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— Mon père ne l’avait-il pas ?

— Bien sûr que si… hélas !

— Pourquoi, hélas ?

— Je vous expliquerai plus tard ! Pour le moment laissez-moi embrasser vos sœurs ! Et à ce propos, je vous en apporte une toute neuve ! Charlotte-Marie que voici !

— Encore une fille ! Oh ! ma mère, quand donc verrai-je autour de moi autre chose que des jupons ?

— Quand il plaira au Seigneur, Louis ! Quand il plaira au Seigneur !

Marie embrassa ses filles et garda un instant dans ses bras Marie-Anne, née à Hampton Court, scrutant le petit visage blond dans l’espoir… ou la crainte d’y trouver une ressemblance, mais la Nature gardait jalousement ses secrets et si Marie-Anne ressemblait à quelqu’un, c’était plutôt à sa grand-mère maternelle, Madeleine de Lénoncourt, morte peu après la venue au monde de sa fille Marie… Si la fillette avait été engendrée par Henry Holland, cela ne se voyait pas… ou pas encore ! Soulagée, elle la remit à sa nourrice en lui faisant compliment sur sa bonne mine. Tous d’ailleurs semblaient en excellente santé et, apparemment, les absences de leur mère ne semblaient pas les affecter outre mesure. Elle en fut satisfaite : quoi de plus irritant qu’une marmaille qui ne cesse de geindre en réclamant sa maman ? Ceux-là au moins ne se mettraient pas à la traverse des projets faramineux qu’elle échafaudait déjà et dont le principe était une fois de plus de reprendre sa place auprès de la Reine !

Ayant confié Charlotte et Simplicie à Madame de la Tour – une veuve d’une quarantaine d’années, aimable, compétente, un peu trop pieuse peut-être mais juste assez ferme pour n’être pas taxée de sévérité – afin qu’elle veillât à leur installation, Marie gagna son appartement accompagnée d’Anna et d’une Herminie qu’elle eut du mal à convaincre de la suivre plutôt que d’emboîter le pas aux enfants.

— Il est temps de commencer ton apprentissage, lui déclara-t-elle. C’est à moi que tu es attachée ! Pas à mes filles !

— J’essaierai de m’en souvenir ! soupira l’adolescente.

Marie remit à plus tard la première leçon de choses : elle était trop heureuse de se retrouver chez elle, dans ce cadre dont chaque tenture avait été choisie à son goût. Quelle joie de revoir sa jolie chambre tendue de damas d’un joyeux rouge corail avec son grand lit couronné de plumes d’autruche blanches, ses tapis d’orient moelleux et ses meubles précieux ! Un bon feu flambait dans la cheminée et elle se dépêcha d’aller s’y réchauffer les mains, et les jambes, en relevant ses lourdes jupes comme elle le faisait presque spontanément lorsque venait l’hiver. Certes, elle était loin d’être mal logée au palais ducal de Nancy ou même dans son hôtel de Bar où elle avait tout arrangé à sa convenance, mais les meubles lorrains, souvent fort riches, étaient plus massifs, moins gracieux que ces cabinets italiens qu’elle avait appris à apprécier auprès de Marie de Médicis quand elle était de ses filles d’honneur. À présent, elle éprouvait un vrai bonheur en réintégrant ce cadre qu’elle préférait aux autres… hormis un seul pourtant : celui des palais royaux auxquels il lui semblait qu’elle avait été destinée.

Tandis qu’en l’aidant à changer ses vêtements de voyage avant d’aller souper avec son époux, Anna donnait à Herminie sa première leçon en lui révélant les splendeurs d’une garde-robe et surtout des écrins d’une princesse – au moment de la fuite il avait fallu renoncer aux trésors que contenaient les résidences Chevreuse ! – Marie réfléchissait aux jours à venir. Son miroir lui renvoyait toujours une image splendide, une beauté non seulement intacte mais rendue plus suave par les épreuves subies : l’affreuse mort de Chalais, le danger côtoyé de si près, l’exil enfin même s’il avait été doré. Ses tribulations lui conféraient cette impalpable auréole de mystère des grandes aventurières. S’en rendre compte la mit d’une humeur charmante et, parée d’un velours noir sans autre ornement que le profond décolleté dévoilant généreusement sa gorge et ses épaules nues, des girandoles en diamant tremblant le long de son cou, elle rejoignit son mari pour leur premier repas en tête à tête depuis des mois. Claude avait désiré qu’il en soit ainsi pour le soir de son arrivée.

