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Maître Gambier arrivait à une heure du matin et soulevait tout de suite des points de droit.

Selon le nouveau code de procédure criminelle, la police ne pouvait détenir ces hommes plus de vingt-quatre heures, après quoi, l'affaire dépendait du Parquet et du juge d'instruction qui auraient à prendre leurs responsabilités.

Déjà, du côté du Palais, on commençait à sentir des doutes.

La confrontation entre Mme Lussac et son mari ne donnait rien.

— Dis-leur la vérité.

— Quelle vérité ? Que j'ai une maîtresse ?

— L'automatique...

— Un copain m'a refilé un automatique. Et après ? Je suis souvent en voyage, seul sur les routes au volant de ma voiture...

Dès le matin, on irait chercher les témoins, tous ceux qui avaient déjà défilé Quai des Orfèvres, les garçons de café de la rue La Fayette, la caissière, le mendiant, les passants, l'agent de police en civil qui avait tiré.

Dès le matin aussi, on fouillerait le logement des trois hommes arrêtés à la porte de Versailles et peut-être, chez l'un d'eux, retrouverait-on la mallette.

Ce n'était plus que de la routine, une routine un peu écœurante, harassante.

— Vous pouvez retourner à Fontenay-aux-Roses, mais l'Assistante sociale restera avec vous jusqu'à nouvel ordre...

Il la fit reconduire. Elle ne tenait plus debout et écarquillait les yeux en regardant autour d'elle comme si elle ne savait plus où elle en était.

Pendant que ses hommes continuaient à harceler les prisonniers, Maigret alla faire un tour, à pied, recevant sur son chapeau et ses épaules les premiers flocons de neige. Un bar ouvrait ses portes, boulevard du Palais, et il s'accouda au zinc, mangea des croissants chauds en buvant deux ou trois tasses de café.

Quand, à sept heures, il revint au bureau, le pas pesant, les paupières clignotantes, il fut surpris d'y trouver Fumel.

— Tu as du nouveau, aussi, toi ?

Et l'inspecteur, très excité, se mettait à parler avec volubilité.

— J'étais de service, cette nuit. On m'a tenu au courant de ce que vous faisiez avenue de Versailles, mais je n'étais pas dans le coup et j'en ai profilé pour appeler au téléphone des copains des autres arrondissements. Ils ont tous, à présent, la photographie de Cuendet.

« Je me disais qu'un jour ou l'autre cela donnerait peut-être quelque chose...

« Alors, comme je bavardais avec Duffieux, du XVIIIe, je lui ai parlé de mon zèbre. Et Duffieux m'a dit qu'il allait justement m'appeler à ce sujet.

« Il travaille avec l'inspecteur Lognon, un de vos amis. Quand Lognon a vu la photographie, hier matin, il a tout de suite tiqué et l'a fourrée dans sa poche sans rien dire.

« La tête de Cuendet lui rappelait quelqu'un. Il s'est mis, paraît-il, à poser des questions dans les bars et les petits restaurants de la rue Caulaincourt et de la place Constantin-Pecqueur.

« Vous savez que quand Lognon a une idée en tête, il y tient. Il a fini par frapper à la bonne porte, tout en haut de la rue Caulaincourt, une brasserie à l'enseigne de La Régence.

« Ils ont reconnu Cuendet sans hésiter et ont affirmé à Lognon qu'il venait assez souvent chez eux en compagnie d'une femme. »

Maigret questionna :

— Depuis longtemps ?

— Justement, c'est le plus intéressant. Depuis des années, selon eux.

— On connaît la femme ?

— Le garçon ne sait pas son nom, mais jure qu'elle habite dans une des maisons voisines, car il la voit passer chaque matin quand elle va faire son marché.

La P. J. tout entière s'occupait de Fernand et de ses gangsters. Dans deux heures, les couloirs déborderaient à nouveau de témoins à qui on présenterait successivement les quatre hommes. On en avait pour toute la journée et les machines à écrire n'arrêtaient pas de taper des dépositions.

