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— Les deux hommes s’entendaient bien ?

— Jusqu’à ce que Gilbert m’épouse. Je crois que son père ne pouvait pas me sentir. Gilbert, bien entendu, prenait mon parti, de sorte que, ces dernières années, ils étaient en froid.

— Vous n’avez pas averti le père de sa disparition ?

— À quoi bon ? Ils ne se voyaient quand même qu’une fois par an, le 1er janvier. Nous y allions ensemble et nous avions droit à un verre de porto avec un biscuit. L’appartement sentait le célibataire.

— Comment expliquez-vous que votre mari ait continué pendant trois mois à vous apporter son traitement alors qu’il avait quitté sa place ?

— Il travaillait probablement ailleurs.

— Vous n’aviez pas d’économies ?

— Des dettes, oui ! Le réfrigérateur n’est pas encore entièrement payé et j’ai eu juste le temps de décommander la machine à laver la vaisselle qu’on devait me livrer en septembre.

— Il ne possédait pas d’objets de valeur ?

— Certainement pas. Même les bagues qu’il m’a offertes sont en toc. Vous ne m’avez pas encore dit pourquoi vous vous occupez de lui.

— Son patron l’a mis à la porte à la fin juin, après avoir découvert que, depuis trois ans, il puisait plus ou moins adroitement dans la caisse.

— Il avait une maîtresse ?

— Non. Il prenait ainsi de très petites sommes. Cinquante francs par mois tout d’abord.

— C’était ça, son augmentation ?

— Exactement. Vous lui répétiez qu’il devait parler à M. Chabut et, comme il n’avait pas le courage de le faire, ce qui, d’ailleurs, n’aurait mené à rien, il s’est mis à truquer les écritures. De cinquante francs, il est passé à cent. Puis, au dernier Noël...

— Les cinq cents francs de gratification ! Elle haussait les épaules.

— Quel idiot ! Le voilà bien avancé, maintenant ! J’espère pour lui qu’il a trouvé une autre place.

— J’en doute.

— Pourquoi ?

— Parce qu’il m’est arrivé de l’apercevoir dans les rues à différentes heures de la journée, alors que les bureaux et les magasins sont ouverts.

— Il a fait quelque chose ? Vous avez une raison pour le rechercher.

— Oscar Chabut a été tué mercredi dernier par un homme qui l’attendait devant une maison de passe de la rue Fortuny. Votre mari possédait un pistolet ?

— Un petit automatique noir, qu’un ami lui avait donné quand il était encore au service militaire.

— Il est toujours ici ?

Elle se leva et traîna ses pantoufles jusqu’à la chambre à coucher où on l’entendit ouvrir et refermer des tiroirs.

— Je ne le vois pas. Il l’a sans doute emporté avec lui. À ma connaissance, il ne s’en est jamais servi et je me demande s’il avait des cartouches. Je ne me souviens pas d’en avoir vu.

Elle alluma une nouvelle cigarette et s’assit cette fois dans le fauteuil.

— Vous croyez vraiment qu’il aurait été capable de tuer son patron ?

— Celui-ci l’a traité cruellement et, à un moment donné, lui a flanqué une gifle.

— Je le connais. Enfin, je l’ai rencontré. Cela ne m’étonne pas de lui. C’est une grande brute.

— Il ne vous a pas raconté ce qui s’était passé ?

— Non. Il m’a seulement dit qu’il était content d’être débarrassé de mon mari et que c’était un bon débarras pour moi aussi.

— Il vous a donné de l’argent ?

— Pourquoi me demandez-vous ça ?

— Parce que ce serait assez bien son genre. J’imagine ce qui a dû se passer.

— C’est que vous avez vraiment de l’imagination.

— Non, mais c’est que je connais ses façons ‘ d’agir avec les femmes.

— Vous voulez dire qu’il les traitait toutes de la même façon ?

— Oui. Il vous a donné un autre rendez-vous ?

— Il a pris mon numéro de téléphone.

— Mais il ne vous a jamais appelée ?

— Non.

— Vous ne m’avez pas répondu au sujet de l’argent.

— Il m’a remis un billet de mille francs.

— Et, depuis, comment vous en tirez-vous ?

— Je m’en tire comme je peux. Je réponds à des petites annonces mais, jusqu’ici sans succès.

