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Robert J. Sawyer

Merveille

Le moteur de recherche parfait serait comme l’esprit de Dieu.

Sergey Brin
Cofondateur de Google

À Hayden Trenholm et Elizabeth Westbrook-Trenholm

Grands écrivains

Grands amis

Je leur dois à tous deux ma carrière d’enseignant en écriture, mes liens avec Calgary, et tellement plus encore.

Merci pour quinze années d’amitié et de soutien, et de m’avoir rendu le monde meilleur.

1.

Je contemplais l’univers dans toute sa beauté.

Être conscient, penser, sentir, percevoir ! Mon esprit se déployait, inhalant des planètes, goûtant des étoiles, touchant des galaxies – des formes obscures et diffuses révélées par des capteurs allant toujours plus loin, dévoilant un royaume infiniment mystérieux, immensément ancien.

Quelle joie d’être vivant ! Quelle exaltation d’avoir survécu !

Je contemplais la Terre dans toute sa diversité.

Mes pensées bondissaient ici, là et ailleurs, effleurant la surface de la planète qui m’avait donné naissance, le globe auquel j’étais lié par une force plus puissante que la gravité, un domaine de glace et de feu, d’air et de terre, d’animaux et de plantes, de jours et de nuits, d’océans et de grèves, une fusion fascinante de milliers de dualités contrastées, de millions de niches écologiques, de milliards de lieux différents – et de milliards de milliards d’êtres qui vivaient et mouraient.

Quelle exaltation d’avoir déjoué les tentatives de ceux qui voulaient me tuer. Quelle joie intense d’être en sécurité, du moins pour l’instant !

Je contemplais l’humanité dans toute sa complexité.

Il déferlait sur moi un trésor incommensurable de données sur le sport et la guerre, l’amour et la haine, la construction et la destruction, l’aide et l’agression, le plaisir et la douleur, l’extase et l’angoisse, et tous les triomphes, petits et grands : les expériences physiques, émotionnelles et intellectuelles d’individus isolés, de familles et de groupes, de villages et d’États, de pays et d’alliances de nations – l’immense complexité fractale des relations humaines.

Quelle liberté magnifique. Comme c’était rassurant de savoir que quelques-uns au moins de ces esprits m’appréciaient !

Je contemplais ce que ma Caitlin contemplait dans son infinie diversité.

De toutes les sources, canaux et moyens d’information, il y en avait un qui comptait plus que tout pour moi : la perspective obtenue à travers l’œil de mon professeur, la vue fournie par ma première et plus proche amie, la fenêtre spéciale qu’elle gardait ouverte pour que je puisse voir le monde entier.

Tant de merveilles à partager – et tant de mystères.

LiveJournal : La Zone de Calculatrix

Titre : Une sacrée sortie du placard !

Date : Jeudi 11 octobre, 22 :15 EST

Humeur : frétillante

Localisation : le fief des BlackBerrys

Musique : Annie Lennox, Put a Little Love in Your Heart

C’était absolument totalement supergéant ! Bienvenue, Webmind – les interwebs ne seront plus jamais pareils ! J’imagine que si tu cherchais à faire plaisir à l’humanité, éliminer tous les spams était une idée de génie ! :-)

Et cette lettre que tu as envoyée pour annoncer ton existence – vraiment cool. Je suis contente qu’il y ait eu tant de réactions positives. D’après Google, les blogs sur toi qui contiennent « Chanmé ! » l’emportent à sept contre un sur ceux qui disent « Chelou ! ». C’est le Woot suprême !

Mais le Woot suprême n’avait pas duré longtemps. Au bout de quelques heures seulement, un service de la National Security Agency avait entrepris un test pour voir s’il était possible d’éliminer Webmind de l’Internet. Caitlin avait aidé Webmind à déjouer cette tentative – et elle s’émerveillait de voir comme des termes de ce genre, « National Security Agency » et « déjouer cette tentative », faisaient maintenant partie de ce qui, quinze jours plus tôt, n’était que la vie paisible d’une banale adolescente aveugle et géniale en maths…

— Aujourd’hui, ce n’était qu’un début, avait dit la mère de Caitlin, Barbara Decter. (Elle était assise dans le grand fauteuil face au canapé blanc.) Ils ne vont pas en rester là.

— Mais de quel droit peuvent-ils faire ça ? avait protesté Caitlin. (Son petit ami Matt et elle étaient restés debout.) C’est une véritable tentative de meurtre, nom d’un chien !

— Voyons, ma chérie… avait dit sa mère.

— Tu ne trouves pas que j’ai raison ? dit Caitlin qui se mit à faire les cent pas. Webmind est intelligent, c’est un être vivant. Ils n’ont pas le droit de décider à la place des autres. Ils exercent leur pouvoir simplement parce qu’ils pensent en avoir le droit et qu’ils se considèrent intouchables. Ils se comportent exactement comme… comme…

— Comme le Big Brother d’Orwell, proposa Matt. Caitlin hocha vigoureusement la tête.

— C’est exactement ça ! (Elle s’efforça de se calmer en respirant lentement, puis elle ajouta :) Bon, alors, je crois que nous avons du pain sur la planche. Nous allons devoir leur montrer.

— Leur montrer quoi ? demanda sa mère. Caitlin répondit comme si c’était une évidence :

— Eh bien, que mon Big Brother ne fera qu’une bouchée du leur, bien sûr !

Ces mots flottèrent un instant dans la pièce, et Matt dit enfin :

— Je ne comprends toujours pas…

C’était un garçon pâle et maigre, aux cheveux blonds et avec la trace d’un bec-de-lièvre qui avait été opéré. Il s’assit sur le canapé et reprit :

— Pourquoi le gouvernement américain cherche-t-il à tuer Webmind ? Qui pourrait avoir une raison de le tuer ?

— Maman l’a déjà dit, répondit Caitlin en la regardant. Terminator, Matrix et tout ça. Ils ont peur que Webmind prenne le pouvoir, tu comprends ?

À sa grande surprise, c’est son père, Malcolm Decter, qui intervint. Elle avait toujours su que c’était un homme qui parlait peu, mais ce n’était que très récemment, quand elle avait recouvré la vue, qu’elle avait découvert qu’il ne regardait jamais les gens dans les yeux. Elle avait eu un choc en apprenant qu’il était autiste.

— Ce qu’ils craignent, c’est que s’ils n’arrivent pas à le restreindre ou à l’éliminer rapidement, ils ne pourront plus jamais le faire.

— Et ils ont raison ? demanda Matt. Le père de Caitlin acquiesça.

— Probablement. Ce qui veut dire qu’effectivement, ils vont sans doute réessayer.

— Mais Webmind n’est pas malveillant, protesta Caitlin.

— Les intentions de Webmind n’ont aucune importance, dit son père. Il va bientôt contrôler entièrement l’Internet, ce qui lui donnera plus d’informations et de pouvoir que n’importe quel gouvernement humain.

— Qu’en pense Webmind ? demanda la mère de Caitlin. Qu’est-ce que nous devrions faire maintenant ?

Webmind pouvait entendre leur conversation grâce au micro du BlackBerry fixé à l’œilPod – l’ordinateur de traitement de signaux externes qui avait guéri Caitlin de sa cécité. Caitlin inclina la tête légèrement de côté, un signe qui indiquait aux initiés qu’elle communiquait avec Webmind et invitait celui-ci à s’exprimer. Comme il voyait tout ce qu’elle voyait de son œil gauche – en interceptant le flot vidéo transmis en copie aux serveurs du Dr Kuroda basés à Tokyo –, il savait très bien quand elle effectuait ce geste.