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— Vous lui en voulez ?

— Non. Il ne voit que par elle. Il n’y peut rien.

— Il ne vous a jamais demandé d’argent ?

— Vous ne le connaissez pas. Il est trop fier pour ça.

— Pas même ces derniers mois ?

— Qu’est-il arrivé ?

— Il a perdu son emploi au mois de juin. Pendant trois mois, il a suivi le même horaire que quand il travaillait quai de Charenton et il rapportait la même somme d’argent.

— Il a donc trouvé une autre place ?

— Vous ne croyez pas que c’est difficile, à quarante-cinq ans, quand on n’est pas un spécialiste ?

— Peut-être. Il faut pourtant bien...

— Qu’il ait trouvé cet argent quelque part. Depuis fin septembre, il a disparu.

— Sa femme ne l’a pas revu ?

— Non. Son ex-patron, Oscar Chabut, a été tué de quatre balles, en pleine rue, par un inconnu.

— Et vous croyez que... ?

— Je ne sais pas, monsieur Pigou. Je cherche. Je suis venu vous voir dans l’espoir d’apprendre quelque chose.

— J’en sais moins que vous. Sa femme n’a même pas trouvé utile de me mettre au courant. Vous avez l’impression qu’il a quelque chose à se reprocher et qu’il se cache ?

— C’est possible. Je suis à peu près certain de l’avoir aperçu deux ou trois fois ces derniers jours. C’est lui aussi, j’ai toutes les raisons de le penser, qui m’a téléphoné par deux fois et qui m’a envoyé une lettre écrite en caractères bâtonnets...

— Vous ne lui avez pas dit...

— Lui dire quoi ? Si c’est lui qui a tiré sur son patron, il joue avec le feu, comme s’il avait envie de se faire arrêter. Cela arrive plus souvent qu’on ne croit. Il est sans domicile, sans ressources. Il sait qu’il sera fatalement pris un jour ou l’autre. Il n’a pas honte d’avoir tiré. Au contraire, il en serait plutôt fier, car Chabut était un être méprisable.

— Je ne comprends pas.

— Je vous tiendrai au courant, monsieur Pigou. De votre côté, s’il vous donnait de ses nouvelles, soyez assez aimable pour me passer un coup de fil.

— Je vous l’ai dit : il y a peu de chance pour qu’il s’adresse à moi.

— Merci de m’avoir reçu.

Lapointe lui demanda :

— Il savait quelque chose ?

— Encore moins que la femme. C’est moi qui lui ai appris que son fils a disparu. C’est un petit vieillard propret, très sympathique, qui passe son temps à astiquer son parquet et ses meubles, à mettre de l’ordre dans l’appartement. Je n’ai pas vu d’appareil de télévision, pas de transistor non plus. Au Quai, cette fois. Il est temps qu’on en finisse.

Une heure plus tard, cinq de ses collaborateurs étaient réunis dans le bureau de Maigret.

CHAPITRE VI

Asseyez-vous, mes enfants.

Maigret lui-même allumait une pipe et les regardait l’un après l’autre d’un œil rêveur.

— Vous connaissez tous l’affaire dans ses grandes lignes. Depuis que j’ai commencé à enquêter sur la mort d’Oscar Chabut au moment où il sortait d’une maison de la rue Fortuny, un homme paraît s’intéresser à mes faits et gestes. Il est intelligent, car il semble prévoir chacun de mes mouvements. Il est habile à se glisser rapidement dans la foule, car je n’ai pas encore réussi à le rejoindre.

C’était déjà le crépuscule mais personne n’avait allumé les lampes et cette réunion se tenait dans une sorte de pénombre. Il faisait très chaud dans le bureau. On avait dû apporter deux chaises du bureau voisin.

— Je n’ai aucune preuve de la culpabilité du personnage. Seulement des présomptions. Et aussi son obstination à se comporter comme un coupable.

« Depuis cet après-midi, je connais son identité et je connais aussi son histoire, qui paraît à première vue incroyable.

