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— Si fait, grâce à la troupe de chevaux que j’ai aperçue…

— Il viendra peut-être sans eux, dit Roland, ignorant combien par là il recoupait le raisonnement de Jonas. Mais ses hommes feront du bruit, même sans les chevaux. S’ils sont assez nombreux, nous les verrons aussi… ils traceront une ligne dans l’herbe comme une raie dans les cheveux.

Susan approuva. Elle avait maintes fois assistée au phénomène depuis les hauteurs de l’Aplomb — cette mystérieuse partition de la Mauvaise Herbe par les cavaliers qui y chevauchaient.

— Mais s’ils te recherchent, Roland ? Si jamais Jonas envoie des éclaireurs ?

— Je doute fort qu’il se donne autant de mal, fit Roland avec un haussement d’épaules. Si c’est le cas, on les tuera. Et en silence, si c’est possible. On nous a entraînés à tuer ; on n’hésitera pas à le faire.

À son tour, elle lui agrippa les bras. Elle avait l’air impatiente et effrayée.

— Tu n’as point répondu à ma question. Y a-t-il une chance que tu viennes me retrouver ?

Il réfléchit encore.

— Une pour, une contre, à égalité, dit-il enfin.

Elle ferma les yeux, comme s’il l’avait frappée, inspira et expira profondément, rouvrit les yeux.

— Mauvais, mais peut-être point autant que je l’imaginais. Et si jamais tu n’en réchappes point ? Sheemie et moi, on s’en ira dans l’Ouest, comme tu me l’as déjà dit ?

— À Gilead, si fait. Tu y seras en sécurité et respectée, ma chérie, en dépit de tout… mais ce sera particulièrement important que tu t’en ailles si tu n’entends pas exploser les citernes. Tu le sais, n’est-ce pas ?

— Pour prévenir les tiens — ton ka-tet.

Roland opina.

— Je les préviendrai, n’aie crainte, dit-elle. Et je veillerai aussi sur Sheemie. Si nous sommes allés aussi loin, il y a pris autant part que moi de mon côté.

Roland comptait sur Sheemie bien plus qu’elle ne l’imaginait. Si jamais lui, Bert et Alain se faisaient tuer, ce serait Sheemie qui la stabiliserait, lui donnerait une raison de continuer.

— Quand pars-tu ? demanda Susan. Avons-nous le temps de faire l’amour ?

— Oui, mais mieux vaut peut-être nous en abstenir, fit-il. C’est déjà bien assez dur de me séparer de toi sans ça. À moins que tu n’y tiennes vraiment…

Il la supplia à demi des yeux de lui répondre oui.

— Retournons nous reposer un peu, dit-elle en lui prenant la main.

Un instant, trembla sur ses lèvres l’aveu qu’elle portait son enfant mais, au dernier moment, elle garda le silence. Il avait suffisamment à penser sans venir y ajouter… et d’ailleurs, elle n’avait pas envie de lui annoncer une aussi bonne nouvelle sous une lune aussi vilaine. Ça ne leur porterait point chance.

Ils revinrent à travers l’herbe haute qui se redressait après leur passage. À l’extérieur de la cabane, il l’attira à lui et, prenant son visage entre ses mains, l’embrassa doucement encore une fois.

— Je t’aimerai toujours, Susan, dit-il. Contre vents et marées, ouragans et tempêtes.

Elle sourit. Et deux larmes roulèrent sur ses joues.

— Contre vents et marées, ouragans et tempêtes, répéta-t-elle.

Elle l’embrassa à nouveau, puis ils entrèrent.

6

La lune avait entamé son déclin quand un groupe de huit cavaliers franchit l’arche au-dessus de laquelle ENTREZ EN PAIX était inscrit en Grandes Lettres. Jonas et Reynolds chevauchaient en tête. Derrière eux venait la carriole noire de Rhéa, tirée par un poney qui paraissait doté d’assez de vigueur pour trotter toute la nuit et une bonne partie du jour suivant. Jonas avait voulu lui donner un cocher pour le mener, mais Rhéa avait refusé.

