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Le vent hurlait de solitude, soufflant de grosses rafales de poussière granuleuse sous un ciel bleu noir sans nuages. La Lune du Démon avait l’œil fixe et voilé d’une taie de cadavre. À deux cents mètres devant eux, l’arrière-garde de la colonne de Jonas était formée de trois cavaliers avançant de front, sombreros enfoncés sur le crâne, épaules courbées, ponchos flottant au vent.

Roland fit en sorte que Cuthbert chevauche au centre de leur trio. Bert avait sa fronde en main. Il tendit à Alain une demi-douzaine de billes d’acier et le même nombre à Roland. Puis il haussa le sourcil de façon interrogative. Roland opina et ils poussèrent leurs chevaux en avant.

De crépitants rideaux de poussière les balayait, transformant parfois les trois cavaliers de queue en êtres fantomatiques, parfois les dérobant complètement à la vue, mais les garçons ne cessaient de les talonner. Roland était tendu, s’attendant que l’un d’eux se retourne sur sa selle et les aperçoive — mais aucun ne risqua un œil, peu désireux d’offrir son visage à ce vent de sable abrasif. Nul bruit ne pouvait non plus les alerter : une épaisse couche de sable durci étouffait à présent les sabots des chevaux.

Quand ils furent à vingt mètres à peine de l’arrière-garde, Cuthbert fit un signe de tête affirmatif — ils étaient assez près pour qu’il se mette à l’ouvrage. Alain lui tendit une bille. Bert, droit comme un i sur sa selle, la laissa tomber dans la poche de sa fronde, se mit en position de tir, attendit que le vent tombe et lâcha tout. Le cavalier de gauche sursauta comme si on l’avait piqué, esquissa un geste de la main et vida les étriers. De façon incroyable, aucun de ses deux compañeros ne parut remarquer sa chute. Roland crut distinguer un embryon de réaction chez le cavalier de droite, mais Bert tirait de nouveau et celui du milieu s’affala sur l’encolure de son cheval. Le cheval en question, effrayé, se cabra. Et son cavalier, son sombrero dégringolant, bascula en arrière, puis chuta. Le vent tomba suffisamment pour que Roland entende craquer son genou quand son pied se prit dans l’étrier.

Le troisième cavalier se retourna à demi. Roland entrevit un visage barbu — une cigarette non allumée par suite du vent lui pendouillant à la lèvre, l’œil rond — puis entendit à nouveau le zing de la fronde de Cuthbert. L’œil rond céda la place à une orbite rouge. Le cavalier glissa de sa selle, cherchant à tâtons — et en vain — le pommeau.

Trois de moins, se dit Roland.

Il éperonna Flash jusqu’au galop, imité par les autres. Les trois garçons se ruèrent en avant dans un nuage de poussière à un étrier de distance. Les chevaux de l’arrière-garde qu’ils venaient de prendre en embuscade tournèrent bride ensemble en direction du sud, ce qui était une bonne chose. Des chevaux sans cavaliers ne faisaient d’habitude sourciller personne à Mejis, mais s’ils étaient sellés…

D’autres cavaliers les précédaient : le premier était solitaire, deux autres chevauchaient côte à côte, enfin venait un dernier, isolé lui aussi.

Roland sortit son couteau et rejoignit celui qui fermait maintenant la colonne sans le savoir.

— Quoi de neuf ? lui demanda-t-il sur le ton de la conversation.

Quand l’homme se tourna vers lui, Roland lui plongea le couteau en pleine poitrine.

Les yeux bruns du vaquero devinrent béants au-dessus du bandana qu’il s’était remonté — genre hors-la-loi — sur le bas du visage, puis il vida ses étriers.

