Susan la dévisagea, scandalisée au-delà de toute mesure.
La vieille éclata de rire en surprenant ce regard-là.
— T’aimes point entendre la vérité, hein ? T’es point la seule, mamzelle. Mais c’est comme ci et pas comme ça ; ta tantine a toujours été une sacrée finassière et elle a su drôlement y faire avec Thorin et le trésor de Thorin. L’or que t’as vu, c’est point le mien… et ce sera point le tien non plus, si t’ouvres pas l’œil et le bon ! Eh eh eh ! Allez, enlève-moi cette robe !
Je ne veux pas lui brûlait les lèvres, mais ensuite, quoi ? Être renvoyée de la masure (et être renvoyée comme elle y était venue ou presque, et non sous la forme d’un lézard ou d’un crapaud, était le mieux qu’elle pouvait espérer) puis expédiée dans l’Ouest comme elle était à présent, sans même les deux pièces d’or qu’elle avait apportées ? Et ce n’était là que le moins de l’affaire. Le plus, c’était qu’elle avait donné sa parole. Susan avait d’abord résisté, mais quand Tante Cord avait invoqué le nom de son père, elle avait cédé. Comme toujours. Elle n’avait vraiment pas le choix. Et quand on n’avait pas le choix, hésiter était toujours une erreur.
Elle brossa le plastron de son tablier où s’accrochaient des débris d’écorce, puis le dénoua et l’enleva. Elle le plia, le rangea sur un petit agenouilloir noir de suie, près de l’âtre, et déboutonna sa robe jusqu’à la taille. Elle dégagea ses épaules et, la faisant glisser, la quitta d’un léger bond. Après l’avoir pliée, elle la déposa sur le tablier, tâchant de ne pas être gênée par l’avidité avec laquelle Rhéa du Cöos la dévorait des yeux à la lueur du feu. Le chat traversa nonchalamment la pièce, ses grotesques pattes en surplus ballottant comme une paire de pompons, et vint se coucher aux pieds de Rhéa. Dehors, le vent soufflait en rafales. Il faisait bon près du foyer, mais Susan n’en avait pas moins froid, comme si le vent avait réussi d’une façon ou d’une autre à la transpercer.
— Presse-toi, ma fille, au nom de ton père !
Susan fit passer sa chemise par-dessus sa tête, la rangea, pliée, sur la robe, ne gardant que ses dessous, les bras croisés sur ses seins. Le feu badigeonnait ses cuisses d’une chaude teinte orangée, le tendre creux des genoux formant de noirs cercles d’ombre.
— Et elle est point encore toute nue ! croassa la vieille corneille en ricanant. Voyez-moi ça, en voilà t’y pas du tralala ! Ah que oui, très, très joli ! Allez, ouste, ôte-moi ces dessous, petite maîtresse, et montre-toi comme le jour où t’as glissé du ventre de ta mère ! Bien qu’en ce temps-là, t’avais point autant de mignardises pour faire saliver Hart Thorin et ses pareils, hein ? Eh eh eh !
Se sentant prisonnière d’un cauchemar, Susan fit ce qu’on lui dit. Avec son mont de Vénus et sa toison à découvert, garder les bras croisés sur sa poitrine lui parut idiot. Elle les abaissa.
— Ah, pas étonnant qu’il te veuille ! s’exclama la vieille. T’es une vraie beauté ! Qu’est-ce que t’en dis, Moisi ?
Le chat miaula un waow.
— T’as les genoux sales, dit soudain Rhéa. Comment ça se fait ?
Susan connut un instant d’atroce panique. Elle avait retroussé ses jupons pour mieux ramper sous la fenêtre de la mégère… et, ce faisant, elle s’était trahie.
Puis une explication lui vint et elle l’énonça d’un ton assez calme.
— En apercevant votre maisonnette, j’ai été saisie de crainte. Je me suis agenouillée pour prier et j’ai soulevé ma jupe pour ne point la gâter.
— Je suis touchée — qu’on veuille garder ses vêtements propres pour quelqu’une comme moi ! Comme tu es bonne ! T’es bien d’accord avec moi, hein, Moisi ?
