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Il écrasa la sonnette du 820 et attendit, la main sur le manche de son poignard. Après un temps qui lui parut infiniment long, il entendit un remue-ménage derrière la porte, puis un bruit de serrure, et une tête blonde aux cheveux ébouriffés s’encadra dans l’entrebâillement. Une fille très jeune, avec un beau visage aux pommettes hautes et d’étonnants yeux verts, vêtue en tout et pour tout d’un T-shirt d’homme qui lui arrivait à mi-cuisse.

Son absence de maquillage faisait ressortir la pureté de ses traits très slaves, imprégnés d’une douceur inhabituelle. Un sein aigu pointait par l’échancrure du T-shirt, mais Said avait vraiment d’autres chats à fouetter.

— Qu’est-ce que vous voulez ? demanda la fille d’un ton curieux, sans agressivité.

— Vous êtes Sonia Bolcek ?

— Oui.

— Je suis l’ami de Dobroslav Babic, annonça Said Mustala.

— Ah, bien sûr ! Je vous attendais. Entrez.

Elle ouvrit la porte toute grande, les traits illuminés par un sourire radieux.

Said Mustala se glissa à l’intérieur, frôlant involontairement au passage la poitrine de son hôtesse. Celle-ci le précéda sans façon et il détourna les yeux pour ne pas voir les fesses rondes à demi-découvertes par le T-shirt trop court. Le living-room minuscule était dans un désordre effroyable, éclairé par une seule lampe posée en équilibre sur un pouf. Les stores de bois baissés renforçaient l’impression de se trouver dans une boîte.

Épuisé, Said Mustala se laissa tomber sur une chaise. La blonde l’observait avec curiosité.

— Où est Dobro ? demanda-t-elle. Il vous a déposé ?

Le vieil Oustachi secoua la tête, embarrassé, ignorant en partie les rapports entre son contact et Sonia Bolcek.

— Il a eu un accident, bredouilla-t-il.

— Un accident ! Évidemment, il conduit comme un fou. C’est grave ?

Son visage s’était rembruni, elle semblait terriblement concernée. Said Mustala avala sa salive et lâcha :

— Oui…

Cette fois, à sa gêne, elle devina la vérité.

— Il est…

— Oui.

— Mon Dieu, mais qu’est-ce qui s’est passé ?

Instinctivement, elle avait pris dans sa main la grosse

croix en or qui pendait à son cou au bout d’une chaîne et la serrait. Said Mustala ne savait trop que répondre, lorsqu’il aperçut, punaisé sur un mur, un poster représentant une carte de la Grande Croatie avec dans le coin gauche, une très belle photo du Poglovnik, Ante Pavelic, de profil. De toute évidence, Sonia pensait « bien ».

— C’est la police qui l’a tué, dit-il. Ils ont poursuivi notre voiture et tiré. C’est ma faute.

Maladroitement, il raconta l’histoire du rendez-vous manqué. Tellement bouleversé que Sonia s’approcha et l’étreignit, comme une sœur.

— Il ne faut pas avoir de peine, dit-elle d’une voix émue, c’est la vie. Nous autres, les vrais Croates, nous sommes engagés dans une véritable guerre d’indépendance. Et dans les guerres, il y a des morts… Je sais ce que vous avez fait pour la cause. Vous auriez pu rester tranquillement en Argentine. Dobro m’a tout raconté.

— Vous le connaissiez bien ?

— Non. Il n’est pas à Zagreb depuis longtemps. Enfin, il n’était pas… L’UDBA le recherchait pour ses activités nationalistes. Il est revenu depuis que nous avons chassé les communistes. C’est Miroslav qui me l’a présenté. Vous ne connaissez pas Miroslav Benkovac ?

— Non, avoua l’Oustachi.

Le regard de Sonia s’illumina.

