Выбрать главу

Elle détourna les yeux. C’était une réponse amplement suffisante, dans un sens, mais pas dans un autre. Elle avait été sa propre maîtresse bien trop longtemps là-haut sur sa colline ; il fallait qu’elle apprenne qui était le patron ici, en bas. Se penchant à nouveau, il l’agrippa par l’épaule. Quelle horrible sensation ce fut ! Comme d’empoigner à pleine main un ossement où un semblant de vie palpiterait encore. Mais il se contraignit à ne pas lâcher prise pour autant. Et même à l’affermir. Rhéa eut beau gémir et se tortiller, Jonas tint bon.

— Parle, vieille garce ! Tu vas l’ouvrir ton putain de clapet !

— Ça se pourrait qu’ils sachent, geignit-elle. La fille a peut-être vu quelque chose le soir où elle est venue pour la pr… arrrhh, lâche-moi, tu vas me tuer !

— Si j’avais voulu te tuer, tu serais déjà morte !

Après avoir jeté un dernier regard de langueur vers la boule de cristal, il se redressa sur sa selle et, mettant ses mains en porte-voix, cria :

— Halte, Clay !

Reynolds et Renfrew tirèrent sur les rênes de leurs montures, et Jonas immobilisa les vaqueros qui le suivaient en levant haut la main.

Le vent murmurait dans l’herbe, la courbait, la ridait de sillons, lui tirant de doux effluves. Jonas fixa l’obscurité devant lui, tout en sachant qu’il était stérile de tenter d’apercevoir Dearborn et les autres. Ils pouvaient se trouver n’importe où, Jonas ne prisait guère que les chances soient inégales en cas d’embuscade. Et même pas du tout.

Il alla rejoindre Clay et Renfrew ; ce dernier avait l’air de s’impatienter.

— Quel est le problème ? L’aube va se lever d’une minute à l’autre. Faut aller de l’avant.

— Tu connais les cabanes de la Mauvaise Herbe ?

— Si fait, la plupart. Pourquoi…

— Tu en connais une avec une porte rouge ?

Renfrew opina et montra un point au nord.

— Celle du Vieux Soony. Il s’est comme qui dirait converti à une religion — suite à un rêve ou une vision ou un truc comme ça. C’est pour ça qu’il a peint sa porte en rouge. Il est parti vivre chez les Manni y a cinq ans d’ça.

Il ne redemanda pas pourquoi, du moins ; il avait vu passer sur le visage de Jonas quelque chose qui contribua à tarir ses questions.

Jonas leva la main et observa un instant le cercueil tatoué en bleu qu’elle portait, puis, se retournant, il héla Quint.

— Tu prends la direction des opérations, lui dit-il.

— Moi ? fit Quint, haussant des sourcils broussailleux.

— Ouair. Mais tu ne continues pas… y a eu un changement de plans.

— Qu’est-ce que…

— Écoute-moi sans l’ouvrir sauf si quelque chose t’échappe. Tu vas faire faire demi-tour à cette satanée carriole et sous bonne escorte, lui faire reprendre en vitesse le chemin d’où l’on vient. Et quand tu auras rejoint Lengyll et ses hommes, dis-leur que Jonas lui fait dire que vous devez les attendre, lui, Reynolds et Renfrew, à l’endroit où vous venez de vous retrouver. C’est clair ?

Quint acquiesça. Il avait l’air dépassé par les événements mais ne pipa mot.

— Bien. Alors, exécution. Et dis à la sorcière de ranger son joujou.

Jonas se passa la main sur le front. Cette main qui n’avait que rarement tremblé auparavant était agitée d’un léger frémissement.

— Il est trop dérangeant.

Quint s’éloignait déjà quand Jonas le héla. Il se retourna.

— Je crois que les gamins de l’Intérieur sont dans les parages, Quint. Probablement un peu en avant de là où on est, mais si jamais ils étaient en arrière, le long de ton chemin, ils risquent de vous attaquer à l’improviste.

