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Après quoi, incapable de résister, il tendit la main vers le marteau de la porte. Il dut attendre longtemps, sous les regards des promeneurs, entendit enfin des pas et le maître d’hôtel entrouvrit le battant.

— Je voudrais voir M. Hubert Vernoux.

— Monsieur n’est pas visible.

Maigret était entré sans y être invité. Le hall restait dans la pénombre. On n’entendait aucun bruit.

— Il est dans son appartement ?

— Je crois qu’il est couché.

— Une question : les fenêtres de votre chambre donnent-elles sur la rue ?

Le maître d’hôtel parut gêné, parla bas.

— Oui. Au troisième. Ma femme et moi couchons dans les mansardes.

— Et vous pouvez voir la maison d’en face ?

Alors qu’ils n’avaient rien entendu, la porte du salon s’ouvrit et Maigret reconnut dans l’entrebâillement la silhouette de la belle-sœur.

— Qu’est-ce que c’est, Arsène ?

Elle avait vu le commissaire mais ne lui adressait pas la parole.

— Je disais à Monsieur Maigret que Monsieur n’est pas visible.

Elle finit par se tourner vers lui.

— Vous vouliez parler à mon beau-frère ? Elle se résignait à ouvrir la porte plus grande.

— Entrez.

Elle était seule dans le vaste salon aux rideaux fermés ; une seule lampe était allumée sur un guéridon. Il n’y avait aucun livre ouvert, aucun journal, aucun travail de couture ou autre. Elle devait être assise là, à ne rien faire, quand il avait soulevé le marteau.

— Je peux vous recevoir à sa place.

— C’est lui que je désire voir.

— Même si vous allez chez lui, il ne sera probablement pas en état de vous répondre.

Elle marcha vers la table où se trouvaient un certain nombre de bouteilles, en saisit une qui avait contenu du marc de Bourgogne et qui était vide.

— Elle était à moitié pleine à midi. Il n’est pas resté un quart d’heure dans cette pièce alors que nous étions encore à table.

— Cela lui arrive souvent ?

— Presque tous les jours. Maintenant, il va dormir jusque cinq ou six heures et il aura alors les yeux troubles. Ma sœur et moi avons essayé d’enfermer les bouteilles, mais il trouve le moyen de s’arranger. Il vaut mieux que cela se passe ici que dans Dieu sait quel estaminet.

— Il fréquente parfois les estaminets ?

— Comment voulez-vous que nous le sachions ? Il sort par la petite porte, à notre insu, et quand, après, on lui voit ses gros yeux, quand il commence à bégayer, on sait ce que cela signifie. Il finira comme son père.

— Il y a longtemps que cela a commencé ?

— Des années. Peut-être buvait-il avant aussi et cela lui faisait-il moins d’effet ? Il ne paraît pas son âge, mais il a quand même soixante-sept ans.

— Je vais demander au maître d’hôtel de me conduire chez lui.

— Vous ne voulez pas revenir plus tard ?

— Je repars pour Paris ce soir.

Elle comprit qu’il était inutile de discuter, pressa un timbre. Arsène parut : — Conduisez monsieur le commissaire chez Monsieur.

Arsène la regardait, surpris, avec l’air de lui demander si elle avait réfléchi.

— Il arrivera ce qu’il arrivera !

Sans le maître d’hôtel, Maigret se serait perdu dans les couloirs qui se croisaient, larges et sonores comme des couloirs de couvent. Il entrevit une cuisine où scintillaient des cuivres et où, comme au Gros-Noyer, une bouteille de vin blanc se trouvait sur la table, sans doute la bouteille d’Arsène.

Celui-ci ne semblait plus rien comprendre à l’attitude de Maigret. Après la question au sujet de sa chambre, il s’était attendu à un véritable interrogatoire. Or, on ne lui demandait rien.

Dans l’aile droite du rez-de-chaussée, il frappait à une porte de chêne sculpté.

— C’est moi, Monsieur ! disait-il en élevant la voix pour être entendu de l’intérieur.

Et, comme on percevait un grognement :

— Le commissaire, qui est avec moi, insiste pour voir Monsieur.

Ils restèrent immobiles pendant que quelqu’un allait et venait dans la pièce et, finalement, entrouvrait la porte.

La belle-sœur ne s’était pas trompée en parlant des gros yeux qui fixaient le commissaire avec une sorte de stupeur.

— C’est vous ! balbutiait Hubert Vernoux, la langue épaisse.

Il avait dû se coucher tout habillé. Ses vêtements étaient fripés, ses cheveux blancs retombaient sur son front et il y passa la main d’un geste machinal.

— Qu’est-ce que vous voulez ?

— Je désirerais un entretien avec vous.

C’était difficile de le mettre à la porte. Vernoux, comme s’il n’avait pas encore bien repris ses sens, s’effaçait. La pièce était très grande, avec un lit à baldaquin en bois sculpté, très sombre, aux draperies de soie passée.

Tous les meubles étaient anciens, plus ou moins du même style, et faisaient penser à une chapelle ou à une sacristie.

— Vous permettez ?

Vernoux pénétra dans une salle de bains, se fit couler un verre d’eau et se gargarisa. Quand il revint, il était déjà un peu mieux.

— Asseyez-vous. Dans ce fauteuil si vous voulez. Vous avez vu quelqu’un ?

— Votre belle-sœur.

— Elle vous a dit que j’avais bu ?

— Elle m’a montré la bouteille de marc.

Il haussa les épaules.

— C’est toujours la même chanson. Les femmes ne peuvent pas comprendre. Un homme à qui on vient d’annoncer brutalement que son fils…

Un liquide embua ses yeux. Sa voix avait baissé d’un ton, pleurnicharde.

— C’est un coup dur, commissaire. Surtout quand on n’a que ce fils. Que fait sa mère ?

— Aucune idée…

— Elle va se porter malade. C’est son truc. Elle se porte malade et on n’ose plus rien lui dire. Vous comprenez ? Alors, sa sœur la remplace : elle appelle ça prendre la maison en main…

Il faisait penser à un vieux comédien qui veut coûte que coûte émouvoir. Dans son visage un peu gonflé, les traits changeaient d’expression à une vitesse étonnante. En quelques minutes, ils avaient successivement exprimé l’ennui, une certaine crainte, puis la douleur paternelle, l’amertume à l’égard des deux femmes. Maintenant la crainte revenait à la surface.

— Pourquoi avez-vous tenu à me voir ?

Maigret, qui ne s’était pas assis dans le fauteuil qu’on lui avait désigné, tira le morceau de tuyau de sa poche et le posa sur la table.

— Vous alliez souvent chez votre beau-frère ?