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— C’est bien elle ! fit Malko consterné.

On frappa à la porte et une sentinelle déposa une enveloppe sur le bureau. Mladen Lazorov l’ouvrit et regarda les documents qu’il tendit à Malko. Celui-ci faillit vomir.

Le spectacle était insoutenable. Le visage surtout avec les poches de sang séché à la place des yeux, le nez écrasé, la bouche ouverte en deux et l’abominable entaille dans le cou délicat, avec la chair rougeâtre à l’intérieur. À côté, la blessure du flanc faisait presque propre.

— Ils lui ont fait tout cela alors qu’elle était encore vivante, précisa Mladen Lazorov d’une voix blanche. C’est l’habitude des Tchekniks.

Les autres photos avec le drapeau étaient encore plus ignobles. Il reposa le tout.

— On sait ce qui est arrivé ?

— Pas exactement. On suppose qu’elle a été attaquée par une des bandes de Tchekniks qui rôdent dans le coin. Elle a peut-être pris des risques pour sa livraison d’armes.

Malko se dit que c’était vraisemblablement un épisode de cette atroce guerre civile qui n’osait pas encore dire son nom… Mladen Lazorov était au téléphone, il raccrocha presque aussitôt.

— J’ai localisé son appartement, annonça-t-il. Nous allons là-bas, un milicien nous y rejoint avec un serrurier.

* * *

La porte s’ouvrit au premier essai du serrurier. Malko et Mladen Lazorov pénétrèrent les premiers dans le minuscule appartement et en eurent vite fait le tour. Dans une chambre, ils découvrirent des bagages abandonnés dont une valise portant un macaron des Aerolineas Argentinas.

— Voilà où se planquait Said Mustala, conclut Mladen Lazorov.

Ils eurent beau tout retourner à l’aide du milicien, ils ne trouvèrent aucun document permettant de faire avancer l’enquête, ni aucun signe du mystérieux Boza. Ils allaient se retirer lorsque le téléphone sonna. Malko était le plus proche de l’appareil. Instinctivement, il décrocha. Aussitôt, une voix d’homme anxieuse demanda :

— Sonia ! C’est moi.

En un clin d’œil, Malko identifia le très léger zézaiement de Miroslav Benkovac.

— Sonia ! répéta le jeune Croate, d’une voix nouée par l’angoisse. C’est toi ?

— Ce n’est pas Sonia, répondit Malko en allemand. C’est Kurt. Sonia est morte.

Il crut que son interlocuteur avait raccroché, n’entendant aucune réponse, mais plusieurs secondes plus tard, Miroslav Benkovac demanda d’une voix blanche et cassée :

— Comment le savez-vous ? Que faites-vous là ? Vous bluffez !

— Hélas, je ne bluffe pas. Je suis avec un membre des Services de renseignements croates. Nous avons eu la confirmation de l’assassinat de Sonia tout à l’heure. Elle a été massacrée à l’entrée du village de Borovo.

Il y eut comme un sanglot à l’autre bout du fil.

— Je sais, gémit Benkovac. Elle apportait des armes à des amis et ces salauds de Tchekniks lui ont tendu une embuscade. Je ne voulais pas qu’elle y aille, c’était trop dangereux. Boza aussi ^a essayé de la dissuader, mais elle n’a même pas voulu le voir.

Le pouls de Malko monta d’un coup à 120.

Pourquoi Boza mentait-il à Miroslav Benkovac ? C’est lui qui avait remis les armes à Sonia. Il savait très bien où elle se rendait.

— Écouter, fit Malko, il faut absolument que je vous parle. Où êtes-vous ?

— Ça ne vous regarde pas, cracha Miroslav, je n’ai pas de temps à perdre avec vous. Je vais retrouver ces salauds et les punir. Leur faire ce qu’ils ont fait à Sonia.

Nous avons assez enduré de ces sauvages. Ils ne connaissent que la force.

La haine l’empêchait de raccrocher, il se grisait de ses propres paroles. De nouveau Malko l’interrompit.

