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Il est possible que l’âge ait tempéré l’enthousiasme du jeune partisan des idées nouvelles, mais rien ne permet de supposer que son séjour à Amsterdam l’ait fait changer d’opinion. Il rentre précipitamment en Pologne afin de se faire élire à la Grande Diète comme député de Posnanie, province qu’il choisit parce que sa famille n’y possède pas de domaines. Il n’entend devoir son élection qu’à sa seule valeur. En fait, seuls les nobles ont droit de vote et le nom de Potocki est illustre dans tout le pays.

Il dénonce le danger prussien et adresse au roi Stanislas-Auguste un mémoire où il souligne l’importance des frontières occidentales et la nécessité d’y monter une garde vigilante. Il se prononce en faveur d’un impôt volontaire destiné à accroître les forces armées du pays et y consacre le cinquième de ses revenus personnels.

En même temps, à la Diète, il demande l’abolition du servage et la participation du Tiers-État. Il fait partie de la Commission de l’Éducation nationale : on lui attribue l’enseignement obligatoire de l’histoire de l’Orient, même dans l’enseignement primaire. Il installe chez lui une Imprimerie libre (Wolny Drukarnia) où il édite des brochures libérales, anticléricales, révolutionnaires.

Il prépare, sans toutefois le publier, une sorte de manuel de la guerre clandestine destiné aux francs-tireurs et partisans. Il dessine même leur futur uniforme, qu’il revêt à l’occasion. Il donne comme titre à l’opuscule la formule de senatus-consulte qui, à Rome, intronisait les dictateurs : « Ne quid detrimenti respublica capiat. »

En 1789, sur les presses de cette même Imprimerie libre, il réimprime également son Voyage en Turquie et en Égypte fait en l’année 1784, déjà publié à Paris en 1788, puis les deux volumes de son Essai sur l’Histoire universelle et Recherches sur la Sarmatie.

Un exploit l’a rendu célèbre. En juillet 1788, Stanislas-Auguste a invité à Varsovie l’aéronaute Jean-Pierre-François Blanchard. Ces premières ascensions sont fort dangereuses. Pilâtre de Rozier a été brûlé vif avec son passager en 1784. Mais l’Europe entière se passionne pour ces premières tentatives de conquête du ciel.

Blanchard a ajouté à la nacelle de son ballon des voilures mobiles et une hélice verticale. Potocki y prend place avec un serviteur turc qui tient à l’y suivre, et un caniche. Le ballon tient l’air une heure environ, puis atterrit à Wola, non loin de Varsovie. Potocki avait eu le temps de faire des observations sur les vents. Des cavaliers vinrent chercher les aéronautes pour les ramener en triomphe à la capitale. Le roi fit frapper à l’Hôtel des Monnaies une médaille commémorative.

Potocki est le héros du jour.

En 1791, il se rend au Maroc et en Espagne. Il s’est trouvé retenu à Tanger, que bombarde une escadre espagnole en représailles d’une incursion barbaresque sur les côtes d’Andalousie. Le sultan Moulay-Yésid l’avait reçu en même temps que l’ambassadeur de Suède.

Potocki s’intéresse également aux mœurs de la rue et aux intrigues de la Cour. Il note chaque détail, examine leur raison d’être et leurs conséquences.

A son retour, il passe par la France. Le prince Alexandre Lubomirski l’introduit au club des Jacobins, où il prend la parole. On acclame le « citoyen-comte », qui apporte le salut des peuples émancipés aux révolutionnaires parisiens. Il est reçu par Condorcet et par La Fayette. Il se lie avec Talma. Il assiste à plusieurs séances de l’Assemblée législative. Dans l’ensemble, il apparaît cette fois comme un témoin tour à tour enthousiaste et inquiet du développement d’une transformation qu’il appelait de ses vœux quelques années auparavant. Il rentre en Pologne accompagné d’un ancien combattant de la guerre d’Indépendance américaine, nommé Mazzeï, agent à Paris de Stanislas-Auguste et qui fut vite réputé agent, en Pologne, des clubs parisiens.

