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Les hommes fuyaient en débandade — certains à pied, d’autres couchés sur l’encolure de leurs canassons, le regard béant de panique.

Une fois arrivé au bout de la colonne de citernes, Alain inversa la manœuvre. La mitraillette lui brûlait les doigts, à présent, mais il ne relâcha pas la détente pour autant. En ce bas monde, il fallait utiliser tout ce qui vous tombait sous la main tant que ça fonctionnait encore. Le cheval, sous lui, galopait comme s’il avait compris le moindre mot qu’Alain lui avait murmuré à l’oreille.

Une autre ! Il m’en faut une autre !

Mais avant qu’il ait pu faire sauter une nouvelle citerne, l’arme se tut — elle s’enraya peut-être, ou bien était-elle vide. Alain s’en débarrassa et dégaina son revolver. Près de lui, zing, sifflait la fronde de Cuthbert, audible malgré les cris des hommes, les sabots des chevaux, le ronflement de la citerne en flammes. Alain suivit des yeux un big bangueur qui, après avoir décrit un arc crachotant dans le ciel, tomba à l’endroit précis qu’avait visé Cuthbert : dans la mare de pétrole qui baignait les roues d’une citerne marquée SUNOCO. Un instant, Alain put distinguer clairement la dizaine de trous qui pointillaient le revêtement de la citerne — trous dont il était l’auteur, grâce à la mitraillette de sai Lengyll — puis le big bangueur explosa avec un craquement et un éclair. Un instant plus tard, l’enfilade de trous sur le flanc de la citerne se mit à miroiter : le pétrole juste en dessous prenait feu.

— Tirez-vous ! hurla un homme au couvre-chef de campagne décoloré. Elle va sauter ! On va tous sau…

Alain lui tira dessus, lui explosant la moitié du visage et l’étendant pour le compte d’un coup de sa vieille botte crevassée. L’instant d’après, la seconde citerne sauta. Un panneau d’acier enflammé gicla latéralement, atterrit dans la flaque de pétrole brut qui s’agrandissait sous une troisième citerne qui, à son tour, explosa. Des nuées de fumée noire montèrent dans l’air comme celles d’un bûcher funéraire ; elles obscurcirent le jour en tirant un voile graisseux devant le soleil.

15

On avait fait à Roland — en même temps qu’aux quatorze autres apprentis pistoleros — une description précise des six principaux lieutenants de Farson sans exception ; aussi reconnut-il sans hésiter celui qui courait vers la remuda : George Latigo. Roland aurait pu le faucher dans sa course, mais l’ironie voulait qu’en ce cas, cela leur ménagerait une échappatoire plus évidente qu’il ne le souhaitait.

Il tua à la place l’homme qui courait à la rencontre de Latigo.

Ce dernier, pivotant sur ses talons, fusilla Roland d’un regard plein de haine. Puis il se remit à courir, hélant un autre homme, criant en direction des cavaliers qui s’étaient regroupés tant bien que mal au-delà de la zone d’incendie.

Deux autres citernes explosèrent, martelant avec des poings d’acier les tympans de Roland à qui il sembla que l’air de ses poumons était aspiré par une lame de fond. Le plan voulait qu’Alain perfore les citernes et que Cuthbert les bombarde ensuite d’un tir nourri de big bangueurs qui enflammeraient les fuites de pétrole. Le pétard que ce dernier tira bientôt parut confirmer que ce plan était parfaitement réalisable, mais ce fut la dernière fois que Cuthbert eut recours à sa fronde, ce jour-là. Si la facilité avec laquelle les pistoleros avaient infiltré le périmètre de l’ennemi et la confusion provoquée par leur charge dès l’origine pouvaient être attribuées au manque d’expérience et à l’épuisement, la disposition des citernes était une erreur qui revenait à Latigo, et à lui seul. Il les avait fait ranger serré sans même y réfléchir et, à présent, elles explosaient à la chaîne. Une fois la conflagration déclenchée, il n’existait plus la moindre chance de l’arrêter. Avant même que Roland ne lève le bras gauche et n’en brasse l’air pour signifier à Alain et à Cuthbert de s’en tenir là, leur tâche était remplie. Le campement pétrolier de Latigo n’était plus qu’un brasier et les plans d’assaut motorisé de John Farson s’envolaient en volutes de fumée noire que déchiquetait en lambeaux le vent de la fin de año.

— En avant ! cria Roland. En avant, en avant, en avant !

Ils éperonnèrent leurs montures à bride abattue en direction de l’ouest, vers Verrou Canyon. Tandis qu’ils s’éloignaient, Roland sentit à un moment une balle lui frôler en bourdonnant l’oreille gauche. Ce fut, à sa connaissance du moins, le seul coup de feu tiré sur eux au cours de l’attaque des citernes.

16

Latigo était dans un état de fureur quasi extatique, une rage si parfaite qu’elle menaçait de lui faire sauter les neurones, ce qui fut probablement une bénédiction pour lui… car cela l’empêcha de se demander quelle serait la réaction de l’Homme de Bien en apprenant ce fiasco. Pour le moment présent, tout ce dont se souciait Latigo, c’était de capturer les hommes qui lui avaient tendu cette embuscade… si une embuscade en plein désert était simplement concevable.

Les hommes ? Non.

Les garçons qui avaient fait ça.

Latigo savait très bien qui ils étaient ; s’il ignorait comment ils s’étaient retrouvés dans le coin, il savait parfaitement de qui il s’agissait et leur équipée allait s’arrêter ici même, à l’est des bois et du contrefort des collines.

— Hendricks ! brailla-t-il.

Ce dernier au moins avait fait en sorte de garder ses hommes — une demi-douzaine, et tous à cheval — près de la remuda.

— À moi, Hendricks !

Alors qu’Hendricks s’avançait vers lui, Latigo pirouetta dans l’autre sens et aperçut un petit groupe qui restait là à regarder brûler les citernes. Leurs bouches béantes et leurs figures de jeunes débiles lui donnèrent envie de hurler en piétinant le sol, mais il refusa de se livrer à une telle démonstration. Il maintenait un maigre rayon de concentration sur les auteurs du raid, qu’il ne devait sous aucun prétexte laisser s’échapper.

— Vous ! hurla-t-il en direction des hommes.

Seul l’un d’eux se retourna ; Latigo se dirigea vers eux à grandes enjambées, dégainant son pistolet chemin faisant. Il le fourra dans la main de celui qui s’était retourné au son de sa voix et désignant au hasard l’un de ceux qui n’avaient pas bougé, lui ordonna :

— Descends-moi ce con.

Le visage hébété, tel un homme qui se croit en train de rêver, le soldat leva le pistolet et tua celui que Latigo avait pointé du doigt. L’infortuné s’abattit dans un méli-mélo convulsif des abattis. Les autres se retournèrent.

— Bien, fit Latigo, récupérant son arme.

— Chef ! s’écria Hendricks. Je les vois, chef ! Je vois l’ennemi à découvert !

Deux autres citernes explosèrent. Quelques échardes métalliques volèrent en hennissant dans leur direction. Certains baissèrent la tête ; Latigo ne broncha pas. Pas plus qu’Hendricks. Un bon élément. Que Dieu soit loué qu’il y en ait au moins un de sa trempe au milieu de ce cauchemar.