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Je m’inclinai froidement et proposai de commencer les expériences sans plus tarder; le visage déconfit de mon juge d’instruction à jeun m’inspirait une sincère pitié.

Les deux magistrats prirent place aux pieds du corps, du côté de la porte; le docteur Wickson et moi à gauche, en face de la fenêtre.

Malgré tout mon désir d’épargner à la délicatesse de mes lecteurs le récit de cette autopsie, je dois entrer dans quelques détails indispensables.

La tâche de la médecine légale était devenue bien plus facile depuis quelques années, grâce à l’invention de l’Anglais Marsh. Ce chimiste avait trouvé une manière ingénieuse de découvrir la trace des plus petites quantités d’arsenic dans les corps.

Voici, en quelques mots, en quoi consiste son appareiclass="underline" C’est un simple flacon de verre dans lequel se dégage du gaz hydrogène. On y introduit la substance à examiner. L’arsenic se combine avec le gaz hydrogène et cette combinaison s’échappe par l’orifice effilé du flacon. On allume alors le jet de gaz, et l’on tient au-dessus de la flamme une soucoupe de porcelaine blanche. Si la matière renferme la moindre parcelle d’arsenic, des taches noires se déposent sur la porcelaine.

Le docteur Wickson tira des grandes poches de son manteau un de ces flacons. Mais je crus remarquer que le verre n’en était pas très pur, et je le priai de se servir de celui que j’avais apporté. Il l’examina longtemps avec un soin méticuleux, puis finit par l’accepter en dissimulant la mauvaise humeur qu’il ressentait.

Je m’approchai alors des bocaux où étaient contenus les viscères afin de les découvrir; mais l’Anglais me prévint et défit avec une sorte d’impatience la couverture cachetée.

Je remarquai qu’il garda ses gants blancs, tout en se livrant à ce travail.

«Messieurs, dit-il d’une voix solennelle en s’adressant aux magistrats, mais sans lever les yeux, vous connaissez sans doute les effets de cet appareil. Je vais diriger un jet de gaz contre ces vitres. S’il y a de l’arsenic dans la portion des viscères que j’ai enfermée dans le flacon, la vitre se noircira aussitôt.»

Il s’avança vers la fenêtre voisine de celle où se tenait caché le philosophe et dirigea le jet de gaz enflammé sur la vitre.

Nous ne pûmes réprimer une exclamation de surprise. Le verre s’était soudainement couvert de taches noires. En même temps une forte odeur d’ail se répandait dans la chambre et révélait la présence du toxique.

Mon pauvre professeur était battu du premier coup! Le juge d’instruction fixa sur moi un regard poliment ironique:

«Oh! oh! dit-il, voilà qui est grave, et bien en faveur de l’accusation!

– Cette expérience ne sera concluante à mes yeux, fis-je observer, que si on me permet de la recommencer moi-même.»

L’Anglais, que son succès avait laissé impassible, me tendit le flacon avec un geste plein de grâce.

Je fis l’expérience: la vitre se noircit encore et avec une intensité qui prouvait l’abondance de la substance toxique. Je recommençai trois ou quatre fois: même résultat.

Le rideau derrière lequel se trouvait Maximilien Heller remua légèrement. Je tressaillis, car il me sembla que l’œil de l’Anglais s’était un instant fixé avec inquiétude de ce côté. Ce ne fut qu’un éclair, car il reprit son sourire habituel, et se tournant vers les magistrats: «Il me semble cette fois que l’expérience est décisive, dit-il. Et veuillez remarquer, ajouta-t-il avec un certain air de triomphe, que je me suis servi de l’appareil du docteur B…

– Je n’ai rien à objecter, fis-je assez vexé de ce résultat si prompt et si inattendu.

– Alors, Monsieur, dit le procureur du roi qui prenait pour la première fois la parole, vous êtes prêt à signer le procès-verbal et le rapport qui conclut à la présence du poison dans le corps du défunt?»

Je m’inclinai en signe d’assentiment.

«Greffier, continua le magistrat en se tournant vers un petit bonhomme noir qui griffonnait dans un coin, veuillez apporter le rapport et le procès-verbaclass="underline" ces messieurs vont les signer.»

Le docteur Wickson signa – sans ôter ses gants – et je signai à mon tour. L’Anglais paraissait avoir peine à contenir la joie intérieure qu’il ressentait.

Il me salua gravement et je lui rendis son salut d’assez mauvaise grâce. Avant de sortir, Wickson me chargea encore une fois de vouloir bien assurer M. B… de toute sa respectueuse sympathie.

«Monsieur de Ribeyrac, dit en sortant le juge d’instruction à son majestueux collègue, vous venez déjeuner avec moi, n’est-ce pas? Je meurs de faim.»

Ce jour-là, les étudiants qui fréquentaient le cours de M. B… ne surent à quoi attribuer les distractions continuelles, l’agitation fébrile et la mauvaise humeur de leur vieux professeur.

Je fis quelques pas sur le palier, à la suite de ces messieurs, et les saluai une dernière fois.

M. Prosper les reconduisit jusqu’à la porte, puis revint vers moi d’un air mystérieux; il grillait de savoir ce qui s’était passé: mais je ne crus pas devoir l’en informer.

«J’ai quelques dispositions dernières à prendre, lui dis-je en remontant l’escalier. Veuillez me laisser seul encore une demi-heure dans le cabinet où est le corps.

– Comment donc! Monsieur; restez aussi longtemps qu’il vous sera agréable, me dit le petit intendant de son ton mielleux. Moi, je monte dans la chambre de M. Bréhat-Kerguen…, pour voir si rien ne lui manque. Il a fermé sa porte à double tour, le vieux madré, et m’a fait jurer que je n’avais pas une seconde clef… Eh! eh! continua-t-il en tirant un trousseau de clefs de sa poche, je le lui ai juré. Mais il faut tout de même que je jette un coup d’œil dans sa chambre: M. Castille m’a bien recommandé de ne pas laisser détériorer l’immeuble de la succession.»

Au moment où j’ouvris la porte du cabinet, le petit vieillard, dont décidément le défaut dominant était une incroyable curiosité, glissa un regard dans la pièce, pour s’assurer que Maximilien Heller était toujours là, puis il secoua la tête de l’air d’un homme qui se dit: «J’ai eu une lubie», et grimpa au second étage.

Le philosophe avait quitté sa cachette et examinait minutieusement les bocaux et le flacon qui avaient servi à l’expertise.

Il releva lentement la tête et me dit avec un étrange sourire:

«Allons! vous n’avez pas été heureux, docteur, et décidément il y a empoisonnement… Mais aussi pourquoi diable ne lui avez-vous pas fait ôter ses gants?»

Je le regardai, étonné de cette question.

«Venez ici», me dit-il.

Il m’indiqua du doigt le bord de la table.

«Eh bien?

– Regardez… plus près… ne voyez-vous rien à cette place?»