Выбрать главу

— Andelay, dit le plus âgé des deux, fixant à nouveau Maria. Il ne s’embarrassa plus du sabir.

— Surveillez cette porte, lui dit-il.

— Avec des yeux d’aigle, opina-t-elle.

Les deux vieillards sortirent en hâte, l’un d’eux, les doigts noués sur les cordes de ses bolas, l’autre tirant un coutelas de la gaine pendant à sa ceinture.

À peine entendit-elle résonner leurs pas dans l’escalier au bout du couloir qu’Olive fit signe à Maria et les deux femmes traversèrent la pièce. Maria tira les verrous et Olive ouvrit la porte. Susan sortit aussitôt, les regarda l’une et l’autre, avec un sourire indécis. Maria contempla bouche bée le visage enflé et les croûtes de sang autour du nez de sa maîtresse.

Susan saisit la main de Maria avant que la petite bonne ne lui effleure le visage, lui pressa gentiment les doigts.

— Tu crois que Thorin voudrait encore de moi, maintenant ? lui dit-elle avant de prendre pleinement conscience de qui était son autre sauveteuse.

— Pardon, Olive… sai Thorin… loin de moi l’intention de me montrer cruelle. Mais sachez que Roland, celui que vous connaissez sous le nom de Will Dearborn n’aurait jamais…

— Je le sais parfaitement, dit Olive. Mais le moment est mal choisi pour en parler. Venez.

Maria et elle entraînèrent Susan hors de la cuisine et, à l’opposé des escaliers menant au corps principal du bâtiment, vers les magasins, à l’extrémité nord du niveau inférieur. Une fois à la penderie de réserve, Olive demanda à ses deux compagnes de patienter. Elle ne s’absenta tout au plus que cinq minutes, mais Susan et Maria eurent l’impression qu’elle n’en finissait pas.

À son retour, Olive était affublée d’un poncho aux couleurs vives bien trop grand pour elle — il aurait pu appartenir à son mari, mais Susan se fit la remarque qu’il aurait été également trop grand pour feu le Maire. Olive en avait coincé un pan dans son jean pour éviter de s’y prendre les pieds. Elle en portait deux autres, plus petits et plus légers, pliés sur le bras comme des couvertures.

— Mettez ça, dit-elle. Il va faire froid.

Quittant la penderie, elles enfilèrent un étroit couloir de service menant à l’arrière-cour. Là, avec un peu de chance (et si Miguel était toujours endormi), Sheemie les attendrait avec des chevaux. Olive espérait de tout son cœur qu’elles auraient cette chance. Elle tenait à ce que Susan soit en sécurité loin d’Hambry avant le coucher du soleil.

Et avant le lever de la lune.

10

— Susan a été faite prisonnière, dit Roland aux autres tandis qu’ils s’acheminaient à l’ouest vers la Roche Suspendue. C’est la première chose que j’ai vue dans le cristal.

Il parlait d’un air tellement absent que Cuthbert faillit tirer sur les rênes. Ce n’était plus là l’amant fougueux de ces derniers mois. Un peu comme si Roland avait trouvé le moyen de parcourir en rêve l’atmosphère rose contenue dans le cristal et qu’une partie de lui continuait. Ou bien est-ce le cristal qui le parcourt, lui ? se demanda Cuthbert.

— Quoi ? s’exclama Alain. Susan, capturée ? Comment ça ? Par qui ? Elle n’a rien ?

— C’est Jonas qui l’a prise. Elle est blessée, mais pas grièvement. Elle guérira… et elle vivra. Je tournerais bride sur le champ si je croyais sa vie vraiment en danger.

Devant eux, masquée et démasquée successivement par le sable, tel un mirage, se dressait la Roche Suspendue. Cuthbert apercevait le soleil piqueter les citernes d’étincelles embrumées, des hommes, aussi. En nombre. Beaucoup de chevaux, également. Il flatta l’encolure de sa monture, puis lança un coup d’œil en biais pour s’assurer qu’Alain avait fait suivre la mitraillette de Lengyll. Oui, il l’avait bien. Dans la foulée, Cuthbert porta la main au bas de son dos pour s’y confirmer la présence de sa fronde. Elle aussi était bien là. Ainsi que son sac en daim contenant les munitions, et à présent, outre ses projectiles d’acier, un certain nombre des big bangueurs volés par Sheemie.

