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— Tu as aimé ? demanda-t-elle.

— C’est toujours aussi extraordinaire, dit-il. Je crois que je vais t’emmener en voyage de noces.

Alexandra sourit :

— Moi, je t’ai fait une surprise. Quand tu m’as plantée pour aller avec ton « spook », j’ai été faire les vitrines. Je suis tombée sur l’exposition Claude Dalle et j’ai acheté un superbe lit de repos Louis XV en bois cérusé recouvert de soie ivoire. J’ai hâte qu’on l’essaie.

De toute évidence, ce n’était pas pour se reposer.

Elle ramassa sa jupe et sa veste, puis fila vers la salle de bains.

— Je vais me remaquiller et nous allons chez Saint-Laurent.

Encore sous le coup du plaisir, Malko se jura qu’il partirait en Yougoslavie avec Alexandra et non avec la « créature » que voulait lui imposer le chef de station de la CIA pour son plan fumeux.

* * *

Said Mustala faisait les cent pas devant le bâtiment blanc et rond, avec de toutes petites ouvertures, qui se dressait au milieu de la place Zrtava Fasizma[15]. Perplexe. Son regard allait sans cesse du dôme rond du toit à la banderole qui surmontait l’entrée : Musée de la révolution des peuples de Croatie. Cette inscription l’intriguait. Arrivé à Zagreb le matin même, il avait appelé comme convenu l’homme supposé le récupérer qui lui avait donné rendez-vous à six heures en face de la mosquée de Zagreb.

Bien sûr, il avait quitté la ville depuis quarante-cinq ans, mais il reconnaissait bien la place et le bâtiment. Simplement, les minarets avaient disparu. En 1942, le Poglovnik Ante Pavelic avait fait construire cette mosquée pour témoigner sa reconnaissance envers ses fidèles Oustachis musulmans, ce qui avait encore augmenté leur dévouement. Said Mustala, lui-même, avait été y prier. Maintenant, visiblement, ce n’était plus une mosquée… Il n’osait pas demander aux passants, de peur de se faire remarquer, et décida d’attendre encore un peu. Zagreb, la petite ville provinciale endormie qu’il avait connue, était devenue une métropole bruyante. Said Mustala était étourdi par le grondement de la circulation débridée. Les voitures débouchaient sur la place à toute vitesse, comme dans une course, pétaradant à qui mieux mieux, filant dans toutes les directions. Des Zastava, des Jugo, des japonaises, des allemandes, des françaises, mais pas de soviétiques.

En débarquant de l’aéroport, le vieil Oustachi avait découvert avec ahurissement les rangées de clapiers en béton à mourir de tristesse qui s’alignaient au sud de la Sava, la rivière coulant d’est en ouest qui marquait jadis la limite sud de la ville. Les champs avaient été rongés par ces hideuses cités dortoirs, fleurons de l’architecture communiste. Heureusement, le centre de la ville avait peu changé avec ses vieux immeubles noirâtres de l’empire austro-hongrois, construits au début du siècle, bordant des avenues et des rues se coupant à angle droit, dont pratiquement tous les noms étaient inconnus à Said Mustala. Leur crépi s’en allait par plaques, comme la peinture des vieux tramways bleus qui sillonnaient la ville.

Un seul motif de joie pour Said Mustala : les oriflammes et les drapeaux aux couleurs croates qui pendaient un peu partout. Victoire posthume du Poglovnik Ante Pavelic. Ainsi, la Croatie était vraiment indépendante ! Said Mustala n’arrivait pas à croire qu’il n’y ait plus de communistes dans son pays bien-aimé.

Mais il s’inquiétait. Qu’allait-il faire si son correspondant ne venait pas ? Il n’avait aucune adresse. Juste ce numéro de téléphone.

Un jeune homme en jeans et polo s’approcha de lui, avec un air de conspirateur.

Said Mustala, rasséréné, l’interrogea du regard.

— Dobroslav ?

L’inconnu secoua la tête négativement, mais lui glissa à voix basse :

— Tu veux changer des marks ?

Le vieil Oustachi le regarda d’abord sans comprendre. Il n’avait pas pensé à cela. L’autre insista aussitôt.