Le chat refit waow. Puis se mit à se pourlécher une patte de devant.
— Continuez, fit Susan. On vous a payée pour ça et j’obéirai, mais arrêtez de me taquiner et finissons-en.
— Tu sais parfaitement ce que je dois faire, petite maîtresse.
— Non, dit Susan.
Elle avait à nouveau des larmes brûlantes au fond des yeux, mais elle ne les laisserait pas couler. Pas question.
— J’ai une vague idée, mais quand j’ai demandé à Tante Cord si je ne me trompais point, elle m’a dit que vous vous chargeriez de mon éducation à cet égard.
— Elle avait peur que les mots lui salissent la bouche, hein ? Bon, très bien. Ta Tante Rhéa n’est point assez gentille pour taire ce que ta Tante Cordélia n’a pas voulu te dire. Je dois m’assurer que tu es physiquement et spirituellement intacte, mamzelle. La preuve d’honnêteté, les anciens appelaient ça, et c’est fort bien trouvé. Voilà. Approche.
Susan fit deux pas en avant avec répugnance, si bien que ses orteils nus effleurèrent les pantoufles de la vieille et ses seins nus, sa robe.
— Si un diable ou démon t’a pollué l’esprit, chose qui pourrait vicier l’enfant que tu porteras vraisemblablement, il a laissé une marque derrière lui. Le plus souvent, c’est un suçon ou une morsure d’amour, mais il y en a d’autres… ouvre la bouche !
Susan fit ce qu’on lui demandait. La vieille se pencha tout près et la puanteur qui émanait d’elle était si forte que la jeune fille sentit son estomac se contracter. Elle retint son souffle, priant que la chose finisse vite.
— Tire la langue.
Susan s’exécuta.
— Maintenant souffle-moi au visage.
Susan exhala une haleine longtemps contenue. Rhéa l’inspira puis, par bonheur, recula un peu la tête. Elle s’était tenue suffisamment près de Susan pour que cette dernière aperçoive les poux qui sautillaient dans ses cheveux.
— Assez douce, dit la vieille. Pour sûr, un vrai régal. Maintenant tourne-toi.
Susan obéit et sentit la vieille sorcière lui parcourir le dos jusqu’aux fesses de ses doigts aux extrémités aussi froides que de la pierre.
— Penche-toi et écarte bien les miches, mamzelle. Sois point timide, Rhéa a vu plus d’un trou de lune en son temps !
Le visage écarlate — elle sentait battre son pouls au milieu du front et au creux des tempes —, Susan s’inclina. Elle sentit alors l’un de ces doigts cadavériques s’insinuer dans son anus comme un aiguillon. Susan se mordit les lèvres pour ne pas crier.
Dieu merci, l’exploration fut brève… mais serait suivie d’une autre, redoutait Susan.
— Tourne-toi.
Ce qu’elle fit. La vieille passa les mains sur les seins de Susan, donnant du pouce une chiquenaude aux mamelons, avant de les soulever pour examiner attentivement l’en dessous. Rhéa faufila ensuite l’un de ses doigts au creux du nombril de la jeune fille, puis retroussant sa propre jupe, elle tomba à genoux, grognant sous l’effort. Elle palpa les jambes de Susan par-devant, puis par-derrière. Elle parut faire un sort à la zone juste au-dessous des mollets, là où couraient les tendons.
— Lève le pied droit, ma fille.
Susan obéit ; un rire hurlé lui échappa nerveusement au moment où Rhéa lui griffa de l’ongle du pouce la distance du cou-de-pied au talon. La vieille lui écarta les orteils, regardant entre chaque paire.
Après avoir soumis l’autre pied au même traitement, la vieille — toujours à genoux — annonça :
— Tu sais ce qui vient ensuite.
— Si fait.
L’affirmation se pressa sur ses lèvres tremblantes.
— Tiens-toi tranquille, mamzelle — tout le reste est parfait, propre comme de l’écorce de saule que t’es, mais on arrive maintenant au doux réduit qui est tout ce dont Thorin se soucie ; nous en sommes là où l’honnêteté doit vraiment se prouver. Alors ne bouge plus !