Il emploie toute son énergie à s’empêcher de rebrousser chemin, songea Cuthbert, trouvant cette idée réconfortante — parfois Roland le terrorisait. Il avait en lui quelque chose qui outrepassait l’acier le mieux trempé. Quelque chose qui avait à voir avec la folie. Quand sa présence en lui était identifiée, on était heureux de l’avoir dans son camp… mais assez souvent, on aurait préféré son absence. Dans les deux camps.

— Où est-elle ? demanda Alain.

— Reynolds l’a ramenée à Front de Mer. Elle est sous clé dans la resserre… ou l’était, du moins. Je ne saurais trancher parce que…

Roland s’interrompit et s’offrit une pause de réflexion.

— Le cristal voit loin, mais parfois, il voit davantage. Parfois, il voit un futur déjà en train de se produire.

— Qu’est-ce que tu veux dire ? Comment le futur peut-il être déjà en train de se produire ? demanda Alain.

— J’en sais rien, et je crois pas qu’il en soit toujours allé ainsi. Je pense que ça a davantage à voir avec le monde qu’avec l’Arc-en-Ciel de Maerlyn. Le temps est étrange, désormais. On est bien placés pour le savoir, non ? Comme les choses semblent parfois… déraper. On dirait presque que la tramée est partout, qu’elle altère toute chose. Mais Susan est saine et sauve. Je le sais, et ça me suffit. Sheemie va l’aider… ou l’aide déjà. Sheemie a échappé à Jonas, les dieux savent comment, et il a suivi Susan jusqu’au bout.

— Bravo, Sheemie ! fit Alain brandissant le poing. Hourra ! Puis : « Et nous ? Tu nous as vus dans le futur ? »

— Non. Cette partie est allée beaucoup trop vite — j’ai à peine eu le temps de jeter un coup d’œil avant que le cristal ne m’entraîne. Ne me balaie, devrais-je dire. Mais… j’ai vu de la fumée à l’horizon. Je me souviens de ça. C’était peut-être celle des citernes en flammes ou bien celle des broussailles empilées à l’entrée de Verrou Canyon. Ou même celle des deux. Je crois que nous allons réussir.

Cuthbert dévisagea son vieil ami, saisi d’une bizarre angoisse. Le jeune homme si profondément amoureux que Bert avait dû l’étendre d’un coup de poing dans la poussière de la cour du Bar K afin de le rappeler à ses responsabilités… Où était passé ce jeune homme, exactement ? Qu’est-ce qui l’avait transformé, lui donnant ces mèches de cheveux blancs si dérangeantes ?

— Si nous survivons à ce qui nous attend, reprit Cuthbert, regardant attentivement le Pistolero, elle nous rejoindra sur la route. N’est-ce pas, Roland ?

Il lut la souffrance sur le visage de son ami et comprit soudain : l’amoureux était toujours là, mais le cristal lui avait dérobé sa joie, ne lui laissant que le chagrin. Oui, plus autre chose — un nouveau but ; Cuthbert ne le sentait que trop —, mais il restait à déterminer.

— Je ne sais pas, répondit Roland. J’en viens presque à espérer que non, parce que nous serons plus jamais comme nous avons été.

— Quoi ?

Cette fois, Cuthbert tira sur les rênes et arrêta sa monture.

Roland le regarda assez calmement, mais il avait maintenant des larmes plein les yeux.

— Nous sommes les bouffons du ka, dit le Pistolero. Le ka est comme le vent, c’est ce que dit Susan.

Il regarda d’abord Cuthbert sur sa gauche, puis Alain sur sa droite.

— La Tour est notre ka ; le mien, en particulier. Mais ce n’est pas celui de Susan, pas plus qu’elle n’est mienne. John Farson n’est pas davantage notre ka. Nous n’allons pas affronter ses hommes pour provoquer sa défaite, mais uniquement parce qu’ils sont sur notre chemin.