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Cuthbert rattrapa Roland sur sa droite et descendit deux autres hommes. Il lança à Roland un sourire carnassier.

— Al avait raison ! hurla-t-il. Ce sont de bons calibres !

Roland et ses doigts de fée remplissaient leur office avec maestria, faisant tourner les barillets et les rechargeant, sans cesser de chevaucher au grand galop — et cela, à une effroyable vitesse, quasi surnaturelle — pour mieux recommencer à tirer. À présent, les trois garçons s’étaient presque entièrement frayé un passage à travers la colonne, galopant sans désemparer et fauchant quantité d’hommes de part et d’autre, aussi bien que devant eux, pour s’ouvrir la route. Alain se laissa légèrement distancer et fit virer son cheval pour couvrir les arrières de Roland et Cuthbert.

Roland aperçut Jonas, Depape et Lengyll tirant sur les rênes et faisant volte-face pour affronter leurs assaillants. Lengyll se débattait avec sa mitraillette, dont la courroie s’était emberlificotée dans le grand col de son cache-poussière, si bien qu’à chaque nouvelle tentative qu’il faisait pour s’en saisir, l’arme tressautait hors d’atteinte. Sous sa grosse moustache blonde parsemée de gris, Lengyll tordait la bouche de fureur.

Soudain, Hash Renfrew, un énorme cinq-coups à l’acier bleui à la main, vint s’interposer entre ces trois-là et le duo Roland-Cuthbert.

— Les dieux vous maudissent ! s’écria Renfrew. Sales baiseurs de vos sœurs !

Lâchant les rênes, il cala son cinq-coups à la saignée du bras. Le vent soufflait méchamment, l’enveloppant de tourbillons de poussière brunâtre.

L’idée de battre en retraite n’effleura pas Roland pas plus que celle de danser de-ci, de-là sur sa selle. Il avait en fait le cerveau vide. La fièvre s’était emparée de lui et brûlait en lui comme une torche dans un manchon de verre. Hurlant, malgré les rênes coincées entre ses dents, il fonça au galop vers Hash Renfrew et les trois hommes derrière lui.

23

Jonas n’eut pas une vue très claire de ce qui se passait jusqu’à ce qu’il entende Will Dearborn hurler : Sus ! À moi, pistoleros ! Et pas de quartier ! Un cri de guerre qu’il connaissait depuis fort longtemps. Alors tout se remettant en place, le crépitement des coups de feu eut un sens pour lui. Il serra la bride à sa monture qu’il fit pivoter, vaguement conscient que Roy à ses côtés l’imitait… mais conscient par-dessus tout du cristal dans le sac, cet objet à la fois puissant et fragile, qui ballait contre l’encolure de son cheval.

— C’est ces saletés de gamins ! s’exclama Roy.

Sa surprise complète lui donnait un air plus bête que jamais.

— Dearborn ! Espèce de salopard ! cracha Hash Renfrew, et l’arme qu’il tenait à la main tonna une seule fois.

Jonas vit le sombrero de Dearborn emporté comme par un coup de dents. Puis le gamin se mit à tirer — et c’était un bon tireur, meilleur que tout autre que Jonas eût rencontré dans sa vie. Renfrew fut désarçonné en retour, bascula en arrière en ruant des deux jambes, sans lâcher son arme monstrueuse dont il tira deux coups vers le ciel bleu poussiéreux avant d’atterrir sur le dos, puis de rouler, mort, sur le flanc.

Lengyll, renonçant à empoigner sa mitraillette, ne put que fixer sans y croire l’apparition surgie du vent de sable qui fonçait sur lui.

— Arrière ! cria-t-il. Au nom de l’Association du Cavalier, je vous ordonne…

C’est alors qu’un large trou noir apparut au milieu de son front, juste au-dessus du point où ses sourcils s’embroussaillaient. Il leva vivement les mains, toutes paumes dehors, comme en signe de reddition. Ce fut ainsi qu’il mourut.

— Fils de pute, petit salopard qui baise sa sœur ! beugla Depape, tout en s’escrimant à dégainer.

Son revolver se prit dans son poncho. Il était encore en train de tenter de le libérer quand une balle tirée par Roland lui fendit la bouche en un cri rouge et muet presque jusqu’à la pomme d’Adam.

Impossible que des choses pareilles se produisent ! Je vais me réveiller ! songea stupidement Jonas. Impossible, nous sommes beaucoup trop nombreux pour ça.

Et pourtant, cela se produisait bien en réalité. Les gamins du Monde de l’Intérieur avaient frappé avec une précision infaillible à la ligne de fracture et se livraient à une démonstration digne du manuel de la façon dont les pistoleros menaient une attaque quand ils avaient le nombre contre eux. Et la coalition de rancheros, cow-boys et durs à cuire de la ville réunie par Jonas avait volé en éclats. Les survivants s’égaillaient aux quatre points cardinaux, éperonnant leurs chevaux comme si une légion de démons libérés des enfers était à leurs trousses. Ils étaient loin d’être légion, mais se battaient comme cent. Des corps avaient mordu la poussière un peu partout et Jonas aperçut alors celui qui couvrait leurs arrières — Stockworth — descendre encore un homme sous ses yeux, en lui logeant une balle dans la tête. Dieux de la terre, se dit-il, c’était Croydon, le propriétaire du Piano Ranch !

Sauf qu’il n’était plus propriétaire de rien du tout à présent.

Puis ce fut au tour de Dearborn de foncer, l’arme au poing, sur Jonas.

Ce dernier s’empara du pochet enroulé autour du pommeau de sa selle et le dénoua en deux coups de poignet. Il leva le sac au-dessus de sa tête, dans les airs, montrant les dents, sa longue crinière blanche flottant au vent.

— Si tu approches encore, je le brise ! Et je ne plaisante pas, satané blanc-bec ! Reste où tu es !

Roland lancé au plein galop n’hésita pas une seconde, ne s’accorda pas un instant de réflexion ; ses mains pensaient à sa place, maintenant, et quand il se remémora tout cela plus tard, ce fut d’une façon bizarrement déformée, lointaine et silencieuse, comme s’il regardait dans un miroir fêlé… ou le cristal d’un magicien.

Jonas songea : Mes dieux, c’est lui ! C’est Arthur l’Aîné qui vient me chercher en personne !

Et à l’instant où la bouche du canon du revolver de Roland s’ouvrait à sa vue comme l’entrée d’un tunnel ou d’un puits de mine, Jonas se rappela ce que le morveux lui avait dit dans la cour poussiéreuse du ranch calciné : L’âme d’un homme tel que toi ne peut jamais quitter l’Ouest.

Je le savais, pensa Jonas. Même alors, je savais déjà que mon ka était bel et bien épuisé. Mais il ne voudra assurément pas mettre en péril le cristal… il ne peut pas courir ce risque, il est le dinh de ce ka-tet, et comme tel il ne peut pas courir ce risque…

— À moi ! cria Jonas. À moi, les gars ! Ils ne sont que trois, aux noms des dieux ! À moi, bande de lâches !

Mais il était complètement seul — Lengyll tué, flanqué de son absurde mitraillette, Roy, rien qu’un cadavre fixant d’un œil furibond le ciel implacable, Quint enfui, Hookey mort, les rancheros qui les avaient escortés n’étaient plus. Seul Clay vivait encore mais se trouvait à des lieues d’ici.

— Je vais le briser ! cria-t-il au garçon à l’œil glacial qui fonçait sur lui tel l’instrument de mort le mieux huilé. J’en prends tous les dieux à témoin, je vais…