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— Ton jardin recèle de bien étranges surprises, Joséphine, fit-il avec une feinte gaieté, regarde ce que j’ai trouvé ! Les Gardes ont déniché cette jeune personne qui avait purement et simplement escaladé ton mur en compagnie d’un Américain, qu’une balle a d’ailleurs blessé !

Ramenée sur terre par la voix de Napoléon, Marianne vit qu’elle était dans une longue pièce tendue de vert pâle, un salon de musique à en juger l’ameublement. Une femme un peu grasse, vêtue de cachemire blanc et enveloppée de dentelles mousseuses, se tenait à demi couchée sur une chaise longue tendue de soie rouge clair et galonnée de noir comme le reste du salon.

— Je t’en prie, Bonaparte, ne plaisante pas ! On a parlé de conspiration, dit la femme qui n’était autre que l’ex-impératrice.

Elle tendit vers lui des mains tremblantes qu’il prit et serra affectueusement.

— Si conspiration il y a, on s’en assurera rapidement. Ne te tourmente pas ! Il ne se passera rien. Au fait, pouvez-vous me dire qui en est le chef ? ajouta-t-il en se tournant vers Marianne qui, interdite, osait à peine respirer.

— Oui, Sire. Le chevalier de Bruslart.

— Encore lui ! s’écria Joséphine, tandis que les sourcils de l’Empereur se fronçaient. Venez ici, mademoiselle, et dites-nous ce que vous savez. Tenez, asseyez-vous là.

Elle désignait un petit fauteuil que Marianne ne regarda même pas. Elle était fascinée par cette femme, encore belle avec son teint transparent, ses lourds cheveux couleur d’acajou, et ses larges yeux de créole, à vrai dire assez rougis par les larmes, mais tout cela n’eût rien été sans la grâce, vraiment inimitable, qui faisait de Joséphine un être exceptionnel. L’amour qu’elle portait à un époux qui l’avait rejetée se lisait dans chacune de ses expressions, dans chacun de ses regards, et Marianne, poussée vers cette femme par une sympathie aussi spontanée qu’inconsciente, oublia sa jalousie. Toutes deux aimaient le même homme, elles tremblaient toutes deux pour lui, n’était-ce pas un lien infiniment plus fort que le lien du sang, léger à vrai dire, qui les liait.

— Allons ! insista l’Impératrice répudiée, venez là !

— Madame, murmura Marianne avec une impeccable révérence de cour, je n’oserais ! Que Votre Majesté considère comme je suis faite... et le dommage que je pourrais causer à ses jolis sièges.

— Aucune importance ! s’écria Joséphine avec le subit enjouement qu’elle trouvait si facile ment, pour un rien, dans son caractère charmant d’oiseau des îles. Je veux parler avec vous, apprendre qui vous êtes ! En vérité, vous êtes une énigme pour moi : vous êtes, en effet, faite comme une vagabonde, mais vous faites la révérence comme une grande dame et votre voix s’accorde à votre façon de saluer. Qui êtes-vous donc ?

— Un instant ! coupa Napoléon. Voici du nouveau ! On dirait que les conspirateurs n’étaient pas seuls sur la route.

En effet, Duroc revenait déjà en compagnie d’un personnage maigre, enveloppé d’une houppelande fourrée dans lequel Marianne, inquiète, reconnut Fouché. Le ministre de la Police, plus pâle que jamais, montrait cependant un nez rouge et un peu tuméfié dû à la fois au froid extérieur et à un magistral rhume de cerveau qui lui bouchait la voix et l’obligeait à ne pas quitter son mouchoir. Les deux hommes s’arrêtèrent côte à côte pour saluer, et le grand maréchal du palais déclara :

— Il y avait bien une conspiration, Sire. J’ai trouvé M. le duc d’Otrante sur les lieux, très occupé à en découdre !

— Je vois ! fit l’Empereur qui, les mains au dos, considérait tour à tour ses deux dignitaires. Comment se. fait-il que vous ne m’ayez pas prévenu, Fouché ?

— J’ai été moi-même averti assez tard, Sire. Mais Votre Majesté voit que j’ai quitté aussitôt mon lit où cependant ma santé aurait dû me retenir... D’ailleurs, le reproche de Votre Majesté est injustifié : vous avez été prévenu, Sire ! N’est-ce pas Mlle Mallerousse que je vois là, auprès de Sa Majesté l’Impératrice ? Elle est l’un de mes plus précieux et plus fidèles agents !

