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— Il a fixé durement le nouveau venu, s’est levé, a jeté ses cartes sur la table et s’est approché de lui.

« — Qu’est-ce que tu viens faire ici, toi ? Qui est-ce qui t’a rancardé ?

« Les autres feignaient de ne pas écouter.

« — J’ai besoin de te parler, a prononcé Gaston Meurant.

« Il s’est hâté d’ajouter :

« — N’aie pas peur. Ce n’est pas après toi que j’en ai.

« — Viens ! lui a ordonné son frère en se dirigeant vers l’escalier qui conduit aux chambres.

« Je ne pouvais pas les suivre tout de suite. Les autres se taisaient, inquiets, et commençaient à me regarder d’une façon différente. Sans doute commençaient-ils à établir une corrélation entre mon arrivée et celle de Meurant.

« Bref, j’ai continué à boire mon vin blanc et à lire.

« La bicoque, quoique repeinte à neuf, est assez vieille, mal bâtie, et on entend tous les bruits.

« Les deux frères se sont enfermés dans une chambre du premier et la voix d’Alfred Meurant, au début, était forte et dure. Si on ne distinguait pas les mots, il était clair qu’il était en colère.

« Ensuite l’autre, le Parisien, s’est mis à parler, d’une voix beaucoup plus sourde. Cela a duré longtemps, pour ainsi dire sans interruption, comme s’il racontait une histoire qu’il avait préparée.

« Après un clin d’œil à ses compagnons, la patronne est venue mettre mon couvert, comme pour faire diversion. Puis les autres ont commandé l’apéritif. Kubik est allé retrouver Freddo dans la cuisine et je ne l’ai pas revu.

« Je suppose que, pour plus de prudence, il a mis les voiles, car j’ai entendu un moteur d’auto.

— Vous n’avez aucune idée de ce qui s’est passé en haut ?

— Sinon qu’ils sont restés enfermés pendant une heure et demie. À la fin, on aurait dit que c’était Gaston Meurant, le Parisien, qui avait le dessus, et son frère qui parlait à voix basse.

« J’avais fini de dîner quand ils sont descendus. Alfred Meurant était plutôt sombre, comme si les choses ne s’étaient pas arrangées à son idée, tandis que l’autre, au contraire, se montrait plus détendu qu’à son arrivée.

« — Tu prendras bien un verre ? proposa Alfred.

« — Non. Je te remercie.

« — Tu repars déjà ?

« — Oui.

« L’un et l’autre m’ont regardé en fronçant le sourcil.

« — Je vais te reconduire en ville en auto.

« — Ce n’est pas la peine.

« — Tu ne veux pas que j’appelle un taxi ?

« — Merci.

« Ils parlaient tous les deux du bout des lèvres et on devinait que les mots n’étaient là que pour remplir un vide.

« Gaston Meurant est sorti. Son frère a refermé la porte, a été sur le point de dire quelque chose à la patronne et à Falconi mais, en m’apercevant, s’est ravisé.

« Je n’étais pas sûr de ce que je devais faire. Je n’osais pas téléphoner au chef pour lui demander des instructions. J’ai cru qu’il valait mieux suivre Gaston Meurant. Je suis sorti comme quelqu’un qui va prendre l’air après dîner, sans emporter mon havresac.

« J’ai retrouvé mon homme qui marchait à pas réguliers sur la route descendant vers la ville.

« Il s’est arrêté pour manger un morceau boulevard de la République. Puis il est allé à la gare se renseigner sur les heures de train. Enfin, à l’Hôtel des Voyageurs, il a repris sa mallette et payé sa note.

« Depuis lors, il attend. Il ne lit pas les journaux, ne fait rien, que regarder devant lui, les yeux mi-clos. On ne peut pas dire qu’il soit souriant, mais il ne paraît pas mécontent de lui.

— Attendez qu’il monte dans le train et rappelez-moi pour me donner le numéro de sa voiture.

— D’accord. Demain matin, je remettrai mon rapport au commissaire.

L’inspecteur Le Goënec allait raccrocher quand Maigret se ravisa.

— Je voudrais qu’on s’assure qu’Alfred Meurant ne quitte pas les Eucalyptus.