— J’me suis toujours mieux entendue avec les animaux qu’avec les humains, lui avait-elle rétorqué — et ça semblait être vrai. Les rênes reposaient mollement sur ses genoux et le poney allait bon train. Les autres hommes étaient Hash Renfrew, Quint et trois des meilleurs vaqueros de Renfrew.

Coraline avait voulu venir, mais Jonas n’avait pas la même vision des choses qu’elle.

— Si jamais nous sommes tués, tu pourras continuer ta vie plus ou moins comme avant, lui avait-il dit. Rien ne te rattachera à nous.

— Sans toi, je ne suis pas sûre que continuer à vivre m’intéresse, lui avait-elle répondu.

— Ah, arrête de dire des conneries d’écolière, ça ne te va pas du tout. Tu trouverais plein de bonnes raisons à poursuivre cahin-caha le fil du sentier, si tu voulais t’en donner la peine. Mais si tout se passe bien — ce que j’espère — et que tu veuilles toujours de moi, tu n’auras qu’à partir d’ici à bride abattue dès que tu auras eu vent de notre victoire. Il y a une ville dans les Monts Vi Castis, à l’ouest d’ici. Ritzy, elle s’appelle. File là-bas sur le cheval le plus rapide que tu pourras trouver. Tu y seras plusieurs jours avant nous, même si nous menons un train d’enfer. Déniche-toi une auberge respectable qui accepte de recevoir une femme seule… si toutefois pareil établissement existe à Ritzy. Et attends-nous. Dès qu’on arrivera avec les citernes, tu n’auras qu’à te joindre à notre colonne et venir à ma droite. Tu as compris ?

Oui. Une femme sur mille était comparable à Coraline Thorin — aussi maligne que Sa Seigneurie Satan en personne et baisant comme sa gueuse et putain. Si seulement les choses pouvaient se dérouler aussi simplement qu’il les lui avait décrites.

Jonas ralentit l’allure de sa monture de manière à avancer de conserve avec la carriole noire. Rhéa avait sorti le cristal de son sac et le tenait sur ses genoux.

— Du nouveau ? lui demanda-t-il, espérant revoir cette pulsation rose l’illuminer jusqu’au tréfonds et le redoutant à la fois.

— Nenni. Mais il parlera quand il le faudra — compte là-dessus.

— Alors à quoi tu sers, la vieille ?

— Tu le sauras, le moment venu, fit Rhéa, le dévisageant avec arrogance (et aussi avec une certaine crainte, fut-il ravi de constater).

Jonas éperonna son cheval et reprit la tête de la petite colonne. Il avait décidé de délester Rhéa de la boule de cristal si elle s’avisait de faire des difficultés. À vrai dire, le cristal avait déjà insinué son étrange et ensorcelante douceur dans l’esprit de Jonas ; il n’arrêtait pas de penser à cette unique pulsation rose qu’il n’avait que trop vue.

— Mes couilles, se dit-il. Le trac avant la bataille, voilà ce que j’ai. Une fois cette affaire bouclée, je redeviendrai celui que j’ai toujours été.

Bonne chose, si c’était la vérité. Mais il avait commencé à la mettre en doute.

Renfrew chevauchait près de Clay à présent. Jonas glissa sa monture entre eux deux. Sa mauvaise jambe lui faisait un mal de chien ; autre mauvais signe.

— Et Lengyll ? questionna-t-il Renfrew.

— N’ayez crainte. Faites confiance à Fran Lengyll, répondit ce dernier. Il rameute une bonne bande : trente hommes.

— Trente ! Ventredieux ! Je t’avais dit que j’en voulais quarante ! Quarante minimum !

Renfrew le mesura d’un coup d’œil, puis grimaça sous une rafale de vent mauvais, particulièrement frisquette. Il remonta son bandana sur le bas du visage, imitant à retardement les vaqueros qui suivaient.

— Ces trois blancs-becs, y vous font donc si peur, Jonas ?

— En tout cas, j’en ai peur pour nous deux, puisque tu es trop bête pour savoir qui ils sont et de quoi ils sont capables.