— C’est un garçon merveilleux. Nous sommes tous les deux de la région de Vukovar, en Slavonie, sur les bords du Danube. Un soir, j’ai eu l’imprudence de suivre un copain serbe qui m’a emmenée danser dans un bal au village de Borovo Cela. À la sortie, des Tchekniks[23] nous ont attaqués. Ils ont poignardé mon cavalier et m’ont entraînée dans une grange. Là, ils m’ont violée, de toutes les façons. Ils étaient sept… Ensuite, ils m’ont attachée pour que je ne puisse pas me sauver. Ils avaient l’intention de continuer plusieurs jours, seulement Miroslav a appris ce qui s’était passé. Avec des amis à lui, il a monté une expédition pour me récupérer. Ils se sont battus avec les Tchekniks et le frère de Miroslav a été tué. Mais ils m’ont sauvée !

« Depuis, je suis venue vivre à Zagreb, j’avais eu trop peur.

Said hocha la tête.

— Les Serbes sont des animaux.

— Qu’êtes-vous venu faire à Zagreb ? demanda Sonia, intéressée.

— Je ne sais pas vraiment, Dobroslav devait me donner des instructions, mais…

— Je vais vous faire rencontrer son ami, Boza Dolac, il est sûrement au courant. Miroslav sait où le joindre… Mais vous n’avez pas de bagages ?

— Je les ai mis à la consigne de la gare pour être plus tranquille.

— Je vais vous faire du café.

Elle se leva et Said Mustala demanda humblement :

— Dobroslav m’a dit que je pourrais rester ici quelques jours…

Elle lui adressa un pâle sourire, chaleureux pourtant.

— Bien sûr, mais ce n’est pas très confortable. Miroslav va passer tout à l’heure. Il est très actif en ce moment, il anime une cellule secrète de résistance au pouvoir fédéral. Le gouvernement de Franjo Tudman est trop timoré. Venez vous installer maintenant.

Said la suivit dans une chambre qui ne dépassait pas huit mètres carrés. Un matelas était posé à terre, avec des piles de livres, des affiches de la Grande Croatie et une table. Cela sentait le renfermé, mais, après sa traque, l’ensemble parut à Said aussi somptueux qu’un palace.

— Vous avez faim ? demanda Sonia.

Il sursauta.

— Oui, répondit-il simplement.

— Je vais vous faire des boulettes, dit-elle, après, vous pourrez vous reposer.

* * *

Malko relisait dans sa bibliothèque du château de Liezen la lettre officielle qu’il s’apprêtait à envoyer au nouveau gouvernement hongrois, réclamant la restitution des terres appartenant au domaine de Liezen, confisquées par les communistes en 1945. Avec deux mille hectares cultivables, une chasse, des bois et des étangs, il pourrait peut-être enfin « décrocher » de la CIA,..

La Company avait fait établir une dérivation sur le numéro de téléphone accompagnant la petite annonce parue dans le Kurier la veille, et aboutissant à l’appareil posé devant lui, sur la table basse de Claude Dalle. Cette ligne-là n’était pas connectée au standard du château. Il avait presque fini sa relecture lorsque l’appareil sonna. Son pouls s’accéléra. Une nouvelle mission commençait. Il n’avait pas encore expliqué à Alexandra qui l’attendait dans la chambre aux miroirs qu’il ne pourrait pas l’emmener en Yougoslavie…

— Allô ! fit-il après avoir décroché.

— Je téléphone pour l’annonce du Kurier, commença une voix douce que Malko reconnut immédiatement. J’ai vu l’annonce pour la Corniche. Est-ce qu’il y a un hard-top avec ?

— Oui.

— Très bien. Retrouvons-nous à la terrasse du Sacher, vers six heures.

Comme tous les soirs d’été, la terrasse du Sacher était bourrée et Malko avait dû faire jouer à plein sa connivence avec les maîtres d’hôtel pour obtenir une table. Miroslav Benkovac arriva au moment où il s’asseyait, sans attaché-case, cette fois. Les deux hommes se serrèrent la main et Malko commanda un Johnny Walker “on the rocks” pour le Yougoslave qui attaqua :

— Tout est prêt ?

— Absolument, confirma Malko. Mais il y a un contretemps pour l’itinéraire.

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23

Extremistes serbes.