaient sans relâche.

Jonas s’ébroua enfin et se redressa un tantinet sur sa selle.

— Nos garnements doivent être stockés en magasin à l’heure qu’il est. J’ai dit à Lengyll et à Avery de tirer deux fois deux coups de feu si ça tournait au vinaigre, et j’ai rien entendu de tel jusqu’à maintenant.

— Nous non plus, Eldred, s’empressa de préciser Depape. Rien qui r’ssemble à ça.

Jonas fit la grimace.

— Feriez comment avec ce boucan ? Crétin !

Depape se mordit les lèvres et, s’apercevant tout à trac que son étrier gauche devait être ajusté, se pencha dans ce but.

— Personne ne vous a surpris en train, les gars ? demanda Jonas. Ce matin, je veux dire, quand vous avez expédié Rimer et Thorin ? Y a-t-il une chance qu’on ait vu l’un de vous ?

Reynolds secoua négativement la tête pour deux.

— Ç’a été fait aussi proprement que possible.

Jonas opina, comme si le sujet ne présentait pour lui qu’un intérêt relatif, puis se retourna pour englober du regard le pétroléum et les derricks mangés par la rouille.

— S’peut bien que les gens aient raison, fit-il d’une voix à peine perceptible. S’pourrait bien que ceux du Vieux Peuple étaient des démons.

Il se retourna vers eux.

— C’est nous qui sommes les démons, aujourd’hui. Pas vrai, Clay ?

— C’est comme tu penses, Eldred, fit Reynolds.

— Je dis ce que je pense. C’est nous, les démons d’aujourd’hui. Et par Dieu, on agira comme tels. Qu’est-ce qui se passe avec Quint et le groupe, là-bas ?

Il inclina la tête vers la pente forestière où on avait tendu l’embuscade.

— Sont toujours là, à attendre ton signal, répondit Reynolds.

— Plus besoin d’eux maint’nant.

Il gratifia Reynolds d’un regard noir.

— Ce Dearborn est rien qu’un sale morveux, un ramenard de première. J’aimerais bien être à Hambry demain soir, rien que pour lui balancer une torche entre les pieds. J’ai failli le laisser roide mort au Bar K. Si ça avait pas été Lengyll, il y restait. Un sale petit ramenard, voilà tout ce qu’il est.

Plus il parlait, plus il se tassait sur lui-même. Son visage s’assombrissait à vue d’œil, tel un paysage quand des nuées d’orage masquent le soleil. Depape, son étrier remis en place, interrogea Reynolds d’un coup d’œil nerveux. Ce dernier resta sans réaction. À quoi bon réagir ? Si Eldred devenait fou (et Reynolds l’avait déjà vu piquer des crises de ce genre par le passé), ils n’auraient aucun moyen de s’extraire de sa zone de tuerie à temps.

— On a encore pas mal de boulot, Eldred.

Reynolds s’exprima calmement, mais cela porta. Jonas se ressaisit. Il ôta son chapeau, l’accrocha au pommeau de sa selle comme à un portemanteau, et se passa la main dans les cheveux, machinalement.

— Ouair… pas mal de boulot, t’as raison. Descends là-bas et dis à Quint d’envoyer chercher des bœufs pour tirer les deux dernières citernes pleines jusqu’à la Roche Suspendue. Faudrait qu’il s’garde quatre hommes pour les accrocher et les emm’ner à Latigo. Les autres peuvent vaquer.

Reynolds jugea qu’à présent il pouvait sans risque poser une question.

— Quand le reste des hommes de Latigo est attendu là-bas ?

— Quels hommes ? ricana Jonas, méprisant. Si seulement, mon goujat ! Le reste des blancs-becs de Latigo ralliera la Roche Suspendue au clair de lune, toutes oriflammes déployées sans doute au bénéfice des coyotes et autres chiens du désert qui en auront grand effroi. Ils seront prêts à servir d’escorte demain matin à dix heures, j’dirais… quoique si ces gaillards-là sont tels que je m’y attends, les conneries vont pleuvoir. La bonne nouvelle, c’est qu’on n’a pas tellement besoin d’eux, de toute façon. On dirait que les choses se présentent bien. Va là-bas maintenant, mets-les au boulot puis reviens me trouver, le plus vite possible.

Jonas, se tournant, regarda le renflement bosselé des collines au nord-ouest.

— Car nous aussi, on a du boulot, dit-il. Plus vite on commencera, plus vite on aura fini. J’ai plus qu’une envie : brosser mes bottes et mon chapeau de cette saloperie de poussière de Mejis au plus tôt. J’l’apprécie plus du tout, du tout.

9

Thérésa Maria Dolores O’Shyven était une jolie femme rondelette de quarante ans, mère de quatre enfants, femme de Peter, un vaquero de tempérament jovial. Elle était aussi drapière au Marché d’En Haut ; nombre des plus jolies et délicates ornementations de Front de Mer étaient passées entre les mains de Thérésa O’Shyven, dont la famille était tout à fait à son aise. Bien que son mari ne soit qu’un coureur de prairie, le clan des O’Shyven appartenait à ce qu’en d’autres temps et lieu on eût appelé la classe moyenne. Ses deux aînés avaient déjà quitté le domicile familial, et l’un d’eux, la Baronnie. Le troisième par rang d’âge était tout feu tout flammes à l’idée d’épouser les délices de son cœur au Terme de l’Année. Seule la plus jeune soupçonnait que Ma ne tournait pas rond, tout en étant loin de se douter à quel point Thérésa frôlait la folie obsessionnelle intégrale.