— Miroslav, supplia-t-il, ne raccrochez pas, j’ai quelque chose d’important à vous dire.

— Quoi ?

Il sanglotait, prononçait des mots sans suite.

— Boza, avança Malko avec précaution, vous êtes certain qu’il est de votre côté ?

— Quoi ! Qu’est-ce que vous essayez de faire, espèce de salaud !

Il hurlait tellement que Malko dut éloigner le récepteur de son oreille.

— Boza a failli être fusillé ! continua-t-il. Il a commis des tas d’attentats à Belgrade. Il a été condamné à mort, mais il a réussi à s’évader. C’est un authentique résistant.

Le parfait profil de l’activiste « retourné », se dit Malko. Il profita d’une pause pour lancer :

— Miroslav, il faut que je vous rencontre. Dites-moi où vous êtes, je viendrai seul. J’ai des choses importantes à vous dire.

— Moi, je n’ai rien à vous dire, glapit Miroslav Benkovac.

Et crac, il avait raccroché.

Malko était glacé, il venait de mettre le doigt sur le ressort secret de la manip. C’était abominable, mais efficace. Il ne lui manquait que le nom de celui qui tirait les ficelles. Boza n’était qu’un exécutant, qu’un manipulateur de second ordre. Il dansait sur une musique qu’il n’avait pas écrite…

Sonia Bolcek avait été sacrifiée de sang-froid, entraînée dans un guet-apens abominable par ceux en qui elle avait le plus confiance.

C’était Boza qu’il fallait retrouver coûte que coûte, le lien entre les manipulateurs et les gens comme Miroslav Benkovac, utopiques, fanatiques, mais de bonne foi.

— Je crois qu’il ne faut pas finasser avec ce chauffeur de taxi, dit-il à Mladen Lazorov. Il est le seul à pouvoir nous conduire rapidement à Boza. Êtes-vous d’accord pour prendre certains risques… administratifs ?

Le visage du policier s’éclaira d’un sourire décidé.

— Absolument. D’ici ce soir, nous avons le temps de penser à quelque chose.

* * *

Boza Dolac jeta un regard inquisiteur à Miroslav Benkovac dont l’émotion était visible. Il avait les yeux rouges, les traits tirés et jouait nerveusement avec sa barbe, sans avoir touché à la ljuta[30] qu’il avait commandée pour lui.

Autour d’eux, la terrasse du Graski Podrum, le plus grand café de l’ex-place de la République, était pratiquement déserte : à cause des événements, il n’y avait presque pas de touristes. Dès le matin, Boza Dolac avait téléphoné à Miroslav Benkovac, lui annonçant la mort de Sonia Bolcek, apprise, avait-il prétendu, par des amis. D’abord, Miroslav n’avait pas voulu le croire, puis avait dû se rendre à la réalité. Et il s’était effondré.

— Tu vois que j’avais raison, lança d’une voix doucereuse Boza Dolac, quand je te disais qu’il fallait frapper les Serbes sans attendre. Nous aurions peut-être tué ceux qui l’ont massacrée…

Miroslav Benkovac leva la tête, une lueur folle dans ses prunelles sombres.

— On va la venger, gronda-t-il d’une voix tremblante de haine. Mais je ne peux même pas aller chez elle prendre quelques affaires en souvenir.

— Pourquoi ? demanda Boza, surpris.

— La police s’y trouve.

— Comment le sais-tu ?

Il avait du mal à dissimuler l’affolement dans sa voix.

— J’ai appelé, répliqua Miroslav, je suis tombé sur Kurt. Il était avec des flics. Il a essayé de me faire dire où je me trouvais et m’a posé des questions sur toi.

Boza Dolac eut l’impression qu’une coulée glaciale descendait le long de sa colonne vertébrale. Depuis ce jour lointain, la veille de son exécution, où le major Tuzla qui n’était encore que lieutenant avait pénétré dans sa cellule, pour lui demander s’il avait envie de vivre, il avait toujours une épée de Damoclès au-dessus de la tête.

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30

Alcool encore plus fort que la Slibovizc.