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La mêlée est confuse. On bille au jugé. Enfin au bout d’un moment la situation s’éclaircit. Nos trois matuches plus ou moins éclopés se tortillent sur le sol.

— Ligote-les solidement ! conseillé-je au Gros.

— Fais confiance, un charcutier lyonnais ferait pas mieux !

Ce sont trois merveilleux saucissons en effet que nous abandonnons. Avec les précautions que vous devinez je mate les abords de la résidence. Tout est O.K. Une voiture de police, sommée d’un phare tournant, est en stationnement devant la porte.

— Arrive ! lancé-je à Béru, ravi de l’aubaine.

— Momente, j’ai enfin trouvé des croquenots à ma pointure !

Effectivement, il se ramène avec des ribouis étincelants.

— Tu parles d’une équipée, mon neveu ! fait-il, jovial.

Frais comme un gardon, notre Fra Diabolique ! On dirait qu’il va faire une partie de pêche avec la bagnole d’un copain.

— Que t’est-il donc arrivé sur la rampe ? je demande en m’installant au volant ? Tu as poussé un cri comme si on venait de te coller un cigare allumé dans le soupirail.

— Y a de ça, gars. T’as pas eu droit à ce clou vicieux qui dépassait de la rampe ? Mais parole, j’ai cru que j’allais y laisser ma livre d’abats sans os !

Je roule un instant, au hasard des rues. Je n’ai pas branché la sirène, néanmoins les autres chignoles s’escamotent sur notre passage. Les poulets des carrefours nous donnent la priorité. Ça durera combien de temps, cette accalmie ? Les écuyers de feu Paulo Chon vont en faire un naze quand ils découvriront que nous avons une fois de plus chouravé un de leur véhicules !

— Dans quel m…r sommes-nous ! soupire le Mastar. Un vrai casse-noix chitête ! je veux dire un casse-tête chinois. On marche sur du sable émouvant, quoi !

J’approuve. En effet, c’est un micmac à vous paralyser la matière grise. Dans l’existence y a des trucs que je ne peux pas supporter. Par exemple les rendez-vous avec des nanas dont je n’ai plus envie ; les bavards qui me racontent des histoires drôles que je connais déjà et les pommes de terre pas assez cuites. On peut y ajouter, à partir de dorénavant, les enquêtes en papyrus où les personnages s’effritent dès qu’on les touche. Où leurs paroles sont aussi illogiques que leurs actes et où leurs destins tournent court dès qu’on commence à les prendre en main.

Ainsi la petite Conchita… Hein ? Admettez que c’est le cas le plus farfelu que j’aie rencontré ? Voilà une môme qui se laisse séduire par le tout beau San-A (ce qui n’a rien de surprenant)[10] ; puis qui lui chourave son larfeuille. Une môme qui aide ensuite le même (et de plus en plus beau) San-A à s’évader après qu’il a neutralisé Paulo Chon, et qui se met à lui débiter des salades incroyables, tellement boiteuses qu’un professeur de claudication refuserait de se pencher sur elles, avant de se laisser décapiter la tête entre le menton et le cou, comme dirait un pléonaste distingué. Mais z’enfin ! Mais z’enfin ! Suis-je z’éveillé ou dors-je ?

— Où qu’on va, s’inquiète le Béruroche-à-souliers, voilà trois fois que tu passes devant cette fontaine ?

Vous me croirez si vous voulez (et si vous ne voulez pas, vous aurez tort) mais je ne m’en étais pas aperçu.

— On va retourner sur le terrain de nos premiers exploits ! fais-je brusquement.

— C’est-à-dire ?

— Chez le suifeux.

— Pour quoi fiche ?

— Conchita nous a dit qu’elle avait envoyé chercher sa valise parce que celle-ci possède un double fond, do you remember, boy ?

— Je me le remembre parfaitement, acquiesce le Gros qui commence à parler toutes les langues vivantes, plus la langue de bœuf à l’écarlate.

— Elle prétendait que ladite valise recelait des documents secrets.

— Tout ce qu’elle a pu prétendre, soupire le Gros…

— Sur ce chapitre, je serais assez porté à la croire.

— T’es toujours porté, tézigue, bougonne-t-il.