Il l’attendait en faisant les cent pas au bas de l’escalier mais se fixa pour la regarder descendre vers lui. Il s’était changé lui aussi et dans ses vêtements de velours vert sombre brodé d’or, il ne manquait pas d’allure. Marie le vit mieux que tout à l’heure, remarquant qu’il portait allègrement sa vigoureuse cinquantaine, qu’il avait maigri et que, dans ses yeux bleu pâle, l’ancienne flamme revenait. Ce qui la fit sourire.

Il gravit les derniers degrés pour lui offrir sa main et la conduisit à table :

— Vous êtes belle à miracle ce soir, Madame ! remarqua-t-il d’une voix qui s’enrouait légèrement. Il semble que le temps n’ait prise sur vous que pour vous magnifier toujours un peu plus. Les années ne font que vous caresser…

— J’en compte vingt-huit jusqu’à présent. Ce n’est pas un âge canonique, il me semble ?

— J’en connais chez qui elles annoncent déjà l’automne quand vous évoquez le plus glorieux des printemps…

— Seriez-vous d’humeur à me faire la cour ? dit-elle en riant.

— N’en doutez pas ! Noël approche : c’est le temps béni où les hommes doivent retrouver la paix et la douceur d’aimer. C’est le temps aussi de tourner les plus sombres pages. Vous voici chez nous, chez vous plus que partout ailleurs. Ce château comme moi-même ne songeons qu’à vous reprendre.

Il la fit asseoir à la table somptueuse – cristaux et vermeil – dressée pour eux près des flammes claires de la cheminée mais conserva un instant dans la sienne sa main dont il baisa la paume :

— N’y comptez pas, Marie ! Vous savez qu’en ce qui vous concerne je n’ai jamais eu de patience. Cette nuit vous serez mienne…

— Ne l’ai-je pas été quand vous vîntes à Nancy ?

— Pas autant que je l’aurais voulu. Il y avait encore trop d’ombre entre nous. Aujourd’hui je veux recommencer depuis le début…

— Ainsi soit-il ! Mais pour l’heure je meurs de faim, de soif…

Composé de terrines de gibier, d’anguilles au vert, de perdrix fourrées de truffes à l’huile, de douceurs variées, et arrosé de vins de Beaune et de la Champagne, le repas était appétissant et les deux convives y firent honneur. Claude dévora et Marie elle-même après des jours de cuisines d’auberge plus ou moins réussies, prenait un vif plaisir à retrouver celle à l’accoutumée parfaite de sa maison. On n’échangea guère que des propos sans importance et ce fut seulement quand les valets eurent disposé les desserts avant de se retirer que Marie, un verre à la main, se laissa aller dans son fauteuil et demanda :

— Si vous me donniez des nouvelles ? Je ne sais plus rien de la Cour ni de la Ville et il me semble venir du bout du monde.

— Allons ! Nancy n’est pas si loin et je ne doute pas que notre cousin Charles ne soit au fait des développements politiques. Vous savez déjà que l’on discute les termes du traité de paix avec l’Angleterre…

— Ce n’est pas cela qui m’intéresse, mais ce que fait ou dit ce démon de Richelieu ?

— Que vous dirai-je ? Que la confiance du Roi paraît augmenter chaque jour. Il est vrai que l’activité et les vastes desseins de cet homme sont hors du commun ! Tout en menant la guerre contre les protestants et les Anglais, il a fondé l’an passé une Compagnie de la Nouvelle France pour commercer avec ceux de cette lointaine contrée et j’ai appris du duc de Longueville qu’il bâtit au Havre un port d’un genre nouveau : avec des écluses. En revanche…

— En vérité, Claude, vous le faites exprès ! Ce que construit ou ne construit pas ce maudit Cardinal m’importe peu !