Seul au milieu de cette agitation qui ne le concernait pas, l'inspecteur Fumel, les doigts brunis par la nicotine des cigarettes qu'il fumait jusqu'à l'extrême bout au point d'en avoir une marque indélébile au-dessus de la lèvre, seul Fumel venait entretenir Maigret du Vaudois tranquille dont personne ne parlait plus.

N'était-ce pas une affaire enterrée ? Le juge d'instruction Cajou n'était-il pas persuadé qu'il n'aurait plus à s'en soucier ?

Il avait tranché la question, dès le premier jour :

— Règlement de comptes...

Il ne connaissait ni la vieille Justine, ni le logement de la rue Mouffetard, encore moins l'hôtel Lambert et la somptueuse maison d'en face.

— Tu es fatigué ?

— Pas trop.

— On y va, tous les deux ?

C'était presque en complice que Maigret parlait à Fumel, comme il lui eût proposé de faire l'école buissonnière.

— Quand nous arriverons là-bas, il fera jour...

Il laissa des instructions à ses hommes, s'arrêta au coin du quai pour acheter du tabac et, flanqué de l'inspecteur qui grelottait, attendit l'autobus pour Montmartre.

Chapitre 7

Lognon soupçonnait-il que Maigret attachait plus d'importance au mort quasi anonyme du bois de Boulogne qu'au hold-up de la rue La Fayette et à la bande de gangsters dont les journaux seraient pleins le lendemain ?

Si oui, n'aurait-il pas suivi le fil dont il avait saisi un bout ? Dieu sait alors jusqu'où il serait allé dans la découverte de la vérité, car c'était sans doute le policier qui avait le plus de flair de Paris, le plus obstiné aussi, et celui qui aurait le plus désespérément voulu réussir.

Était-ce la malchance qui le poursuivait, ou la conviction que le destin était définitivement contre lui, qu'il n'était en somme qu'une victime désignée ?

Toujours est-il qu'il finirait sa carrière comme inspecteur au commissariat du XVIIIe, comme Aristide Fumel à celui du XVIe. La femme de Fumel était partie sans laisser d'adresse ; celle de Lognon, malade, geignait depuis quinze ans.

Pour ce qui est de Cuendet, cela s'était sans doute passé bêtement. Lognon, occupé par autre chose, avait passé le tuyau à un collègue qui, lui-même, n'y avait pas attaché d'importance pour n'en parler à Fumel, au téléphone, qu'incidemment.

La neige tombait assez épaisse et commençait à tenir sur les toits, pas dans les rues, malheureusement. Maigret était toujours déçu de voir fondre la neige sur le trottoir.

L'autobus était surchauffé. La plupart des voyageurs se taisaient et regardaient droit devant eux, les têtes se balançant de gauche à droite et de droite à gauche, avec une expression figée.

— Tu n'as pas de nouvelles de la couverture ?

Fumel, plongé dans ses pensées, sursauta, répéta comme s'il ne comprenait pas tout de suite :

— La couverture ?

Il manquait de sommeil, lui aussi.

— La couverture en chat sauvage.

— J'ai regardé dans l'auto de Stuart Wilton. Je n'ai pas vu de couverture. Non seulement la voiture a le chauffage, mais encore l'air conditionné. Elle comporte même un petit bar, c'est un mécanicien du garage qui me l'a dit.

— Et celle du fils ?

— Il la range d'habitude devant le George-V. J'y ai jeté un coup d'œil. Je n'ai pas vu de couverture non plus.

— Tu sais où il prend son essence ?

— La plupart du temps, chez un pompiste de la rue Marbeuf.

— Tu y es allé ?

— Je n'ai pas eu le temps.

L'autobus s'arrêtait au coin de la place Constantin-Pecqueur. Les trottoirs étaient à peu près vides. Il n'était pas huit heures du matin.

— Cela doit être cette brasserie.

Elle était éclairée et un garçon balayait la sciure sur le plancher. C'était encore une brasserie à l'ancienne mode, comme on en trouve de moins en moins, à Paris, avec des boules de métal pour les torchons, un comptoir de marbre où une caissière devait prendre place devant la caisse enregistreuse et des glaces tout autour des murs. Des pancartes recommandaient la choucroute garnie et le cassoulet.