De nouveau dans sa patrie et pendant qu’on imprime une partie de ses souvenirs et réflexions sous le titre de Voyage dans l’empire du Maroc, volume comme presque tous ses ouvrages tirés à cent exemplaires seulement, Potocki participe en qualité de capitaine du génie, sous les ordres de son frère Séverin, à une campagne malheureuse contre la confédération de Targowice, suscitée et appuyée par la Russie. Cette campagne dura deux mois.

Il écrit à Stanislas-Auguste que ces brefs combats ne furent guère qu’un « hommage rendu aux lois de l’honneur militaire ». En août 1792, il retrouve sa femme au château de Lancut, chez la princesse Lubomirska. Le château est plein d’émigrés français auxquels se joindra bientôt l’évêque de Laon, Louis-Hector de Sabran.

Ce sont fêtes, jeux et réceptions ininterrompues, promenades en gondole, bals et représentations théâtrales où hôtes et invités se partagent la distribution. On supplie Jean Potocki de renouveler le répertoire. Se rappelant les spectacles dont il fut témoin en Italie et qui y continuent la tradition de la Commedia dell’arte, il écrit (en français, il va de soi) six canevas ou « parades » qu’il qualifie lui-même d’extravagances dramatiques et où il montre une verve bouffonne d’un ton étrangement moderne. L’une d’elles est une parodie quelque peu grivoise du théâtre que Mme de Genlis avait naguère composé pour le divertissement et l’édification des jeunes filles de qualité. Une autre, Cassandre démocrate, moque la phraséologie des orateurs révolutionnaires qui semblent avoir déçu Potocki, lors de son second séjour à Paris. L’année suivante, en 1793, il publie et dédie ces Parades à sa belle-sœur, née princesse Sapieha, qui en avait interprété les principaux rôles. Ces représentations ont eu beaucoup de succès. Le prince Henri de Prusse demande à l’auteur d’écrire une pièce pour la troupe française qu’il entretenait à sa résidence de Rheinsberg. Potocki compose une « comédie mêlée d’ariettes, en deux actes et en vers », Les Bohémiens d’Andalousie (1794). Elle n’ajoute rien à sa gloire.

Il n’y a là qu’amusettes et intermèdes sans conséquence qui le distraient à peine de ses travaux scientifiques. L’année suivante, Potocki publie à Hambourg le Voyage dans quelques Parties de la Basse-Saxe pour la Recherche des Antiquités slaves ou vendes, fait en 1794par le comte Jean Potocki. À Vienne, en 1796, il donne un Mémoire sur un nouveau Péryple (sic) du Pont-Euxin, ainsi que sur la plus ancienne Histoire des Peuples du Taurus, du Caucase et de la Scythie. La même année, à Brunswick, en quatre volumes, il édite des Fragments historiques et géographiques sur la Scythie, la Sarmatie et les Slaves.

En 1797 et 1798, il voyage en Ukraine et dans le Caucase pour y rassembler sur place la documentation dont il a besoin pour son grand ouvrage. Celui-ci paraît en 1702, à Saint-Pétersbourg. C’est, dédiée à Alexandre Ier, une Histoire primitive des Peuples de la Russie, avec une exposition complète de toutes les Notions locales, nationales et traditionnelles nécessaires à l’Intelligence du quatrième Livre. Le titre dit bien le propos essentiel de l’auteur qui est d’expliquer le présent par le passé et réciproquement. À la fois ethnographe, archéologue, géographe, philologue, Potocki compare la langue, les mœurs, les institutions des peuples qu’il a sous les yeux avec les données qu’il trouve dans les écrivains de l’antiquité. Il a une mémoire surprenante. Témoin d’un usage étrange, il l’identifie aussitôt à telle coutume dont il a lu la description chez quelque auteur grec ou latin. Je donnerai un exemple d’une méthode qui devait par la suite, rendre tant de service aux historiens des religions :