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Ses vertus commencent où les miennes s'enlisent. Béru, c'est le complément très naturel. Le finisseur. Il supplée quand il le faut. Il a la générosité des autodidactes, leur volonté farouche, leur soif de se dépasser et de dépasser le peloton.

Je le croyais enfoui dans l'arrière-train d'une forte Thaïlandaise délicieusement prénommée Tâlang Hou La Miennh, en fait et nonobstant cette position de repli, il écoutait tout, le Bougre. Il enregistrait la converse en sachant pertinemment où je voulais en venir. Mon silence est pour sa Pomme une invite. Aussi est-ce d'un tan magnifique d'innocence qu'il demande :

— Où que c'est-y qu'on le poteaute, vot’ bonhomme, M'sieur Lathuile ? Ça me déplairait pas de voir scrafer un officier, j’sus anti-militairiste.

Lathuile libère une quinte de toux et se dépêche de boire son thé, ce qui lui vaut de la part de maman Nlatron Che Pâ, la sous-maîtresse de séants la réplique fameuse qui devait immortaliser M. Armand Salacrou :

— Mon thé t'a-t-il ôté ta toux ?

Fière personne, cette maman Nlatron Che Pâ ! Pas du tout le genre sous-maitresse occidentale. C'est une dame mince et distinguée, vêtue à l'européenne. Elle parle couramment soixante-seize langues, dont la langue fourrée de l'Alsacienne et on l'a surnommé la reine de la pipe, tant est grande sa dextérité dans l'art délicat de préparer l'opium.

— Il est marrant, ton Sancho Pança, jubile Lathuile. Une nature dans son genre, je me trompe ?

— Tu l'as dis, une nature, et d'élite encore ! renchéris-je.

— Il est tellement authentique qu'il fait pas vrai, reprend ce fin observateur. Il te fait plus d'usages qu’un saint-Bernard ou quoi ?

— Il bouffe davantage, mais il casse toutes les grandes gueules qui le chambrent préviens-je. Alors le chahute pas trop, Lathuile, because tu risquerais de tomber du toit.

Le regard blanchâtre d'Alexandre-Benoit confirme le bien-fondé de cet avertissement, aussi. Pas Bayard pour une flèche, le noircisseur de personnes sort en vitesse son train d'atterrissage.

— Il est trop spirituel pour ne pas apprécier une amicale plaisanterie, assure-t-il ; vous me demandiez donc, beau jeune homme, où on allait fusiller l'officier amerloque en question ?

— Exactely ! dit sombrement le Gros pas du tout amadoué par l’acte de contrition du journaliste.

— Je vous l'ai dit : dans la cour du camp américain.

— Et où c'est qu'on le détient ?

A mon avis, voilà une question de trop. Lorsque nous aurons essayé quelque chose pour Curtis, Lathuile se souviendra de ce petit interrogatoire.

— Au camp, mon ami ! Voudriez-vous écrire un reportage sur cette brebis galeuse ?

Bérurier se fend d'un rire plus gras que les caractères d'une affiche annonçant la mobilisation générale.

— Je manie mieux la savate que le stylo, M'sieur Lathuile, affirme l'aimable compère.

Je remets mes fringues, en silence.

— T'as l'air morose ? remarque Lathuile, ne me dis pas que tu es déçu par cette accueillante demeure ?

— Au contraire, j'ai de la peine à m'en arracher, assuré-je ; si j'étais riche j'y passerais mes vacances ! J'espère qu'on se reverra. Tu repars quand ?

— D'ici une huitaine, je ne suis pas pressé.

— A propos, dans quel hôtel es-tu descendu ?

— Au Troû Dû Thronc, comme tous les gens de l’élite.

— E t tu y retournes maintenant ?

— Yes, mon flic, et ce pour trois raisons, dont la première est qu'il est l'heure de la bouffe, la seconde que j'ai des forces à renouveler et la troisième que le Troû Dû Thronc est le seul endroit du Viêt Nam où l'on bouffe des grillades aussi succulentes qu'à Paris !

— Tu as une bagnole ?

— Une Cadillac 66 avec un chauffeur tellement galonné que les généraux le saluent au passage ! Dans la presse, c'est pas comme dans la poulaillerie, on ne mégote pas sur les notes de Frey.

Il baisse la voix et me demande d'une voix inquiète :

— Rassure-moi, San-Antonio : il n'a pas de puces, ton Saint-Bernard ?

— Non, fais-je, il n'a que des morpions ; vu l'endroit où nous venons de nous retrouver, tu ne tarderas pas à en avoir la preuve !

— Alors tu nous rentres au bercail ?

— Avec tous les honneurs dus à vos rangs.

CHAPITRE IV

— Vous m'offrez un bourbon au bar, manière de me rembourser votre part de transport ? demande Lathuile.

