Выбрать главу

Guy de Maupassant

Maupassant : Œuvres complètes (57 volumes)

Editions Originales

INTRODUCTION DE L’EDITEUR

« Éternel meurtrier qui semble ne goûter le plaisir de produire que pour savourer inlassablement sa passion acharnée de tuer de nouveau, de recommencer ses exterminations à mesure qu'il crée des êtres. Meurtrier affamé de mort embusqué dans l'Espace, pour créer des êtres et les détruire, les mutiler, leur imposer toutes les souffrances, les frapper de toutes les maladies, comme un destructeur infatigable qui continue sans cesse son horrible besogne. Il a inventé le choléra, la peste, le typhus, tous les microbes qui rongent le corps. Seules, cependant, les bêtes sont ignorantes de cette férocité, car elles ignorent cette loi de la mort qui les menace autant que nous. Le cheval qui bondit au soleil dans une prairie, la chèvre qui grimpe sur les roches de son allure légère et souple, suivie du bouc qui la poursuit, les pigeons qui roucoulent sur les toits, les colombes le bec dans le bec sous la verdure des arbres, pareils à des amants qui se disent leur tendresse, et le rossignol qui chante au clair de lune auprès de sa femelle qui couve ne savent pas l'éternel massacre de ce Dieu qui les a créés. Le mouton qui… »

Les deux longues phrases ci-dessus sont les dernières que Guy de Maupassant écrivit. Cette révolte inachevée contre Dieu est tirée de l’Angélus, rédigé en 1891 ; la folie, puis la maladie, précipitèrent le célèbre auteur dans la mort, deux années plus tard, le 6 juillet 1893.

Appartenant, dans l’ensemble, au genre naturaliste, L’œuvre de Guy de Maupassant se distingue de celle des autres auteurs de ce genre par son universalité, et par la pureté de son style. Aussi, la fin tragique de Guy de Maupassant contribua pour une certaine part à ce succès.

Gustave de Maupassant était actionnaire d’une société parisienne de courtage en bourse — on dirait aujourd’hui un trader. En 1846, il épousa Laure Le Poitevin, laquelle était la sœur d’Alfred Le Poitevin, un ami proche du célèbre écrivain Gustave Flaubert. Cette union fut renforcée, un peu plus tard durant cette même année, par le mariage de la sœur de Gustave de Maupassant, Louise, avec Alfred Le Poitevin. Ce double lien nous explique pourquoi Gustave Flaubert développa une profonde amitié avec le neveu de son meilleur ami, lorsque ce dernier décéda en 1848, deux années seulement après s’être marié.

De son côté, le couple Laure et Gustave de Maupassant en vint à ne plus s’entendre ; Madame de Maupassant quitta son époux pour aller s’installer au Verguies, une propriété héritée de sa famille située à Etretat, lieu célèbre pour ses falaises et où de nombreux peintres paysagistes venaient y séjourner (Guy de Maupassant y fait parfois allusion dans ses écrits). Cette rupture survint juste après la naissance d’Hervé, frère cadet de Guy, en 1856 ; Guy avait alors six ans. Là, dans ces contrées plus sauvages encore que rurales, à l’époque, les camarades de jeu de Guy de Maupassant sont fils de fermiers et de marins.

Ayant appris le latin du vicaire local, Guy est envoyé à l’école catholique d’Yvetot ; il en est renvoyé moins de deux années plus tard, ce qui le réjouit, et poursuit sa scolarité au lycée de Rouen. Son poème, Le Dieu Créateur, lui valut un prix en philosophie dans ce dernier établissement. On sent alors déjà en Guy l’influence du pessimisme d’Alfred de Vigny et du panthéisme de Victor Hugo, deux notions qu’il apprit en écoutant des conversations entre Gustave Flaubert et Louis Bouilhet[1]. Gustave Flaubert connaissait fort bien le jeune Guy de Maupassant, puisqu’il se rendait presque tous les tous les dimanches aux Verguies.

En 1867, Guy de Maupassant est âgé de 17 ans ; il étudie le droit à l’université de Caen ; il aime à passer ses vacances à Etretat, là où il vécut presque toute sa jeune enfance. Et c’est là, un an plus tard, durant l’été 1868, qu’il rencontre le poète anglais Algernon Swinburne, venu séjourner en compagnie de son ami George Powell. Guy est invité à diner par les deux anglais ; il gardera une vive impression de cette rencontre, dont la trace est visible dans La Main d’Ecorché[2], l’une de ses toutes premières nouvelles.