Maigret se leva, le corps engourdi, le front couvert d’une buée de sueur.

— Je vous remercie de m’avoir reçu.

— Dites-moi, puisque vous dites que vous l’avez vu plusieurs fois, vous allez pouvoir le retrouver.

— À condition qu’il se mette à nouveau sur mon chemin et qu’il ne disparaisse pas dans la foule comme il l’a fait jusqu’à présent.

— De quoi a-t-il l’air ?

— De quelqu’un qui est fatigué et qui n’a pas dormi dans un lit la nuit précédente. Il n’a pas d’amis à Paris ?

— Je ne lui en connais pas. Nous ne fréquentions qu’une de mes copines, Nadine, qui vit avec un musicien. Ils venaient parfois passer la soirée ici. On allait acheter une ou deux bouteilles de vin et il nous jouait de la guitare électrique.

Elle devait avoir couché avec le musicien aussi, et sans doute avec bien d’autres.

— Au revoir, madame.

— Au revoir, monsieur le commissaire. Si vous avez des nouvelles, soyez gentil de me tenir au courant. C’est quand même mon mari. S’il a vraiment tué quelqu’un, j’aimerais mieux le savoir. Je suppose que cela suffit pour obtenir le divorce ?

— Je le crois aussi.

Il inscrivit l’adresse du père de Pigou, rue d’Alésia, retrouva Lapointe dans le petit bar où il lisait le journal de l’après-midi.

— Alors, patron ?

— Une petite garce. J’ai rarement vu autant de personnages peu ragoûtants dans une seule enquête. Un rhum, garçon !

— Elle ne sait rien qui puisse nous mettre sur une piste ?

— Non. Elle ne s’est jamais occupée de lui. Dès qu’elle l’a pu, elle a cessé de travailler et, autant qu’on puisse juger, elle passe ses journées vautrée sur un divan, à jouer des disques, à fumer cigarette sur cigarette et à lire des magazines. Elle doit être au courant de la vie intime de toutes les vedettes. Quand son mari a disparu, elle s’est à peine inquiétée, et quand je lui ai dit qu’il avait peut-être tué un homme, elle m’a demandé si cela lui suffirait pour obtenir le divorce.

— Qu’est-ce que nous faisons maintenant ?

— Tu me déposes rue d’Alésia, où j’aimerais avoir une courte entrevue avec son père.

— Son père à elle ?

— Non, à lui. C’est un ancien caissier du Crédit Lyonnais à la retraite. Il a cessé de s’entendre avec son fils quand celui-ci s’est marié.

L’appartement de la rue d’Alésia était un peu plus cossu et, au grand soulagement de Maigret, il y avait un ascenseur. Quand il sonna, la porte ne tarda pas à s’entrouvrir.

— Oui ?

— Monsieur Pigou ?

— Moi-même. Que désirez-vous ?

— Vous me permettez d’entrer ?

— Vous ne venez pas pour me vendre une encyclopédie ? Il en est venu quatre rien que la semaine dernière.

— Commissaire Maigret, de la P.J.

L’appartement sentait l’encaustique et on n’y voyait pas un grain de poussière. Chaque objet était à sa place.

— Asseyez-vous, je vous en prie.

Ils étaient dans un petit salon qui ne devait pas servir souvent et Pigou alla ouvrir les rideaux qui étaient à moitié fermés.

— J’espère que vous ne m’apportez pas une mauvaise nouvelle ?

— À ma connaissance, il n’est rien arrivé à votre fils. Je voudrais seulement savoir quand vous l’avez vu pour la dernière fois.

— C’est facile. Le 1er janvier.

Et il avait un sourire un peu amer.

— J’ai eu le malheur de le mettre en garde contre cette fille qu’il a absolument voulu épouser. J’ai tout de suite compris en la voyant que ce n’était pas quelqu’un pour lui. Il est monté sur ses grands chevaux et m’a accusé d’être un vieil égoïste et de je ne sais quoi d’autre encore. Auparavant, il venait me voir une fois par semaine. Il a cessé ses visites et je ne l’ai revu qu’au nouvel an. Depuis, chaque année, le 1er janvier, il est venu me voir avec sa femme, comme on accomplit une politesse nécessaire.