— Vas-y avec Béru, dis-je, moi j'ai quelques coups de turlu à donner, mais je vous rejoindrai avant que vous rouliez sous la table là-dessus, je plante les deux larrons, tout heureux et tout aise d'avoir pu rallier l'hôtel sans risquer de tomber sur une patrouille trop ardente.

Laura est de retour dans son appartement. Elle a beaucoup pleuré, ça se voit à ses paupières rouges et tuméfiées par le chagrin.

— Ça n'a pas marché ? lui demandé-je.

Elle est trop émue pour parler. Bon Dieu, ce que la douleur lui va bien ! s'exclamerait un sadique. Ce qu'on aimerait la consoler… Seulement, VOUS savez ce que c'est, hein ? En tout cas, si vous ne savez pas, moi je sais. J'en ai consolé des fies, misère de ma vie ! Des jeunes, des moins jeunes, des jolies ; oui : surtout des jolies.

On commence par leur essuyer les larmes avec sa pochette en leur susurrant des bonnes paroles bien miséricordieuses. Et puis, comme leurs sanglots désarment, on les prend dans ses bras en balbutiant des « Allons, allons, mon petit, du cran ». Ensuite on y va de sa larmouille, sensible comme on est. Bref, au bout de dix minutes de consolation, vous vous retrouvez à folâtrer dans un plumard avec l'éplorée, à lui démontrer comment et, par où, sans même vous rappeler la cause du chagrin qui a motivé cette prise de position horizontale.

Rien de plus traître que la compassion lorsqu'elle s'exerce sur une personne d'un sexe entièrement différent du vôtre (ou même sur une personne du même genre si vous êtes de la jaquette fendue ou du gigot à l'ail).

Mais cette fois, pas de ça, Lisette ! Je l'aurais à la caille de culbuter cette ravissante, deux jours avant que son bonhomme (en l'occurrence un bon copain), se fasse passerparlésarmer (verbe du premier groupe, se conjugue comme aimer : je te passeparlésarme, tu me passeparlésarmes, etc…).

— J'ai obtenu une audience du général D. Profundys, raconte-t-elle. Il m’a bien reçue, mais a refusé de m'accorder une ultime entrevue avec Curt. « Tout ce que je peux, c'est lui faire communiquer une lettre de vous avant son exécution, m'a-t-il dit ; vous pourrez la remettre à mon aide de camp, je vais donner des instructions ».

Je ne peux tout de même pas me retenir de lui caresser la joue. Mais en tout bien tout t’honneur, les gars ; surtout n'allez pas imaginer des A la grand frère, parole !

— Pas de panique, Laura, lui dis-je. Il ne s'agit pas de flancher maintenant. Quitte à y laisser mes os, je vous jure que je le tirerai de là, votre idiot de Curt.

Elle sourit à travers ses larmes. Ça fait comme une déchirure dans les nuages, quand le temps est au gris et que le soleil veut montrer le bout de son noze. C'est pas original comme comparaison, mais ça exprimes bien ce que je veux dire.

Faut savoir sacrifier au conventionnel à l'occasion ne serait-ce que pour rassurer les confrères. Si San-Antonio ne faisait que du San-Antonio, ils finiraient par en prendre ombrage, fatalement.

Ils me réputeraient intolérable, pestiféré, déliquescent, littératurcide. Mon œuvre au pilon, et moi au pilori, ils finiraient par exiger. En s'unissant tous, en relançant la Cadémie, le Conseil d'Etretat, la Faculté d'en pleurer, l'Hôtel Maquignon, le Va tiquant ! Ils arriveraient, les bougres, à le réputer insalubre, San-A. A le cataloguer aphteux, affreux, afflictif, affligeant, aphrodisiaque, à foutre en l'air ! Ils l'obtiendraient, mon interdiction de séjour chez les libraires, les carnes ! Y a des vilaines rapportes qui m'ont prévenu : on me surveille la prose, on fait attention si je vais bien au vocabulaire tous les matins et si ma syntaxe a une belle couleur, une bonne consistance. On veut bien me tolérer des élucubrations, comme on tolère que bébé cogne sur le clavier du piano, mais juste un moment parce que ça fait mal au tympan des grandes personnes. Ici-bas, la sagesse est dans la convention, la noblesse dans le classicisme, la raison dans la vie, l'honorabilité dans le déjà-vu. Alors, moi, pas bête, vous comprenez, je me hâte de clicher un peu, de rouler sur les rails posés par les aînés pour démontrer que je suis bien sage malgré mes vagabondages, qu'ils ne tirent pas à conséquence, que c'est seulement un peu de diarrhée, que ça va passer après un petit gorgeon d'élixir parégorique.