« Il s’agit du comptable du marchand de vin. Un humble. Un gagne-petit. Il est marié depuis huit ans. Sa femme, qui était vendeuse, a assez vite cessé de travailler et lui reprochait de ne pas gagner plus d’argent. Prenez son nom et son adresse, Lourtie. Je vous dirai tout à l’heure pourquoi. Liliane Pigou, 57 bis, rue Froidevaux. C’est en face du cimetière du Montparnasse. Elle passe le plus clair de ses journées couchée sur un divan, à moitié nue, à écouter des disques, à fumer cigarette sur cigarette et à lire des magazines et des bandes dessinées.

« Si je vous ai réunis, c’est que j’ai décidé de mettre la main sur lui coûte que coûte. Il est probablement armé, mais je ne crois pas qu’il essaie de tirer.

« Vous, Janvier, vous allez choisir six hommes qui se relayeront deux par deux quai des Orfèvres. L’individu m’y a téléphoné par deux fois, m’a écrit une assez longue lettre, et, une fois au moins, m’a guetté du trottoir d’en face. Il a malheureusement trouvé le moyen de disparaître avant d’être rejoint. »

L’air commençait à être bleuâtre. Maigret alluma la lampe à abat-jour vert qui se trouvait sur son bureau mais n’alluma pas le plafonnier, de sorte que des pans de la pièce restaient dans l’ombre où les visages se détachaient.

— Notez tous son signalement. Il est plutôt petit, moins d’un mètre soixante-dix. Sans être gros, il est plutôt grassouillet et il a le visage très rond. Il est vêtu d’un complet brun sombre et d’un imperméable froissé. Il fume la cigarette. Enfin, il a une patte un peu folle. Depuis un accident qu’il a eu voilà plusieurs années, il jette la jambe gauche de côté en marchant.

— Brun ? questionna Lourde.

— Brun, oui, avec des yeux bruns aussi et des lèvres assez épaisses. Il donne l’impression, non pas vraiment d’un clochard, mais d’un homme qui arrive au bout de son rouleau.

« Si je veux toujours deux hommes en faction, c’est à cause de son habileté à s’éclipser.

« Compris, Janvier ? »

— Oui, patron.

Maigret se tourna vers le gros Lourtie qui tirait à petites bouffées sur sa pipe.

— Ce que je viens de dire à Janvier vaut pour vous également. Les uns comme les autres n’avez pas à rester personnellement en faction mais vous devez veiller à ce que vos hommes soient en place et se relayent régulièrement.

— Ce sera fait.

— À vous, Torrence. Une équipe de six, comme les autres. C’est le grand jeu. Je ne veux pas risquer de le voir encore nous filer entre les doigts. Votre secteur est la place des Vosges, autour de la maison des Chabut. Mme Chabut est une belle femme d’environ quarante ans, très élégante, habillée chez les meilleurs couturiers. Elle a un chauffeur et une voiture Mercedes. Si elle se sert à l’occasion de l’auto de son mari, celle-ci est une Jaguar rouge décapotable.

Ils se regardaient les uns les autres comme des écoliers en classe.

— À Lucas, à présent. Toi, Lucas, tu couvriras le quai de Charenton. Nous sommes samedi. il ne doit y avoir personne dans les bureaux et dans les chais cet après-midi, personne demain non plus. J’ignore si les bâtiments sont gardés.

— J’ai compris, patron.

— Je fais surveiller les points où il est le plus probable qu’il se manifeste. Il ne s’approche jamais de très près. On dirait qu’il est fasciné par notre enquête, qu’il cherche par tous les moyens à deviner ce qui se passe et ce qui va se passer.

« Je me demande même, si, peut-être à son insu, il n’éprouve pas un obscur désir de se faire prendre. »

— Et moi ? questionna Lapointe.

— Tu restes ici, à ma disposition, toujours prêt à venir me chercher à n’importe quelle heure. Tu réunis aussi les informations qui pourront te parvenir et tu me tiens au courant par téléphone.

Ils croyaient que c’était terminé et ils étaient sur le point de se lever quand Maigret les retint du geste.