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— Non, señor.

Le Mahousse murmure :

— Il n’a pas confiance. Faut lui causer autrement.

Je retire la mitraillette de mon grimpant et je la montre au pêcheur.

— Vous savez ce que c’est que ça, amigo ?

— Je sais, señor.

— Alors, cette balade en mer ?

Il lâche son filet.

— Montez, señor.

Aussi simple que je vous le bonnis, mes enfants. Voilà un type qui ne se perd pas en jérémiades et qui sait se plier aux circonstances.

— Qu’est-ce qu’il dit ? s’inquiète Béru.

— Que c’est O.K. Grimpe !

Nous embarquons. Le mataf retire l’ancre, lance son moteur, et le bateau, lentement, pique sur la haute mer.

— Où désirez-vous aller ? questionne le Santa-Nanatépénarien.

— En Floride.

Alors, là, il change de physionomie.

— Mais, mais, señor…

— Quoi, señor ?

— C’est à cent cinquante milles d’ici !

— Et alors ?

— Mon bateau n’est pas grand, il n’est pas rapide, il…

— Écoute, fiston, Bombard a traversé l’Atlantique sur un radeau pneumatique, tu vas pas comparer, non ?

— Mais je n’aurai pas assez de carburant !

L’argument me paraît valable. Je réfléchis.

— Il y a un autre port près d’ici ?

— Oui, señor.

— Eh bien, mets le cap dessus, nous ferons le plein.

— Le plein ne suffira pas !

— Ne t’occupe pas, obéis !

— Bien, señor !

Une heure plus tard, nous accostons à Santo-Royapadevo. C’est un port minuscule, au fond de la baie Cotemoa.

Je passe la mitraillette à Béru.

— Surveille ce destructeur de sardines, Gros. Moi je vais carburer.

Je saute sur le môle nord et je fonce vers une épicerie qui vend tout ce qui est nécessaire aux pêcheurs, depuis des vers de vase jusqu’à des vases de verre, en passant par des filets de nylon et des filets de morue (pour les ceuss qui rentrent bredouilles). L’épicemarde est une ravissante brune de soixante-douze ans, entièrement recrépite à la chaux vive.

— Vous désirez ? me demande-t-elle en souriant et en espagnol.

— Deux cent cinquante litres de mélange à six pour cent, fais-je négligemment.

Son râtelier en tombe dans un sac de farine de maïs qui se trouve là opportunément. Elle le recueille, souffle dessus et lui fait regagner sa base.

— Vous ne les avez pas ? m’inquiété-je…

— Si, mais…

Je crois bon de lui fournir une explication bidon (d’essence) afin de jeter un peu d’eau sur sa curiosité brûlante.

— Mon yacht est en panne à quelques encablures et un marin obligeant a bien voulu me dépanner…

Elle opine, bien qu’à son âge ce ne soit pas raisonnable, et m’entraîne dans son entrepôt (de confiture)[5].

Il y a là des tas de barils. La vioque me dit qu’ils sont de cent litres. Je réponds qu’à cela ne tienne (en anglais) et j’en acquiers trois.

— Mon garçon va vous aider à les rouler jusqu’au môle ! me dit-elle.

Elle met ses mains en porte-voix et mugit entre ses phalanges :

— Luis !

Un grand rouquin maigre comme un dessin de Carzou, avec la bouille de Stan Laurel, s’annonce. Maman Bidon lui ordonne rudement de m’escorter et le fiston obéit. Nous roulons les barils jusqu’au port. Heureusement pour nous, le sol est aussi en pente que le gosier de Bérurier.

Arrivé à promiscuité du barlu, je crie au Mastar :

— Planque la seringue, bonhomme, voilà du monde !

Le Gravos s’arrange et, quand nous abordons, on ne voit pas plus de mitraillette que de mansuétude dans les yeux d’un gendarme en train de verbaliser contre un automobiliste qui vient de crier : « Mort aux vaches ».