Quint jeta un regard circulaire — et nerveux — sur l’herbe qui le dépassait d’une bonne tête. Puis lèvres serrées, il reporta son attention sur Jonas.

— Et s’ils vous attaquent, ils essaieront de vous prendre le cristal, poursuivit Jonas. Et, sai, retiens bien ce que je te dis là : ceux qui ne le protégeront pas de leur vie regretteront de ne pas être morts.

Il désigna du menton la file des vaqueros à cheval derrière la carriole noire.

— Dis-le-leur.

— Si fait, patron, dit Quint.

— Dès que vous aurez rejoint la troupe de Lengyll, vous serez en sécurité.

— Combien d’temps on d’vra vous attendre si on vous voit point venir ?

— Jusqu’à ce qu’il gèle en enfer. Va maintenant.

Tandis que Quint s’éloignait, Jonas se tourna vers Reynolds et Renfrew.

— On va se payer un petit détour, les gars, dit-il.

10

— Roland, fit Alain d’un ton pressant, à voix basse. Ils ont fait demi-tour.

— Tu en es sûr ?

— Oui. Il y a un autre groupe qui les suit. Une beaucoup plus grosse troupe. Ils se dirigent vers elle.

— Ils cherchent la sécurité dans le nombre, c’est tout, fit Cuthbert.

— Ils ont le cristal ? demanda Roland. Le shirting te l’indique-t-il, cette fois ?

— Oui, ils l’ont. Ça les rend plus faciles à suivre, même s’ils sont repartis en sens inverse. Une fois qu’on l’a trouvé, il brille comme une lampe dans un puits de mine.

— C’est toujours Rhéa qui veille sur lui ?

— Je crois. C’est affreux d’user le shining sur elle.

— Jonas a peur de nous, conclut Roland. Il veut nous affronter en plus grand nombre. Voilà ce qui se passe, voilà ce qui doit se passer.

Il était loin de se douter que sa supposition était à la fois juste et terriblement erronée. Il était également loin de se douter qu’il venait de retomber — comme de rares fois depuis que tous trois avaient quitté Gilead — dans l’une de ses désastreuses crises de certitude adolescente.

— Qu’est-ce qu’on fait ? demanda Alain.

— Rien. On attend, à l’affût du moindre bruit. S’ils se dirigent vers la Roche Suspendue, ils seront forcés de passer par ici avec le cristal.

— Et Susan ? s’enquit Cuthbert. Susan et Sheemie ? Qu’est-ce qu’ils deviennent dans tout ça ? Comment on saura si tout va bien de leur côté ?

— Je suppose qu’on n’en saura rien.

Roland s’assit en tailleur, les rênes de Flash lui traînant sur les genoux.

— Mais Jonas et ses hommes ne vont pas tarder à revenir. Et, à ce moment-là, on fera ce qu’on doit.

11

Susan n’avait point voulu dormir à l’intérieur de la cabane — s’y trouver sans Roland lui semblait une anomalie. Laissant Sheemie pelotonné sous le tas de vieilles peaux, elle était sortie avec ses couvertures. Elle était restée assise sur le seuil un petit moment, les yeux levés vers les étoiles et avait prié pour Roland à sa manière. Quand elle se sentit un peu rassérénée, elle s’étendit sur l’une des couvertures et remonta l’autre jusqu’au menton. Une éternité lui paraissait s’être écoulée depuis que Maria l’avait tirée de son lourd sommeil et les ronflements glottaux, bouche ouverte, qui s’échappaient de la cabane ne la gênèrent pas vraiment. Elle s’endormit la tête sur son bras replié et ne s’éveilla pas quand, vingt minutes plus tard, Sheemie parut sur le seuil et, après l’avoir regardée en clignant de sommeil, gagna l’herbe haute pour y pisser. Le seul à remarquer la présence de Sheemie fut Caprichoso qui, allongeant le cou, donna un petit coup de naseau dans le fondement de Sheemie, quand celui-ci passa à sa portée. Le simplet, dormant à moitié debout, le repoussa machinalement de la main. Il connaissait par cœur tous les tours de Capi, si fait.