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Juste en dessous, un petit dessin :

Eddie ramena ce petit mot aux autres qui n’avaient pas cessé de se restaurer pour autant. Ils l’examinèrent chacun à son tour. Roland le prit en dernier, passa rêveusement son pouce à la surface, tâtant la texture du papier, puis le rendit à Eddie.

— R.F., dit Eddie. L’homme qui chapeautait Tic-Tac. C’est de lui, n’est-ce pas ?

— Oui. C’est lui qui a dû faire échapper l’Homme Tic-Tac de Lud.

— Bien sûr, fit Jake, l’air sombre. Ce bonhomme, Flagg, m’a tout l’air de savoir reconnaître un bi d’honneur au carré quand il en voit un. Mais comment ont-ils fait pour arriver jusqu’ici avant nous ? Qu’est-ce qui pourrait aller plus vite que Blaine le Mono, nom de bleu ?

— Une porte, dit Eddie. Peut-être qu’ils ont emprunté une de ces portes spéciales.

— Bingo ! fit Susannah.

Elle tendit la main, paume vers le ciel et Eddie la claqua de la sienne.

— En tout cas, le conseil qu’il nous suggère n’est pas mauvais, dit Roland. Et je vous encourage à le prendre très au sérieux. Si vous désirez revenir dans votre monde, je ne m’y opposerai pas.

— Je ne peux pas te croire, Roland, dit Eddie. Après que tu nous as traînés ici, Suzie et moi, à nos corps défendants ? Tu sais ce que mon frère aurait dit à ton sujet ? Que tu es aussi peu crédible qu’un cochon sur des patins à glace.

— Ce que j’ai fait, je l’ai fait avant de vous connaître et que vous deveniez mes amis, rétorqua Roland. Avant que j’apprenne à vous aimer comme j’aimais Alain et Cuthbert. Et avant que je sois forcé de… revivre certaines scènes. Et avoir fait ça, ça m’a…

Il s’interrompit, les yeux fixés sur ses pieds (il avait remis ses vieilles bottes) et profondément absorbé dans ses pensées. Il finit par relever la tête.

— Une partie de mon être n’avait pas bougé ni ne s’était exprimée depuis de nombreuses années. Je croyais qu’elle était morte. Mais non, elle ne l’est pas. J’ai appris à aimer de nouveau et je suis conscient que c’est probablement ma dernière chance d’aimer. Je suis peut-être lent — Vannay et Cort le savaient ; mon père aussi — mais pas idiot.

— Alors, n’agis pas comme si tu l’étais, dit Eddie. Et ne nous traite pas comme si nous l’étions.

— Résultat des courses, comme tu dis, Eddie : j’ai causé la mort de mes amis. Et je ne suis pas certain de pouvoir me permettre de refaire courir ce risque à quiconque. À Jake, en particulier… je… peu importe. Je n’ai pas les mots. Pour la première fois depuis que j’ai fait volte-face dans une chambre obscure et que j’ai tué ma mère, j’ai peut-être découvert quelque chose de plus important que la Tour. Restons-en là.

— Très bien, je crois que je peux respecter ça.

— Moi aussi, dit Susannah. Mais Eddie a raison à propos du ka.

Elle prit le petit mot et passa un doigt à sa surface, pensivement.

— Roland, tu ne peux pas en parler — du ka, je veux dire — puis tourner casaque et revenir là-dessus, simplement parce que la volonté de te consacrer à ta quête connaît une baisse de régime.

— La volonté de se consacrer à sa quête, c’est désigner la chose de façon positive, observa Roland. Il y a aussi une façon négative de la voir que résume le mot obsession.

Elle écarta sa remarque d’un haussement d’épaules impatient.

— Chouchou, soit le ka est derrière toute l’affaire, soit il n’est absolument pour rien là-dedans. Et si terrifiant que puisse être le ka — cette idée d’un destin à l’œil d’aigle et au nez de chien limier —, je trouve encore plus terrifiante l’idée qu’il n’y ait pas de ka.

