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— Mais, fit Marianne éberluée, comment savez-vous tout cela ? Et en si peu de temps ?

— J’ai une excellente police. Est-ce que tu ne le savais pas ? Et Fouché avait certaines choses à se faire pardonner, fit-il avec un sourire si moqueur que la jeune femme ne put s’empêcher de rire.

D’un geste vif, il lui tira l’oreille pour la ramener vers lui. Abasourdie par cette avalanche inattendue, elle s’était laissée tomber sur une chaise longue.

— Tu es contente ?

— Comment ne le serais-je pas ? Je ne sais plus que dire. Tout ceci est tellement soudain, tellement inattendu. C’est presque effrayant !

— Je t’ai prévenue que j’avais des tas de choses à te dire. Maintenant, embrasse-moi et va dormir ! Tu en as besoin. Rien de tel qu’une bonne nuit après de grandes émotions. Moi, je pars.

Pressé maintenant, il l’embrassait un peu au hasard, reprenait son chapeau, se dirigeait à grands pas vers la porte. Mais, au moment d’en passer le seuil, il s’arrêta et se frappa le front avec mécontentement.

— Stupide que je suis ! J’allais oublier !

Revenant vers Marianne clouée sur place, il lui tendit un grand écrin de maroquin vert, timbré aux armes impériales, qu’il fit surgir, comme par magie, d’une autre de ses immenses poches.

— Tiens, dit-il, tu les porteras le soir de ta première représentation ! Ainsi, je serai sûr que tu penseras à moi.

Comme dans un rêve, Marianne ouvrit l’écrin. Sur le velours noir qui le garnissait, étincelait une fabuleuse parure d’émeraudes et de diamants à laquelle les flammes des bougies arrachèrent des éclairs. Jamais elle n’avait rien vu d’aussi fastueux, même chez Talleyrand ! Mais, comme elle relevait vers Napoléon des yeux éblouis, elle vit que, de nouveau, il s’encadrait dans le chambranle de la porte.

— Ne me dis pas qu’elles ne t’iront pas. Elles sont du même vert que tes yeux ! Adieu, mon cœur.

Quand, un peu plus tard, Mme Hamelin, inquiète du silence qui régnait dans le salon, y entra avec précaution, elle trouva Marianne assise sur le tapis devant la cheminée, un flot de fabuleuses pierreries sur les genoux, des papiers plein les mains et pleurant, pleurant éperdument.

16

LE FANTOME DE LA RUE DE LILLE

Due le jour gris et pluvieux, à peine éveillé dans un ciel qui, avant longtemps, très certainement, ne connaîtrait pas le soleil, le portail de l’hôtel paraissait lugubre entre ses murs délavés où quelques pierres manquaient. Des herbes desséchées, dont les graines avaient dû être portées là par le vent, bouchaient les interstices et, au bas de la porte dont la peinture verte s’écaillait sinistrement, les pavés s’écartaient pour livrer passage à toute une végétation brûlée par l’hiver.

Sous le voile épais qui cachait son visage, Marianne, appuyée au bras de Fortunée, regardait, les yeux pleins de larmes, la vieille maison où sa vie avait débuté, d’où son père et sa mère étaient partis vers la mort, main dans la main. Elle avait voulu la visiter, seule, avant que les architectes s’en emparent, parce qu’il lui semblait qu’elle seule avait le droit de rompre le silence où, depuis tant d’années, s’ensevelissait l’hôtel d’Asselnat. Avant que, d’un coup de baguette magique, elle retrouvât une vie nouvelle, Marianne avait désiré la voir dans son abandon et sa solitude et découvrait que cet abandon lui était cruel. Il signifiait tant de choses !

Sans la Terreur, toute sa jeunesse se serait écoulée dans cette vieille demeure dont les nobles proportions, les trophées d’armes à demi brisées sur l’arc du portail disaient encore la splendeur du temps du Roi-Soleil, ou dans le vieux château d’Auvergne qu’elle ne connaîtrait peut-être jamais. Sa vie serait autre, mais serait-elle plus heureuse ? Qui pouvait savoir ce que serait, à cette heure, Marianne d’Asselnat de Villeuneuve si... Mais, avec des « si » on va tellement loin !

Derrière elle, Marianne entendit Arcadius de Jolival ordonner au cocher de se ranger et d’attendre. Elle fit quelques pas en direction de l’hôtel, hésitant à se servir des clefs qu’elle avait trouvées à son réveil. En face du silencieux portail, un grand et somptueux hôtel s’éveillait à une débordante activité qui contrastait avec l’abandon de son voisin. La livrée entrait en action. Ce n’étaient que domestiques balayant cours et trottoirs, astiquant les cuivres, battant les tapis. Des allées et venues aussi, surtout de militaires à pied ou à cheval, qui entraient ou sortaient d’une vaste cour au fond de laquelle s’élevait une imposante construction de style égyptien. Comme Marianne, gênée par ce bruit qui troublait son émotion, se tournait de ce côté, les sourcils froncés, Arcadius déclara :

— Vous aurez des voisins bruyants, du moins quand ils seront à Paris. Cet hôtel est l’hôtel de Beauharnais. Le prince Eugène, vice-roi d’Italie, s’y trouve en ce moment. Et hier, 29 janvier 1810, il y a eu bal, réception. Le prince Eugène aime recevoir et l’Empereur est venu. Mais ce matin les domestiques ont du travail. D’où l’agitation. Mais quand il regagnera Milan vous serez plus tranquille. L’Empereur l’aime beaucoup ! ajouta-t-il sachant bien que ce serait la meilleure manière d’apaiser la contrariété de sa jeune amie.

Elle eut d’ailleurs un sourire.

— Alors, si l’Empereur l’aime beaucoup. Entrons, voulez-vous ! On gèle ici !

Elle tendit les grosses clefs qu’elle avait apportées, glissées dans son manchon. Arcadius s’en saisit et s’approcha d’une petite porte qui s’ouvrait auprès de la grande.

— Ce ne sera sûrement pas facile, dit-il. Si cette porte n’a pas été ouverte depuis des années, le bois gonflé du vantail, la rouille des gonds vont nous opposer une sérieuse résistance.

Il s’apprêtait à peser, de toute sa force, contre le battant tandis qu’il essayait de tourner la clef. Or, la clef tourna sans rencontrer le moindre obstacle et la porte s’ouvrit sans offrir de résistance.

— On dirait que quelqu’un a pris soin de graisser cette serrure, remarqua-t-il, surpris. En tout cas, la porte marche comme si elle servait tous les jours... Qui peut venir ?

— Je ne sais pas ! répondit Marianne nerveuse. Entrons !

La cour d’honneur apparut dans toute sa désolation. Au fond, cernée par des communs moussus, la noble façade classique montrait ses fenêtres noires aux vitres brisées, ses pierres verdies dont certaines portaient des traces de balles, son imposant perron où plusieurs marches manquaient. Les lions de pierre, qui l’avaient jadis gardé, gisaient dans l’herbe de la cour, décapités. Des débris de toute sorte jonchaient le sol et, vers la droite, un pan de mur et des pilastres noircis racontaient un début d’incendie, celui sans doute que l’abbé de Chazay avait éteint avant de fuir. Une folle végétation avait poussé, au hasard, faisant de son mieux pour cacher la misère de cette maison éventrée. Un lierre encore timide escaladait la porte de chêne sculpté comme si la nature, en leur donnant cette frêle parure, avait cherché à consoler les pierres meurtries. Par le soupirail aux grilles tordues, un chat noir jaillit tout à coup et fila jusqu’à la porte béante d’une ancienne écurie dans laquelle il disparut.