— Vous voulez que j’y retourne ? Vous ne pensez pas que je suis brûlé ?

— Il suffira que quelqu’un de chez vous surveille la maison. J’aimerais aussi que le téléphone soit branché sur la table d’écoute. Si on appelait Paris, ou n’importe quel numéro à l’inter, qu’on m’en avise le plus vite possible.

La routine recommençait, en sens inverse : Marseille, Avignon, Lyon, Dijon étaient alertés. On laissait Gaston Meurant voyager seul, comme un grand, mais on se le passait en quelque sorte de main en main.

Il ne devait arriver à Paris qu’à onze heures trente du matin.

Maigret se couchait, avait l’impression d’avoir à peine dormi quand sa femme l’éveillait en lui apportant sa première tasse de café. Le ciel était enfin nettoyé et on voyait du soleil au-dessus des toits d’en face. Les gens, dans la rue, marchaient d’un pas plus allègre.

— Tu rentres déjeuner ?

— J’en doute. Je te téléphonerai avant midi.

Ginette Meurant n’avait pas quitté la rue Delambre. Elle passait toujours le plus clair de son temps dans son lit, ne descendait que pour manger, renouveler sa provision de magazines et de petits romans.

— Rien de nouveau, Maigret ? s’inquiétait le procureur de la République.

— Encore rien de précis, mais je ne serais pas surpris s’il y avait du nouveau très prochainement.

— Que devient Meurant ?

— Il est dans le train.

— Quel train ?

— Celui de Toulon. Il en revient. Il est allé voir son frère.

— Que s’est-il passé entre eux ?

— Ils ont eu une longue conversation, d’abord orageuse, semble-t-il, puis plus calme. Le frère n’est pas content. Gaston Meurant, au contraire, donne l’impression d’un homme qui sait enfin où il va.

Qu’est-ce que Maigret pouvait dire d’autre ? Il n’avait aucun renseignement précis à communiquer au parquet. Depuis deux jours, il tâtonnait dans une sorte de brouillard mais, comme Gaston Meurant, il n’en avait pas moins la sensation que quelque chose se précisait.

Il était tenté d’aller tout à l’heure à la gare attendre lui-même l’encadreur. N’était-il pas préférable qu’il reste au centre des opérations ? Et, en suivant Gaston Meurant dans les rues, ne risquait-il pas de tout fausser ?

Il choisit Lapointe, sachant qu’il lui ferait plaisir, puis un autre inspecteur, Neveu, qui ne s’était pas encore occupé de l’affaire. Pendant dix ans, Neveu avait travaillé sur la voie publique et s’était spécialisé dans les voleurs à la tire.

Lapointe partit pour la gare sans savoir que Neveu n’allait pas tarder à le suivre.

Auparavant, il fallait, que Maigret lui donne des instructions précises.

CHAPITRE VII

Pendant des années, Gaston Meurant, avec son teint clair, ses cheveux roux, ses yeux bleus, son air de mouton, avait été un timide, sans doute, mais surtout un patient, un obstiné, qui s’était efforcé, au milieu des trois millions d’habitants de Paris, d’édifier un petit bonheur à sa mesure.

Il avait appris son métier de son mieux, un métier délicat, qui demandait du goût et de la minutie, et on pouvait penser que le jour où il s’était installé à son compte, fût-ce au fond d’une cour, il avait éprouvé la satisfaction d’avoir surmonté l’obstacle le plus difficile.

Était-ce sa timidité, ou sa prudence, la peur de se tromper, qui l’avaient tenu longtemps éloigné des femmes ? Au cours de ses interrogatoires, il avait avoué à Maigret que, jusqu’à sa rencontre avec Ginette, il s’était contenté de peu, du minimum, de contacts furtifs qui lui paraissaient honteux, sauf pour une liaison qu’il avait eue, vers dix-huit ans, avec une femme beaucoup plus âgée que lui et qui n’avait duré que quelques semaines.

Le jour où, rougissant, il avait enfin demandé à une femme de l’épouser, il avait largement dépassé la trentaine et le sort voulait que ce soit une fille qui, quelques mois plus tard, alors qu’il attendait impatiemment l’annonce d’une future naissance, lui avouait qu’elle ne pouvait pas avoir d’enfant.