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— Y avait bien un truc qu’on appelait la maladie du légionnaire, dit Eddie. Et le sida, bien sûr…

— Le virus sexuel, hein, c’est ça ? demanda Susannah. Transmis par les tantouzes et les drogués ?

— Oui, sauf qu’on appelait plus les gays des tantouzes, de mon quand, dit Eddie.

Il esquissa un sourire, mais le remballa vite fait en le sentant artificiel et contraint.

— Alors, tout ça… ça n’est jamais arrivé, dit Jake, effleurant avec hésitation le visage du Christ sur la dernière page du journal.

— Bien sûr que si, dit Roland. C’est arrivé aux semailles de juin de l’année mille neuf cent quatre-vingt-six. Et nous nous trouvons ici, à la suite de ce fléau. Si Eddie a raison quant au laps de temps écoulé, cette épidémie de « supergrippe » a eu lieu aux dernières semailles de juin. Nous nous trouvons à Topeka, Arkansas, à la Moisson de quatre-vingt-six. Voilà pour le quand. Quant au où, tout ce que nous savons c’est que ce n’est pas celui d’Eddie. Ça pourrait être le tien, Susannah, ou le tien, Jake, puisque tu as quitté ton monde avant que tout ceci n’arrive.

Il tapota la date du journal, puis regarda Jake.

— Tu m’as dit quelque chose une fois. Je doute que tu t’en souviennes, mais moi, je n’ai pas oublié ; c’est l’une des choses les plus importantes qu’on m’ait jamais dites : « Allez-vous-en. Il existe d’autres mondes que ceux-ci. »

— D’autres devinettes en perspective, fit Eddie, l’air renfrogné.

— N’est-il pas établi que Jake Chambers est mort une fois et pourtant se tient devant nous en ce moment, tout ce qu’il y a de plus vivant ? Ou bien mettez-vous en doute mon récit de sa mort sous les montagnes ? Que vous ayez douté de ma bonne foi de temps en temps, c’est une chose que je sais. Et je suppose que vous avez de bonnes raisons pour ça.

Eddie rumina l’information, puis fit non de la tête.

— Tu mens quand ça sert ton but, mais je crois que lorsque tu nous as raconté l’histoire de Jake, t’étais trop détruit dans ta tête pour nous sortir autre chose que la vérité.

Roland constata avec un peu d’effroi que les paroles d’Eddie l’avaient atteint : Tu mens quand ça sert ton but — mais ne s’y arrêta pas. Après tout, c’était vrai pour l’essentiel.

— On est revenus à la flaque du temps, dit le Pistolero et on l’en a tiré avant qu’il ne s’y noie.

— Tu l’en as tiré, rectifia Eddie.

— Tu m’as bien aidé, pourtant, dit Roland, ne serait-ce qu’en me maintenant en vie, mais oublions ça pour le moment. C’est fort peu à propos. Ce qui l’est plus, c’est qu’il existe plusieurs mondes possibles et une infinité de portes qui y mènent. Nous sommes dans l’un de ces mondes ; la tramée qu’on entend est l’une de ces portes… seulement plus grande que celles qu’on a trouvées sur la plage.

— Grande comment ? demanda Eddie. Grande comme la porte d’un entrepôt ou bien comme l’entrepôt lui-même ?

Roland secoua la tête, levant les paumes de ses mains vers le ciel — qui sait ?

— Cette tramée, dit Susannah. On n’est pas seulement à côté d’elle, n’est-ce pas ? On est passés au travers. C’est comme ça qu’on a atterri ici, à cette version de Topeka.

— C’est possible, admit Roland. L’un d’entre vous a-t-il ressenti quelque chose d’étrange ? Une sensation de vertige ou une nausée passagère ?

Ils firent tous non de la tête. Ote, qui avait observé Jake attentivement, fit lui aussi non de la tête, cette fois.

— Non, dit Roland, comme s’il s’y était attendu. Mais on était polarisés sur les devinettes…

— Polarisés sur la façon d’éviter de nous faire tuer, oui, grommela Eddie.

— Oui. Aussi peut-être sommes-nous passés au travers sans nous en rendre compte. Dans tous les cas, les tramées ne sont pas naturelles — ce sont des écorchures sur la peau de l’existence, et qui ne doivent la leur qu’au fait que les choses vont de travers. Et ce, dans tous les mondes.

— Parce que les choses vont de travers à la Tour Sombre, fit Eddie.

Roland approuva.

— Et même si cet endroit — ce quand, ce — n’est pas le ka de ton monde à présent, il pourrait le devenir. Ce fléau — ou d’autres encore pires — pourrait s’étendre. Tout comme les tramées continueront à s’étendre, en nombre et en taille croissants. J’en ai vu peut-être une demi-douzaine, au cours de mes années de quête de la Tour et ouï une vingtaine d’autres, peut-être. La première… la première que j’aie vue, j’étais encore très jeune. C’était près d’une ville du nom d’Hambry.

Il se frotta la main contre la joue à nouveau et ne fut pas surpris de constater que de la sueur mouillait ses poils de barbe. Aime-moi, Roland. Si tu m’aimes, alors aime-moi jusqu’au bout.

— Quoi qu’il nous soit arrivé, ça nous a éjectés de ton monde, Roland, dit Jake. Nous sommes tombés du Rayon. Regarde.

Il montra le ciel du doigt. Les nuages se mouvaient lentement au-dessus de leurs têtes, mais plus dans la direction vers laquelle le mufle écrasé de Blaine pointait. Le sud-est était encore le sud-est, mais les signes du Rayon qu’ils avaient tellement pris l’habitude de suivre avaient disparu.

— Quelle importance ? demanda Eddie. Je veux dire… le Rayon a beau avoir disparu, la Tour n’en existe pas moins dans tous les mondes, hein ?

— Oui, dit Roland. Sauf qu’elle n’est peut-être pas accessible depuis tous les mondes.

Un an avant qu’il ne débute sa merveilleuse carrière d’héroïnomane si bien remplie, Eddie avait fait une brève tentative peu couronnée de succès comme coursier à bicyclette. Il se rappelait maintenant certains ascenseurs d’immeubles de bureaux dans lesquels il avait porté des plis, immeubles qui abritaient surtout des banques ou des firmes d’investissement. À certains étages, on ne pouvait arrêter la cabine ni descendre sans être possesseur d’une carte spéciale dont on balayait la fente sous le tableau des numéros d’étage. Quand l’ascenseur arrivait à ces étages verrouillés, le numéro d’étage était remplacé par un X.

— Je crois qu’il nous faudra retrouver le Rayon, dit Roland.

— Tu prêches un convaincu, dit Eddie. Allez, avançons.

Au bout de quelques pas, il se retourna vers Roland, le sourcil en point d’interrogation.

— Vers où ?

— Là où nous allions, dit Roland, comme si ça avait dû tomber sous le sens.

Il dépassa Eddie et dirigea ses bottes poussiéreuses et éculées vers le parc d’en face.

CHAPITRE 5

En péagisant

1

Roland gagna l’extrémité du quai, dégageant d’un coup de pied au passage des débris de métal rose. Arrivé à hauteur des marches, il s’arrêta et, se retournant, les regarda d’un air sombre.

— D’autres cadavres. Préparez-vous.

— Ils ne… hum… ne coulent pas, hein ? demanda Jake.

Roland tiqua, puis son visage s’éclaira en comprenant ce que Jake voulait dire.

— Non, ils ne coulent pas. Ils sont secs.

— Alors, ça va, dit Jake.

Mais il tendit la main à Susannah, qu’Eddie portait pour l’instant. Elle lui sourit et noua ses doigts autour des siens.