Marianne ouvrit la bouche mais ne trouva rien à dire. L’aplomb de Fouché la stupéfiait. Alors que, sans Gracchus-Hannibal Pioche, elle eût pu demeurer une éternité dans les souterrains de Chaillot, il osait se faire gloire maintenant de ce qu’elle avait fait et la revendiquer pour sienne !

Mais l’œil gris-bleu, incroyablement dur, de Napoléon se tournait vers elle et elle sentit son cœur se serrer.

— Un agent de Fouché, hein ? Voilà du nouveau. Que dites-vous de cela, Duroc ?

Le ton était menaçant. Le duc de Frioul rougit et chercha quelque chose à répondre, mais Fouché ne lui en laissa pas le temps. Souriant, très à l’aise, il s’essuya délicatement le nez et susurra.

— Mais oui, l’un des meilleurs. Je l’ai même surnommée l’Etoile. Mlle Mallerousse est, dans la vie courante, lectrice chez la princesse de Bénévent ! Une fille charmante ! Toute dévouée à Votre Majesté comme Votre Majesté a dû... euh, s’en rendre compte !

L’Empereur eut un geste de colère.

— Talleyrand, maintenant ? (Puis, se tournant vers Marianne épouvantée par cette colère subite :) J’ai l’impression, mademoiselle, que vous allez avoir quelques explications à me fournir. On m’avait parlé d’une demoiselle Mallerousse, élève de Gossec, possédant une voix admirable, mais on ne m’avait rien dit de plus ! Je m’aperçois que votre activité ne se limite pas au chant... et que vous avez plus d’une corde à votre arc ! En fait, vous êtes une comédienne consommée... une grande artiste, en vérité ! Une très grande artiste ! Il est vrai que, pour être une étoile chez Fouché, il faut avoir de multiples talents... et un cœur fait sur mesure !

La colère faisait trembler sa voix, lui rendant les duretés de l’accent corse. Tout en déversant sur la tête de Marianne éperdue ce flot d’insultante amertume, il s’était mis à arpenter furieusement le salon de musique. Joséphine alarmée protesta :

— Bonaparte ! N’oublie pas qu’elle t’a peut-être sauvé la vie !

Il s’arrêta court dans sa promenade forcenée, écrasa Marianne d’un regard si lourd de mépris qu’elle sentit les larmes lui monter aux yeux.

— C’est juste ! Je verrai, mademoiselle, à vous rétribuer selon vos mérites ! M. le duc d’Otrante voudra bien vous remettre une somme d’argent suffisante.

— Non ! Non... pas ça !

C’était plus que Marianne n’en pouvait supporter. Cela avait été déjà assez cruel de devoir renoncer à son rêve d’amour, d’avoir pris la décision de s’écarter de lui à tout jamais ! On ne pouvait pas lui demander de subir aussi son mépris, de se voir traitée par lui comme une basse servante, comme une vulgaire espionne ! Elle voulait bien s’en aller, mais elle ne voulait pas qu’il abîmât le merveilleux souvenir de leur nuit d’amour. Cela, au moins, elle voulait le garder intact, pour en nourrir ses rêves durant tout le temps qui lui resterait à vivre... Son élan d’indignation l’avait dressée debout, en face de Napoléon. Des larmes roulaient sur son visage sali et meurtri par les branches, mais sa tête demeura droite et ses yeux verts étincelants osèrent croiser ceux du César furieux.

— Si j’ai voulu épargner votre vie, Sire, ce n’est pas pour que vous me lanciez au visage une somme d’argent comme à une servante congédiée... c’est par amour !... et parce que en effet je suis votre servante... mais pas comme vous l’entendez ! Vous me faites un crime d’avoir collaboré à votre police ? Je ne crois pas être la seule, fit-elle sans prendre garde à la mine gênée de Joséphine qui, plus d’une fois, avait renseigné le curieux ministre de la Police sur les faits et gestes de son époux. Mais, poursuivit Marianne trop lancée pour que le regard avertisseur que lui jetait Fouché pût l’arrêter, je ne l’ai fait que contrainte et forcée. Je ne pouvais pas faire autrement...