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» Vous avez lu les livres que votre fils doit avoir dans son cabinet ?

— Il m’est arrivé d’en parcourir.

— Vous devriez les relire.

— Vous ne prétendez pas que j’ai…

— Je ne prétends rien. Je vous ai vu hier jouer aux cartes. Je vous ai vu gagner. Vous devez être persuadé que vous gagnerez cette partie-ci de la même manière.

— Je ne joue aucune partie.

Il protestait mollement, flatté, au fond, que Maigret s’occupe autant de lui et rende un hommage indirect à son habileté.

— Je tiens à vous mettre en garde contre une faute à ne pas commettre. Cela n’arrangerait rien, au contraire, qu’il y ait un nouveau carnage, ou même un seul crime. Vous comprenez ce que je veux dire ? Ainsi que le soulignait votre fils, la folie a ses règles, sa logique.

Une fois de plus, Vernoux ouvrait la bouche et le commissaire ne le laissait toujours pas parler.

— J’ai terminé. Je prends le train de neuf heures et demie et je dois aller boucler ma valise avant le dîner.

Son interlocuteur, dérouté, déçu, le regardait sans plus comprendre, faisait un geste pour le retenir, mais le commissaire se dirigeait vers la porte.

— Je trouverai mon chemin.

Il y mit un certain temps, puis retrouva la cuisine d’où Arsène jaillit, l’œil interrogateur.

Maigret ne lui dit rien, suivit le couloir central, ouvrit lui-même la porte que le maître d’hôtel referma derrière lui.

Il n’y avait plus, sur le trottoir d’en face, que trois ou quatre curieux obstinés. Est-ce que, ce soir, le comité de vigilance allait continuer ses patrouilles ?

Il faillit se diriger vers le Palais de Justice où la réunion se poursuivait probablement, décida de faire comme il l’avait annoncé et d’aller boucler sa valise. Après quoi, dans la rue, il eut envie d’un verre de bière et s’assit à la terrasse du Café de la Poste.

Tout le monde le regardait. On parlait à voix plus basse. Certains se mettaient à chuchoter.

Il but deux grands demis, lentement, en les savourant, comme s’il eût été à une terrasse des Grands Boulevards, et des parents s’arrêtaient pour le désigner à leurs enfants.

Il vit passer Chalus, l’instituteur, en compagnie d’un personnage ventru à qui il racontait une histoire en gesticulant. Chalus ne vit pas le commissaire et les deux hommes disparurent au coin de la rue.

Il faisait presque noir et la terrasse s’était dégarnie quand il se leva péniblement pour se diriger vers la maison de Chabot. Celui-ci vint lui ouvrir, lui lança un regard inquiet.

— Je me demandais où tu étais.

— À une terrasse de café.

Il accrocha son chapeau au portemanteau, aperçut la table dressée dans la salle à manger, mais le dîner n’était pas prêt et son ami le fit d’abord entrer dans son bureau.

Après un assez long silence, Chabot murmura sans regarder Maigret : — L’enquête continue.

Il semblait dire :

« — Tu as gagné. Tu vois ! nous ne sommes pas si lâches que ça. »

Maigret ne sourit pas, fit un petit signe d’approbation.

— Dès à présent, la maison de la rue Rabelais est gardée. Demain, je procéderai à l’interrogatoire des domestiques.

— Au fait, j’allais oublier de te rendre ceci.

— Tu pars vraiment ce soir ?

— Il le faut.

— Je me demande si nous aboutirons à un résultat.

Le commissaire avait posé le tuyau de plomb sur la table, fouillait ses poches pour en tirer la lettre d’Arsène.

— Louise Sabati ? questionna-t-il.

— Elle paraît hors de danger. Cela l’a sauvée de vomir. Elle venait de manger et la digestion n’était pas commencée.

— Qu’est-ce qu’elle a dit ?

— Elle répond par monosyllabes.

— Elle savait qu’ils allaient mourir tous les deux ?

— Oui.

— Elle y était résignée ?

— Il lui a dit qu’on ne les laisserait jamais être heureux.

— Il ne lui a pas parlé des trois crimes ?

— Non.

— Ni de son père ?

Chabot le regarda dans les yeux.

— Tu crois que c’est lui ?

Maigret se contenta de battre les paupières.

— Il est fou ?

— Les psychiatres décideront.

— À ton avis ?

— Je répète volontiers que les gens sensés ne tuent pas. Mais ce n’est qu’une opinion.

— Peut-être pas très orthodoxe ?

— Non.

— Tu parais soucieux.

— J’attends.

— Quoi ?

— Qu’il se passe quelque chose.

— Tu crois qu’il se passera quelque chose aujourd’hui ?

— Je l’espère.

— Pourquoi ?

— Parce que j’ai rendu visite à Hubert Vernoux.

— Tu lui as dit…

— Je lui ai dit comment et pourquoi les trois crimes ont été commis. Je lui ai laissé entendre comment l’assassin devait normalement réagir.

Chabot, si fier tout à l’heure de la décision qu’il avait prise, se montrait à nouveau effrayé.

— Mais… dans ce cas… tu n’as pas peur que…

— Le dîner est servi, vint annoncer Rose, tandis que Mme Chabot, qui se dirigeait vers la salle à manger, leur souriait.

9

La fine Napoléon

Une fois de plus, à cause de la vieille dame, il fallait se taire, ou plutôt ne parler que de choses et d’autres, sans rapport avec leurs préoccupations, et, ce soir-là, il fut question de cuisine, en particulier de la façon de préparer le lièvre à la royale.

Mme Chabot avait fait à nouveau des profiteroles et Maigret en mangea cinq, écœuré, le regard sans cesse fixé sur les aiguilles de la vieille horloge.

À huit heures et demie, il ne s’était encore rien produit.

— Tu n’es pas pressé. J’ai commandé un taxi qui passera d’abord par l’hôtel pour prendre tes bagages.

— Il faut, de toute façon, que j’aille là-bas pour régler ma note.

— J’ai téléphoné qu’on la mette sur mon compte. Cela t’apprendra à ne pas descendre chez nous quand, une fois tous les vingt ans, tu daignes venir à Fontenay.

On servit le café, la fine. Il accepta un cigare, parce que c’était la tradition et que la mère de son ami n’aurait pas été contente qu’il refuse.