— Je te donne 1 500 dinars au lieu de 1 200 à la banque.

Se disant que cela passerait au moins quelques minutes, Said Mustala se laissa tenter et tira de sa poche cinq billets de cent marks. Le jeune homme les mit rapidement dans sa poche et sortit une liasse de billets orange de grande taille. Il les compta rapidement, les mit dans la main de Said Mustala et s’éloigna après lui avoir jeté :

— Il y a le compte…

Les billets fourrés dans sa poche, Said Mustala reprit son attente. De plus en plus inquiet. Zagreb ressemblait à une ville italienne avec des dizaines de terrasses en plein air, abritées par d’innombrables parasols aux couleurs de Coca-Cola. Il faisait une chaleur de bête, avec un ciel de plomb. Said Mustala, étourdi par le bruit de la circulation, s’essuya le front. Il mourait de soif et il fallait absolument qu’il téléphone. Il se dirigea vers le premier café et s’accouda au comptoir.

— Pivo ![16]

Pendant qu’on le servait, il alla téléphoner. Toujours rien. La sonnerie retentissait dans le vide. Il vida sa bière d’un coup et tendit un des billets que lui avait donnés le changeur. Un gros : 10 000 dinars.

— Vous pouvez me faire la monnaie ? demanda-t-il timidement.

Le garçon éclata de rire.

— Hé, tu plaisantes ! Tu n’as pas de quoi payer ta bière avec ça. C’est soixante-dix dinars.

Comme Said Mustala tenait toujours sa liasse à la main, il s’en empara et s’en appropria une bonne partie ! Le vieil Oustachi le contemplait, les sourcils froncés. L’autre réalisa soudain que son client était de bonne foi.

— Tu ne vis pas ici ? demanda-t-il.

— Non, admit Said.

— Tu ne sais pas qu’il y a eu un échange de billets il y a un an ? La valeur des vieux billets comme ceux-ci a été divisée par mille. Tu vois, ça fait dix dinars nouveaux[17].

Said Mustala sentait le sang battre à ses tempes. Avec ce que lui avait donné l’inconnu, il avait juste de quoi se payer quelques bières. Pour 500 marks allemands ! Personne ne lui avait dit que le dinar depuis quelque temps flottait à peu près aussi bien que le Titanic… Il enfouit le reste des billets dans sa poche. Ivre de fureur. Il s’était fait avoir… Il sortit du café, prêt à traverser la place pour regagner le lieu de son rendez-vous lorsqu’il aperçut, presque au même endroit, le jeune homme qui l’avait escroqué ! En train d’aborder un autre pigeon.

Le sang du vieil Oustachi ne fit qu’un tour ! Traversant le rond-point au risque de se faire écraser, il fonça sur le jeune voyou et se planta devant lui.

— Rends-moi mon argent ! lança-t-il. Voleur !

Le jeune homme regarda ce vieil homme au visage ridé qui paraissait bien inoffensif : un paysan endimanché. Il haussa les épaules, méprisant.

— Qu’est-ce que tu racontes ? Je t’ai donné un bon taux. Tire-toi.

D’une bourrade, il envoya valdinguer Said Mustala, réalisant trop tard la dureté des muscles de son adversaire.

Said Mustala alla s’aplatir contre le mur de la mosquée. Voyant rouge ! D’un réflexe automatique, il plongea la main entre sa ceinture et sa peau, arrachant de sa gaine le long poignard qui lui avait servi à régler tant de comptes. Le voyou n’eut pas le temps de s’enfuir. La pointe s’enfonçait déjà dans son ventre et il sentit son sang se liquéfier devant le regard fou du vieil homme ...

— Mon argent !

Cette fois, c’était sérieux. Il hésita quelques secondes, mais comprit que l’autre allait le tuer. La sauvagerie dans ses yeux ne trompait pas. Avec précaution, il tira de sa poche une liasse de marks et compta cinq billets. Au moment où il allait l’y remettre, Said Mustala lança froidement :

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15

Place des Victimes du Fascisme.

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16

Une bière.

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17

Environ 1 franc.