Выбрать главу

Les deux hommes entrèrent.

— Tu as mangé ?

— Pas encore.

Fumel commanda du café et des brioches tandis que Maigret, qui avait déjà bu trop de café pendant la nuit et qui en avait la bouche pâteuse, commandait un petit verre d'alcool.

On aurait dit que la vie, dehors, avait du mal à embrayer. Ce n'était ni la nuit ni le jour. Des enfants se dirigeaient vers l'école en essayant de happer des flocons de neige qui devaient avoir un goût de poussière.

— Dites-moi, garçon...

— Oui, monsieur ?

— Vous connaissez cet homme ?

Le garçon de café regardait le commissaire d'un air entendu.

— Vous êtes M. Maigret, n'est-ce pas ? Je vous reconnais. Vous êtes venu ici il y a deux ans avec l'inspecteur Lognon.

Il examinait la photographie avec complaisance.

— C'est un client, oui. Il vient toujours avec la petite dame aux chapeaux.

— Pourquoi l'appelez-vous la petite dame aux chapeaux ?

— Parce qu'elle porte presque chaque fois des chapeaux différents, des bibis amusants. Le plus souvent, ils viennent pour dîner et s'installent dans le coin, là-bas, au fond. Ils sont gentils. Elle adore la choucroute. Ils ne se pressent pas, boivent ensuite leur café, dégustent un petit verre eu se tenant par la main.

— Il y a longtemps qu'ils fréquentent l'établissement ?

— Des années. Je ne sais pas combien.

— Il paraît qu'elle habite le quartier ?

— On m'a déjà posé la question. Elle doit avoir un appartement dans une des maisons voisines, car je la vois passer presque chaque matin avec son filet à provisions.

Pourquoi cela enchantait-il Maigret de découvrir une femme dans la vie d'Honoré Cuendet ?

Un peu plus tard, il pénétrait avec Fumel, dans une première loge de concierge où on triait le courrier.

— Vous connaissez cet homme ?

Elle regardait avec attention, hochait la tête.

— Je pense que je l'ai déjà vu, mais je ne peux pas dire que je le connais. En tout cas, il n'est jamais venu dans la maison.

— Vous n'avez pas, parmi vos locataires, une femme qui change souvent de chapeau ?

Elle regarda Maigret, ahurie, haussa les épaules en grommelant quelque chose qu'il ne comprit pas.

Ils n'eurent pas plus de succès dans le second immeuble, ni dans le troisième. Dans le quatrième, la concierge faisait un pansement à la main de son mari qui s'était coupé eu sortant les poubelles.

— Vous le connaissez ?

— Et après ?

— Il habite la maison ?

— Il habite sans l'habiter. C'est l'ami de la petite dame du cinquième.

— Quelle petite dame ?

— Mlle Èveline, la modiste.

— Il y a longtemps qu'elle est dans la maison ?

— Au moins douze ans. C'était avant que j'y sois moi-même.

— Il était déjà son ami ?

— Peut-être bien que oui. Je ne m'en souviens pas.

— Vous l'avez vu ces derniers temps ?

— Qui ? Elle ? Je la vois tous les jours, parbleu !

— Lui ?

— Tu te rappelles la dernière fois qu'il est venu, Désiré ?

— Non, mais cela fait un bout de temps.

— Il lui arrivait de passer la nuit ?

Elle semblait trouver le commissaire naïf.

— Et alors ? Ils sont majeurs, non ?

— Il vivait ici plusieurs jours de suite ?

— Même des semaines.

— Mlle Èveline est chez elle ? Quel est son nom de famille ?

— Schneider.

— Elle reçoit beaucoup de courrier.

Le paquet de lettres, devant les casiers n'était pas défait.

— Pour ainsi dire pas.

— Cinquième à gauche ?

— À droite.

Maigret alla voir dans la rue s'il y avait de la lumière aux fenêtres et, comme il y en avait. s'engagea dans l'escalier avec Fumel. Il n'y avait pas d'ascenseur. L'escalier était bien entretenu, la maison propre et calme, avec des paillassons devant les portes et une plaque de cuivre ou d'émail par-ci, par-là.