Elle jeta le mot signé R.F. sur l’herbe foulée.

— Peu importe comment on l’appelle, on n’en est pas moins bel et bien mort quand il vous écrase, dit Roland. Rimer… Thorin… Jonas… ma mère… Cuthbert… Susan. Il n’y a qu’à demander à n’importe lequel d’entre eux. Si seulement on pouvait !

— Tu passes à côté du plus important, fit Eddie. Tu ne peux pas nous renvoyer. Tu ne comprends pas ça, espèce de grand flandrin ? Même s’il existait une porte, on voudrait pas la franchir. Je me trompe ?

Il interrogea Jake et Susannah du regard. Ils firent non de la tête. Même Ote les imita. Non, il ne se trompait pas.

— Nous avons changé… reprit Eddie. Nous…

C’était à son tour maintenant de ne savoir comment continuer. Comment exprimer son désir de voir la Tour… et son autre désir, non moins fort, de continuer à porter le revolver aux incrustations de santal. Le gros pétard, comme il en était venu à le désigner en son for intérieur. Comme dans cette vieille chanson de Marty Robbins qui parlait de l’homme au gros pétard sur la hanche.

— C’est le ka, fit-il, à défaut d’une autre notion assez vaste pour recouvrir le tout.

— Ka ka, répliqua Roland, après mûre réflexion.

Les trois autres le dévisagèrent, bouche bée.

Roland de Gilead venait de lancer une vanne.

4

— Il y a une chose que je ne comprends pas dans ce que nous avons vu, fit Susannah avec hésitation. Pourquoi ta mère se cachait-elle derrière cette tenture quand tu es entré, Roland ? Est-ce qu’elle avait l’intention de…

Elle se mordit la lèvre, puis formula la chose.

— Est-ce qu’elle avait l’intention de te tuer, toi ?

— Si telle était son intention, elle n’aurait pas choisi une ceinture comme arme. Le simple fait qu’elle m’ait fabriqué un cadeau — car c’en était un, il portait mes initiales brodées — suggère qu’elle voulait me demander pardon. Qu’elle avait changé dans son cœur.

Est-ce que tu le sais seulement ou bien c’est ce que tu veux croire ? songea Eddie. Mais il ne poserait jamais cette question. Roland avait été assez éprouvé comme ça, avait gagné leur retour sur le Sentier du Rayon en revivant cette ultime et terrible visite à l’appartement de sa mère, c’était amplement suffisant.

— Je crois qu’elle s’est cachée parce qu’elle avait honte, dit le Pistolero. Ou bien parce qu’elle avait besoin de réfléchir un instant à ce qu’elle allait me dire. Comment m’expliquer.

— Et le cristal ? lui demanda Susannah gentiment. Était-il sur la coiffeuse, là où nous l’avons vu ? Elle l’avait volé à ton père ?

— Oui, deux fois oui, dit Roland. Quoique… l’avait-elle volé ?

Il parut se poser la question.

— Mon père savait un grand nombre de choses, mais il gardait parfois pour lui ce qu’il savait.

— Par exemple, il savait que ta mère et Marten se fréquentaient, affirma Susannah.

— Oui.

— Mais, Roland… tu ne peux pas croire que ton père t’aurait laissé sciemment… t’aurait laissé…

Roland la fixa de ses grands yeux hantés, que les larmes avaient désertés. Mais quand il tâcha de sourire à sa question, il en fut incapable.

— Aurait laissé sciemment son fils tuer sa femme ? demanda-t-il. Non, je ne peux pas dire ça. Quand bien même j’aimerais, je ne peux pas. Qu’il ait cherché à provoquer une chose pareille, qu’il l’ait délibérément mise en branle, comme un joueur de Castels… je ne peux pas y croire. Mais a-t-il laissé le ka suivre son cours ? Si fait, très certainement.