Cuthbert et Alain le dépassèrent et Bert, sans ralentir l’allure, régla son compte aux deux qui allaient devant, avec sa fronde. Celui qui les précédait perçut quelque chose malgré le vent et pivota sur sa selle. Alain avait lui aussi dégainé son couteau et le tenait maintenant par l’extrémité de sa lame. Il le lança avec force, lui imprimant ce mouvement exagéré de tout le bras qu’on leur avait appris, et bien que la distance fût grande pour ce genre d’exploit — cinq à six mètres et par temps venteux — il ne rata pas sa cible. Le couteau se ficha jusqu’au manche dans le bandana de l’homme. Le vaquero y porta une main flageolante, émettant des gargouillis étouffés, avant d’être désarçonné à son tour.

Et de sept.

Comme les mouches dans l’histoire du Vaillant Petit Tailleur, songea Roland. Son cœur lui cognait dans la poitrine, mais à son rythme régulier. Il rejoignit Alain et Cuthbert. Le vent poussa une rafale gémissante et solitaire. Du sable vola, tourbillonna, puis retomba en même temps que le vent. Devant eux, trois autres cavaliers. Et devant ceux-là, le gros de la troupe.

Roland, montrant du doigt les trois suivants, fit mine de tendre la fronde. Puis pointant au-delà de ces derniers, fit mine de décharger un revolver. Cuthbert et Alain approuvèrent. Ils poussèrent leurs montures en avant, à nouveau étrier à étrier, se rapprochant de ceux qui les précédaient.

22

Bert régla leur compte sans bavure à deux des trois cavaliers, mais le troisième fit un écart au mauvais moment et la bille d’acier, destinée à le frapper à la nuque, se contenta de lui cisailler le lobe de l’oreille. Roland avait dégainé entre temps et logé une balle dans la tempe de l’homme quand il se tourna. Cela faisait dix, un bon quart du contingent de la colonne de Jonas et cela, avant même qu’une prise de conscience du danger ait eu lieu chez leurs adversaires. Roland ignorait totalement si cela représentait un avantage suffisant, mais il savait que la première partie du boulot était faite. Plus question désormais d’être furtif, il fallait passer au carnage pur et simple.

Sus ! Sus ! cria-t-il d’une voix retentissante. À moi, pistoleros ! À moi ! Mettez-les à bas ! Et pas de quartier !

Ils foncèrent à grands coups d’éperon vers le gros de la troupe, livrant bataille pour la première fois de leur vie, fondant sur leur proie comme des loups sur des moutons, se mettant à tirer à tout va avant que les hommes devant eux aient eu la moindre idée de ce qui les prenait à revers ou même tout bonnement de ce qui leur arrivait. Les trois garçons avaient suivi un entraînement de pistoleros et ce qui leur manquait en expérience, l’œil vif et les réflexes de leur jeunesse le compensaient amplement. Sous le feu nourri de leurs armes, le désert à l’est de la Roche Suspendue se transforma en abattoir.

Hurlant et tirant à tout va, nul d’entre eux ne voyant plus loin que son doigt posé sur la détente, ils fendirent par surprise les rangs du groupe comme une lame à triple fil. Sans faire nécessairement mouche, aucun de leurs coups de feu n’était absolument perdu non plus. Des cavaliers dégringolaient de leur selle et, leurs bottes empêtrées dans les étriers, se retrouvaient traînés par leurs chevaux emballés ; d’autres, morts ou simplement blessés, se faisaient piétiner par les sabots de leurs montures qui se cabraient, saisies de panique.

Roland allait et ses deux revolvers dégainés crachaient le feu. Il tenait entre ses dents les rênes de Flash pour les empêcher de glisser et éviter ainsi qu’elles ne fassent trébucher le cheval. Son tir cueillit deux hommes à sa gauche et deux autres, à sa droite. Devant eux, Brian Hookey pivota sur sa selle, sa face salie de barbe allongée par la stupeur. Autour de son cou, une amulette de la Moisson en forme de cloche tintinnabulait alors qu’il tentait de s’emparer du fusil passé en bandoulière à l’une de ses robustes épaules de forgeron. Avant même qu’il ait pu poser la main sur la crosse, Roland fit voler au loin la clochette d’argent pendouillant sur sa poitrine et exploser le cœur juste en dessous. Hookey piqua du nez et vida ses étriers avec un grognement sourd.