— T’as pas peur que le rouquin foute le feu à l’essence ? rigole le Gros. C’est pas un homme, c’t’un incendie de forêt !

Notre pêcheur et le fils de l’épicière se connaissent et se mettent à échanger quelques phrases auxquelles je feins de m’intéresser, bien que je ne les comprenne guère.

Pourvu que notre pilote ne mange pas le morcif ! Mais le rouillé ne paraît pas ému par les paroles de mon pêcheur et je me dis que tout se passe bien.

Quelques minutes plus tard, notre barlu prend le large. Nous mettons le cap sur Key West.

— Comment t’appelles-tu ? demandé-je à mon pilote hors ligne.

— José Paldir, señor.

— Eh bien, José je tiens à te préciser une chose : malgré les apparences, nous ne sommes pas des gangsters, bien au contraire. Si tu nous mènes jusqu’en Floride je te donnerai une somme qui te permettra de t’acheter un plus gros bateau et de faire peindre sur la coque le portrait d’Infidel Castré par Jean-Gabriel Domergue.

Il hoche la tête brièvement. Un drôle de garçon. Réservé comme un fauteuil d’orchestre au Gala de l’Union, un peu farouche même… Il m’obéit parce que la mitraillette est de notre côté ; mais il ne se confond pas en obséquiosité pour le même prix.

Nous voilà dans la haute mer. Un peu démontée sur les bords, la Grande Bleue. Béru en sait quelque chose. Il commence à verdir comme une prairie au mois d’avril. Il a les roberts qui lui jaillissent des soucoupes et de la sueur perle à son front. Avec ça que le Mahomet s’est levé et commence à nous arroser sec de ses rayons. Et Son Tas-de-Graisse qui n’a pas de bitos !

Au bout d’une demi-heure, il ne pense plus à jouer les gros bras. Accroché au bastingage il s’apprête à rendre son âme à Dieu, seulement auparavant il restitue des tas d’autres trucs moins nobles et plus consistants. José Paldir en est écœuré. Je préfère, quant à moi, regarder les nuages, les mouettes, et penser à la mort de ce pauvre Louis XVI.

Une fois que le gros s’est mis à jour, il s’effondre au fond du bateau en gémissant.

— Tu te rends compte ? Si Investigation me voyait ? Elle qui me trouvait si à son goût.

— Il ne faut pas juger du dégoût et des couleurs, Gros.

Je me tais car quelque chose de bizarroïde se produit loin derrière nous, un point blanc bondit) à la surface de l’eau. Le point grossit : c’est une embarcation. Elle fond sur nous comme un morceau de beurre dans un autoclave. Son moteur doit être vachement puissant car elle gagne du terrain d’une façon inimaginable. Je peux bientôt l’admirer à loisir. Il s’agit d’une vedette blanche dont le pontage est muni d’un projecteur et d’une mitrailleuse.

— Chouette bateau, hein ? gargouille le Vidé.

— J’ai idée que tu vas y prendre place avant longtemps, mon pote !

— Et à cause d’à cause ?

— Parce que c’est une vedette de la police lancée à nos trousses.

Je désigne José Paldir.

— Cet enfant-de-ce-que-je-me-pense a affranchi le rouquin tout à l’heure et maintenant on va jouer « Les Révoltés du Bounty » en couleurs et châtaignes naturelles.

Béru, oubliant son mal de mer, bondit sur le colbak du marin et lui met un coup de boule dans le pif. L’autre lâche la barre, porte la main à son nez sanguinolent, puis, à l’instant où nous nous y attendons le moins, il plonge par-dessus bord.

— Ah ! la tante ! meugle Bérurier. Tu vas voir comme j’y fais sa fête !

Et de braquer la mitraillette en direction du pêcheur transformé pour les besoins de sa cause en nageur. Je chope le canon de l’arme.

— T’es pas louf, eh, tarte au melon ! Il défend son biscuit, cet homme…

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5

Depuis que me voilà dans la marine, je me sens mutin !