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— Pas seulement ma voix et ma personne ?

— Idiote !

Alors, enfin, elle s’abandonna. Ses nerfs cassèrent d’un seul coup. Avec un frisson, elle se blottit étroitement contre lui et, la tête sur son épaule, se mit à pleurer à gros sanglots, des sanglots de petite fille punie et pardonnée qui la soulagèrent. Tendrement, patiemment, Napoléon attendit qu’elle se calmât, la berçant avec une douceur presque fraternelle. Il la conduisit jusqu’à un petit canapé et l’y fit asseoir sans cesser de la tenir tout contre lui. Quand elle pleura un peu moins fort, il lui murmura, en italien, les mots tendres qu’elle avait tant aimés la première fois. Peu à peu, sous ses caresses et ses baisers, elle se calma. Au bout d’un moment, elle se dégagea des bras qui la tenaient et se redressa, essuyant ses yeux avec le mouchoir que Duroc avait tout à l’heure remis dans ses doigts.

— Pardonnez-moi ! balbutia-t-elle. Je suis stupide.

— Peut-être, si tu le crois vraiment. Mais tu es si belle que même les larmes ne peuvent pas t’enlaidir !

Il alla jusqu’au grand rafraîchissoir de vermeil posé sur une petite table auprès de flûtes translucides et d’un petit souper froid, en tira une bouteille de Champagne et remplit deux verres. Puis il en porta un à Marianne :

— Maintenant, il faut sceller notre réconciliation. Nous recommençons tout, depuis le début. Seulement, cette fois, nous savons qui nous sommes et pourquoi nous nous aimons. Bois, mio dolce amor, à notre bonheur !

Ils burent, les yeux dans les yeux, puis, avec un soupir, Marianne laisser aller sa tête Sur le dossier du canapé. Pour la première fois, elle regarda ce qui l’entourait, les tentures précieuses, les meubles de bronze doré ou de bois-satin, tout ce décor magnifique et inconnu. Que lui avait-il dit, tout à l’heure ? Que c’était là Trianon ?

— Pourquoi ici ? demanda-t-elle. Pourquoi ce voyage, cette comédie ?

— Là aussi j’ai une excellente raison. Je vais m’accorder quelques vacances... toutes relatives. Je reste ici huit jours, et je te garde avec moi.

— Huit jours ?

— Mais oui. Est-ce que cela te paraît trop long ? Rassure-toi, tu auras ensuite tout le temps de te faire entendre au directeur de l’Opéra. Tu es engagée d’avance. Les répétitions commenceront dès ton retour. Quant à ta maison...

Il prit un temps et Marianne, n’osant l’interrompre, retint son souffle. Qu’allait-il dire ? Leur dispute stupide de tout à l’heure n’allait tout de même pas recommencer ? Il la regarda, sourit, puis, posant un baiser léger sur le bout des doigts qu’il avait pris entre les siens, il acheva tranquillement :

— Quant à ta maison, Percier et Fontaine n’ont nul besoin de toi pour effectuer les travaux. Sois tranquille, ils ont ordre de se conformer strictement à tes désirs. Tu es contente ?

Pour toute réponse, elle lui tendit ses lèvres et, osant pour la première fois le tutoyer, murmura :

— Je t’aime.

— Tu as mis du temps à le dire, remarqua-t-il entre deux baisers.

Tard dans la nuit, l’éclatement d’une bûche dans la cheminée réveilla Marianne qui n’était qu’assoupie. Se soulevant sur les oreillers, elle rejeta en arrière la masse de ses cheveux qui la gênaient et s’accouda pour regarder dormir son amant. Le sommeil l’avait saisi d’un seul coup, après l’amour, et il gisait sur le lit dans la nudité du guerrier grec sur le champ de bataille. Pour la première fois, Marianne fut frappée par la perfection de son corps.

