Выбрать главу

Zarwell grogna une approbation et, en s’appuyant sur les bras du fauteuil, se mit debout. Il ne paraissait pas s’apercevoir que sa chemise, trempée de sueur, collait à son dos.

Le soleil était encore haut dans le ciel lorsque Zarwell quitta le cabinet du psychanalyste. Les façades de marbre blanc des immeubles de la ville tremblaient dans la chaleur de l’après-midi, puissantes et massives comme des troncs d’arbres géants, piquetées de myriades de petites taches grises ― les fenêtres. Zarwell prenait garde de ne pas poser la main sur ces pierres qui l’auraient brûlé comme un fer rouge.

L’heure du repas du soir approchait quand il atteignit le quartier de La Plaine, qu’il devait traverser pour arriver chez lui. Dans cette partie de la ville qui était la plus ancienne, les rues étaient presque désertes. Les seuls bruits qu’il entendait en passant étaient les cris des bébés, toujours incommodés par la chaleur, et aussi les meuglements du bétail importé qui était parqué sous un hangar voisin en attendant d’être réexpédié à la campagne.

Toute la planète de St Martin vivait dans cette atmosphère particulière, qui sentait le marais asséché avec une légère touche supplémentaire de poisson crevé. Pourtant dans le quartier de La Plaine, l’odeur était différente : ici l’air avait un parfum d’usines, d’entrepôts, de marché, auquel s’ajoutait le relent de cuisine provenant des logements des ouvriers et des sous-techniciens habitant cette zone.

Zarwell dépassa un groupe d’enfants qui jouaient sans ardeur pour des bonbons et des cigarettes. Lentement il gravit l’escalier de pierre de son appartement. Il se prépara son dîner et l’absorba distraitement, sans déplaisir ni satisfaction. Puis il alla s’étendre, tout habillé, sur son lit. La visite qu’il avait faite au psychanalyste n’avait rien fait pour dissiper son ennui.

Le lendemain matin à son éveil, Zarwell demeura étendu immobile pendant quelque temps. L’obsession était encore là, comme un paysage réel. Comme s’il suffisait de tourner la tête pour le voir. C’était comme une immense sagesse à la lisière de son entendement. S’il avait pu rester parfaitement calme et tranquille, cette sagesse se serait approchée de lui mais au moment où son esprit reprenait sa clairvoyance en émergeant des brumes du sommeil, la sagesse s’échappait

Ce matin-là, le désarroi qu’il éprouvait chaque fois au réveil ne disparut pas comme les autres jours quand il retrouva sa pleine conscience. Il n’y gagnait pas pour autant une intuition plus aiguë, mais l’impression d’étrangeté demeurait et persista même lorsqu’il se mit sur son séant

Il regarda autour de lui. La chambre ne semblait plus être la sienne. Les meubles et même les vêtements qu’il apercevait dans un placard lui paraissaient appartenir à un autre.

Il rejeta ses couvertures. Son corps fonctionnait comme une mécanique sur laquelle il n’aurait aucun pouvoir. Les pantoufles à l’intérieur desquelles il glissa ses pieds lui semblèrent plus grandes qu’elles auraient dû. Il circula dans le petit appartement, qu’il reconnaissait mais seulement comme s’il en avait étudié les plans, sans y avoir jamais vécu.

Ces impressions étranges persistaient en lui à deux heures, quand il pénétra à nouveau chez le psychanalyste.

Cette fois, la scène était plus anonyme, plus extérieure.

Un village avait été ravagé. Les hommes se battaient et mouraient dans les rues. Zarwell circulait parmi eux, ne prenant que rarement part aux combats individuels, mais se sentant engagé dans le conflit

Le décor changea. Il comprit qu’il se trouvait sur une autre planète. Là, une ville brûlait Sa résistance touchait à sa fin. Zarwell chevauchait un poney à longs poils : il faisait le tour extérieur des remparts de la métropole menacée. Il pénétra dans la ville et rejoignit un groupe de petits hommes barbus. Il les commandait Ces hommes manœuvraient un énorme bélier qui était posé sur un chariot à multiples roues et qu’ils poussaient contre les remparts.

Le bélier finit par ouvrir une brèche par laquelle les assaillants se ruèrent, repoussant les assiégés qui tentaient vainement de les contenir. À nouveau, les combats firent rage dans les rues, les deux partis tuant et massacrant

Zarwell n’était pas le chef des assiégeants : il n’était qu’un sous-ordre, mais il avait pris une part décisive dans l’élaboration de la stratégie qui avait conduit à la conquête de la ville. Le plan qu’il avait dressé habilement avait été magistralement exécuté.

Le temps s’écoulait, sans interruption visible dans le paysage. Pourtant Zarwell était maintenant en fuite, poursuivi par les hommes barbus qui étaient, l’instant précédent, ses camarades de combat. Et pourtant il continuait à agir avec le même sang-froid, attentif, plein d’idées, curieusement prêt à affronter ce retournement imprévu de la situation. Il réussit, sans grande difficulté, à échapper aux coups de ses adversaires.

D’un astronef, il débarqua sur une troisième planète ― autre glissement dans le temps. Autre ambiance de guerre… Las, mais résigné, il s’y soumit. Et de suite, il se mit en état d’accomplir ce que son devoir lui commandait de faire…

Bergstrom l’examinait avec une attention réfléchie.

— « Vous avez eu jusqu’ici une vie apparemment très active… » fit-il observer.

Zarwell eut un sourire un peu embarrassé. « Oui, si vous en jugez par mes rêves, » répondit-il.

— « Vos rêves ? » Les yeux de Bergstrom s’agrandirent de surprise. « Oh ! excusez-moi. J’ai dû oublier de vous l’expliquer… Ce travail est pour moi une telle routine que j’oublie parfois que toutes ces notions sont nouvelles pour mon patient… Ce que vous racontez actuellement sous l’influence de la scopolamine, ce ne sont pas des rêves : en réalité vous revivez des épisodes vrais de votre passé. »

L’expression de Zarwell manifesta sa préoccupation. Il se mit à examiner Bergstrom très attentivement. Pourtant, au bout d’une minute, il parut satisfait et se laissa aller à nouveau dans le fond de son fauteuil, en appuyant sa nuque contre le coussin. « Je ne me souviens absolument pas de ce que j’ai vu dans mon rêve, » fit-il remarquer.

— « C’est bien pourquoi vous êtes ici, vous savez, » répliqua Bergstrom. « Pour que je vous aide à vous souvenir. »

— « Mais ce que j’ai vu sous l’influence de la drogue est tellement… »

— « Chaotique ? C’est exact… Les épisodes le sont toujours, et leur enchaînement ne tient aucun compte de la chronologie. Notre tâche sera ultérieurement de les replacer dans l’ordre convenable… Mais une scène particulière peut déclencher un rappel intégral. » Bergstrom poursuivit : « Mon opinion, tout bien considéré, est que votre perte de mémoire n’a rien de commun avec une amnésie banale. Je pense que nous allons finir par découvrir que votre psychisme a été faussé. »

— « Rien de ce que j’ai vu sous l’effet de la drogue ne correspond au passé dont je me souviens. »

— « C’est bien pourquoi je suis si sûr de moi, » répondit tranquillement Bergstrom. « Vous ne vous souvenez pas de ce que je vous ai montré comme étant la réalité. Par réciproque, ce dont vous croyez vous souvenir est certainement faux. Ce sont en fait des souvenirs artificiels… Mais nous reviendrons plus tard à ce problème… Nous en avons fait assez pour aujourd’hui. Cette séance a été longue. »