Arrive la guerre de 1870 entre la France et l’Allemagne. Les études de droit de Guy de Maupassant sont interrompues. Le jeune homme devient militaire. Cette guerre sera bien courte et la défaite française cuisante ; Napoléon III était un piètre stratège, contrairement à son illustre aïeul, mais il l’ignorait. Guy est démobilisé en automne 1871, mais il a développé des liens avec l’armée.

En février 1873, il obtient un petit poste de secrétaire au ministère de la marine. La découverte du monde du travail — et plus particulièrement celui de la fonction publique — et, en même temps, celui de la vie à la capitale, l’inspireront fortement lorsqu’il écrira Les dimanches d’un bourgeois de Paris, en 1882, et L’Héritage en 1884. Durant ces premières années à Paris, le jeune Guy partage ses journées de temps libre entre faire du canot sur la Seine et écrire.

Tout ce qu’il écrit, il le soumet à Gustave Flaubert, devenu depuis son mentor. De son côté, Gustave Flaubert appelle volontiers le jeune Guy de Maupassant « son disciple ». L’auteur de Madame Bovary se montre bienveillant et plein de tolérance pour Guy ; cependant, il lui interdit de tenter de publier quoi que ce soit avant de s’être définitivement trouvé un style authentique, et d’avoir acquis une certaine maturité. En attendant, le maître lui conseille d’écrire des vers, dans le but, dit-il, de « faire s’assouplir son écriture ». Et c’est ainsi et pourquoi le premier ouvrage que fit publier Guy de Maupassant fut une collection de poèmes, Des vers, en 1880. L’un des poèmes de ce recueil, titré Au bord de l’eau, fut tout de même publié dans un journal auparavant, en 1876[3]. Mais à cette dernière époque, la publication d’Au bord de l’eau valut à son jeune auteur la menace d’être traduit en justice, au motif d’« outrage aux bonnes mœurs ». Flaubert intervient avec succès en faveur de son élève, et l’affaire se termine pour ce dernier en publicité, puisque c’est grâce à cet incident que son nom devint connu.

Gustave Flaubert intervient encore auprès de son ami, Agénor Bardoux, alors ministre de l’éducation, pour faire sortir Guy de Maupassant de son poste sans avenir et inintéressant de secrétaire au ministère de la marine, afin qu’il en occupe un autre en temps que secrétaire au cabinet du ministre de l’éducation. Et puis aussi, Gustave Flaubert présente Guy de Maupassant à d’autres écrivains de ses amis, devenus aujourd’hui des « classiques » de la littérature française : Emile Zola, Alphonse Daudet, Edmond de Goncours et Ivan Tourgueniev.

A partir de là, Guy de Maupassant, en compagnie d’autres jeunes écrivains d’à peu près son âge[4], prend l’habitude de se rendre presque chaque dimanche chez Emile Zola, dans sa propriété de Médan[5]. Ainsi, lorsque Zola et son cercle d’amis font publier Les Soirées de Médan, en avril 1880, un recueil d’histoires de la guerre franco-allemande de 1870, Guy de Maupassant s’en trouve être l’un des co-auteurs. Les Soirées de Médan, notons-le, est une patente démonstration de littérature naturaliste qui déclencha une fiévreuse controverse à l’époque. Dans ce recueil, la contribution de Maupassant est la célèbre nouvelle, Boule de suif.

вернуться

1

Après la mort de Louis Bouilhet, Gustave Flaubert écrivit à propos de lui : « En perdant mon pauvre Bouilhet, j’ai perdu mon accoucheur, celui qui voyait plus clairement que moi-même. Sa mort m’a laissé un vide dont je m’aperçois chaque jour davantage. »

вернуться

2

La Main d’Ecorché, publié en 1875 sous le pseudonyme de « Joseph Prunier ». Guy de Maupassant reproduisit La Main Ecorchée dans sa préface de la traduction en français, par Gabriel Mourey, des Poems and Ballads d’Algernon Swinburne (1891).

вернуться

3

Au bord de l’eau fut publié dans l’édition du 20 mars 1876 de la revue La République des Lettres, sous le pseudonyme de « Guy de Valmont ».

вернуться

4

Paul Alexis, Henri Céard, Léon Hennique et J. K. Huysmans.

вернуться

5

Ces week-ends sont brièvement décrits par Guy de Maupassant dans quelques unes de ses chroniques.