Ils notèrent un dentiste au second étage, une sage-femme au troisième. Maigret s'arrêtait de temps en temps pour souffler, entendait de la radio.

Au cinquième, il hésitait presque à pousser le timbre électrique. Il y avait de la radio dans l'appartement aussi, mais on la coupa, des pas se rapprochèrent de la porte qui s'ouvrit. Une femme assez petite, aux cheveux blond clair, vêtue, non d'une robe de chambre, mais d'une sorte de blouse d'intérieur, les regardait de ses yeux bleus, un torchon à la main.

Maigret et Fumel étaient aussi embarrassés qu'elle, car ils voyaient l'étonnement, puis la crainte croître dans son regard, ses lèvres qui frémissaient et murmuraient enfin :

— Vous m'apportez une mauvaise nouvelle ?

Elle leur faisait signe d'entrer dans un living-room dont elle était occupée à faire le ménage et elle repoussa l'aspirateur électrique qui se trouvait dans le chemin.

— Pourquoi demandez-vous ça ?

— Je ne sais pas... Une visite, à cette heure-ci, quand Honoré est absent depuis si longtemps...

Âgée d'environ quarante-cinq ans, elle faisait encore très jeune. Sa peau était fraîche, ses formes arrondies et fermes.

— Vous êtes de la police ?

— Commissaire Maigret. Mon compagnon est l'inspecteur Fumel.

— Honoré a eu un accident ?

— Je vous apporte, en effet, une mauvaise nouvelle.

Elle ne pleurait pas encore et on sentait qu'elle essayait de se raccrocher à des mots sans importance.

— Asseyez-vous. Débarrassez-vous de votre pardessus, car il fait très chaud ici. Honoré aime la chaleur. Ne faites pas attention au désordre...

— Vous l'aimez beaucoup ?

Elle se mordait les lèvres, essayant de deviner la gravité de la nouvelle.

— Il est blessé ?

Puis, presque tout de suite :

— Il est mort ?

Elle pleurait enfin, la bouche ouverte, à la façon des enfants, sans craindre de s'enlaidir. En même temps, elle se prenait les cheveux à deux mains et regardait autour d'elle comme pour chercher un coin où se réfugier.

— J'en ai toujours eu le pressentiment...

— Pourquoi ?

— Je ne sais pas... Nous étions trop heureux...

La pièce était confortable, intime, avec des meubles massifs, de bonne qualité, quelques bibelots qui n'étaient pas de trop mauvais goût. Par une porte ouverte, on apercevait la cuisine claire où le couvert du petit déjeuner était encore mis.

— Ne faites pas attention... répétait-elle. Excusez-moi...

Elle ouvrait une autre porte, celle de la chambre à coucher non éclairée et où elle se jetait en travers du lit, à plat ventre, pour pleurer à son aise.

Maigret et Fumel se regardaient en silence et l'inspecteur était le plus ému des deux, peut-être parce qu'il n'avait jamais su résister aux femmes, malgré les ennuis qu'elles lui avaient causés.

Cela dura moins longtemps qu'on aurait pu le craindre et elle passa dans la salle de bains, fit couler l'eau, revint, le visage presque détendu, en murmurant :

— Je vous demande pardon. Comment est-ce arrivé ?

— On l'a retrouvé mort au bois de Boulogne. Vous n'avez pas lu les journaux des derniers jours ?

— Je ne lis pas les journaux. Mais pourquoi le bois de Boulogne ? Que serait-il allé y faire ?

— Il a été assassiné ailleurs.

— Assassiné ? Pour quelle raison ?

Elle s'efforçait de ne pas éclater à nouveau eu sanglots.

— Il était votre ami depuis longtemps ?

— Plus de dix ans.

— Où l'avez-vous connu ?

— Tout près d'ici, dans une brasserie.

— La Régence ?

— Oui. J'y prenais déjà un repas de temps en temps. Je l'ai remarqué, seul dans son coin.

Cela n'indiquait-il pas que, vers cette époque, Cuendet avait préparé un cambriolage dans le quartier ? Probablement. En étudiant la liste des vols dont on n'avait pas retrouvé les auteurs, on en trouverait sans doute un commis rue Caulaincourt.