Ainsi étendu, il paraissait bien plus grand qu’il n’était en réalité[14]. Sous la peau mate, couleur d’ivoire, qui leur donnait l’aspect d’un marbre ancien, les muscles solides transparaissaient, à peine adoucis par un léger enveloppement. Napoléon avait les épaules et la poitrine larges, presque sans poils, des bras et des jambes modelés sur les canons les plus rigoureux, des mains admirables dont il prenait le plus grand soin, comme de toute sa personne. Doucement, Marianne approcha son visage d’une de ses épaules pour respirer son odeur légère d’eau de Cologne et de jasmin d’Espagne et Ta caressa de la joue, en prenant bien soin de ne pas l’éveiller.

Un grand miroir vénitien au-dessus de la cheminée lui renvoya leur double image. Elle se vit elle-même, rose dans la lumière tendre des bougies, à demi ensevelie dans les boucles brillantes de sa chevelure, et se trouva belle. Elle en fut heureuse comme d’une victoire, parce que c’était pour lui, par lui aussi, qu’elle l’était autant cette nuit. Le bonheur la parait d’un éclat qu’elle n’avait jamais eu auparavant et qui l’emplissait à la fois de joie et d’humilité. Dans le silence de cette chambre, encore vibrante de leurs caresses, Marianne offrit à l’homme qu’elle aimait une soumission plus totale et plus absolue que celle qu’il réclamait tout à l’heure, une soumission que, peut-être, elle lui refuserait le jour revenu.

— Je te donnerai tout l’amour que tu voudras, chuchota-t-elle tout doucement, je t’aimerai jusqu’au bout de mon cœur, jusqu’au bout de mes forces, mais je te dirai toujours la vérité ! Tu pourras tout exiger de moi, mon amour, tout jusqu’à la souffrance et jusqu’au sacrifice, tout... sauf le mensonge et la servilité.

Le feu se mourait dans la cheminée. La chambre, chaude encore l’instant précédent, se refroidissait peu à peu. Vivement, Marianne se leva, ouvrit la balustrade blanc et or qui enfermait le lit, courut sur ses pieds nus à la cheminée et, tisonnant les braises rouges pour leur rendre un peu de vigueur, entassa dessus quelques bûches, puis attendit que les flammes renaissent.

La glace lui renvoya l’image de son torse nu et elle sourit en pensant à celle qu’elle offrirait si l’un des quatre hommes qui, d’étiquette, dormaient dans l’antichambre, osait ouvrir la porte[15]. Il y avait aussi le fidèle Constant qui dormait dans une petite chambre proche de celle-ci, toujours prêt à répondre à un coup de sonnette, et l’imposant Roustan qui devait barrer l’entrée de son grand corps paresseux.

Se penchant un peu plus, Marianne examina la femme nouvelle qu’elle était devenue. C’était quelque chose que d’être la maîtresse d’un empereur ! Les serviteurs, les officiers la traiteraient sans doute, comme le grand maréchal du palais, avec le plus grand respect pendant ce bref séjour qu’elle allait faire ici. Un séjour qui serait peut-être unique puisque la nouvelle impératrice...

Mais de toutes ses forces elle repoussa la pensée affligeante. Elle avait assez souffert pour cette nuit ! Et puis, pendant huit jours, elle l’aurait pour elle toute seule. En quelque sorte... ce serait elle l’impératrice ! Et, ces huit jours bienheureux, elle entendait en extraire jusqu’à la plus infime parcelle de bonheur. Elle ne voulait pas en perdre une seule seconde.

De sa démarche légère, elle revint vers le lit, tira doucement les couvertures pour en protéger le corps de l’homme endormi, puis, avec d’infinies précautions, se glissa auprès de lui, tout contre lui, pour envelopper de sa chaleur son propre corps frissonnant. Dans son sommeil, il se retourna vers elle et l’entoura d’un bras en balbutiant des mots indistincts. Avec un soupir de bonheur, elle se blottit contre sa poitrine et s’endormit, satisfaite du pacte qu’elle avait conclu avec elle-même et avec le maître de l’Europe endormi.