— Or, poursuis-je, plus pour moi-même que pour cette terrine d’idiot persillée, son copain Rouflaquettes a coltiné la valoche jusque chez le suifeux…

— Et tu t’imagines que si qu’elle aurait contiendu des documents, la môme serait pas z’allée la récupérer ? T’es plus truffé qu’une galantine de volaille !

— Je n’ai pas aperçu la valise dans la maison que nous venons de quitter…

— Elle l’aura portée z’en lieu sûr !

— Cette demeure était sa résidence secrète, où aurait-elle trouvé un lieu plus sûr ? N’oublie pas la cheminée truquée, le poste émetteur clandestin et tout, et tout…

— C’est pourtant vrai, convient mon acolyte.

Et, détendu, il se met à chanter l’hymne des serruriers : « Nous sommes les rois des gonds ». Ayant massacré le premier couplet il se tait.

— C’est marrant, reprend-il au bout d’un instant. On s’imagine les choses et elles ne sont pas comme on croit qu’elles sont.

Paroles sibyllines mais dont le sens caché doit être d’une profondeur infinie.

— C’est-à-dire ? demandé-je.

Il se cure les chicots pour se donner le temps de la réflexion.

— Quand c’est que j’imaginais ce patelin, dit-il, je voyais un bath voilier sur la mer bleue, entre deux cocotiers ; et puis, des bergères habillées d’une poignée de raphia qui faisaient la danse du bide pour t’accueillir…

— T’en es resté à l’époque des flibustiers, Gros. Tu penses affiches d’agences.

— Oui, on a tort. Le monde, maintenant, si tu veux que je te dise : c’est partout une station d’essence et de la réclame pour le Coca-cola.

— Mais tu deviens philosophe ! Tu vas pulvériser Bergson et Einstein !

— Si tu crois que je m’amuse à lire les bouquins de Bernchtein et de Fragson, tu te goures. Moi, mon délassement c’est les bandes dessinées. Ou alors, je potasse mon histoire. J’adore. Je suis férule, tu sais. Le dernier truc d’histoire que j’ai lu, c’est l’assassinat du duc Déguisé. Je me rappelle plus z’en quoi qu’il était déguisé. Mais ce que je peux te causer, c’est de la façon vacharde que le roi l’a fait poinçonner. Ils étaient une ch… avec des lardoires. Même que ça a dû y faire de l’élongation au duc, biscotte le roi le trouvait plus grand que nature.

— Quel roi ? souris-je.

— Je me rappelle plus son numéro d’ordre. Un Henri. Le roi du bilboquet tous terrains.

Il suspend son cours d’histoire, car nous voici arrivés. Je stoppe dans l’allée qui mène à la maison de Juan Lépino, La casa paraît inhabitée. Tout est bouclé, tout est silencieux.

— Attends-moi ici, dis-je au Gros. S’il y a du pet tu seras toujours à temps d’intervenir !

Mais Sa Proéminence n’est pas d’accord :

— On ferait mieux de planquer la charrette ; s’il y a du pet, on pourra mieux voir venir.

C’est bien dit à lui, j’approuve sa prudence ; le Gros est expérimenté, il sait que la méfiance est mère de la Sûreté. Nous continuons au pas et je remise la tire de l’autre côté de la maison (in english : other side of the house).

— Va en esploration, fait Béru, je mate les sabords pendant ce temps.

Je m’approche de la lourde et, avec la maestria et le petit instrument que vous savez, je me mets à tutoyer la serrure. Elle aime mes familiarités et se rend à mes raisons. Je pénètre donc in the casa et la première chose que j’aperçois, c’est précisément la valoche de la môme Conchita. Elle est posée sous une console du hall, là où l’ami Rouflaquettes l’a déposée l’autre nuit. Je me jette sur ce bagage, comme un prostatique qui vient d’absorber vingt litres d’infusion de queues de cerises se jette sur l’ardoise d’une pissotière. Je déballe les fringues à toute vibure et je palpe le fond de la valtouse. Il paraît réglo. Conchita Danlavaz m’aurait-elle aussi bourré le mou sur ce chapitre ?

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10

J’écris toujours avec des protège-cheville !