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— Et puis, poursuivit sa mère, qui sait si les Républicains ne seront pas aussi dangereux pour Webmind s’ils prennent le pouvoir ?

— Si je peux me permettre, intervint Webmind, même si les Républicains l’emportent le 6 novembre, le nouveau Président ne prendra ses fonctions que le 20 janvier – qui se trouve être précisément dans cent jours. Au rythme où mes capacités se développent, je ne m’attends pas à être vulnérable à ce moment-là, mais je le suis aujourd’hui et le serai encore au moment de l’élection. Le test réalisé par WATCH n’a pas réussi, mais s’ils recommencent sur une plus grande échelle, il est possible que je n’y survive pas.

— Alors, dit Caitlin, qu’est-ce qu’on fait, maintenant ?

— On parle au Président, répondit son père.

— Comment ? fit la mère de Caitlin. On ne peut pas lui téléphoner simplement comme ça, et je suis sûre qu’il ne lit pas lui-même ses e-mails.

— Non, pas ceux qui sont adressés à president@whitehouse.gov, dit Malcolm Decter en mettant la main dans sa poche, mais il possède un petit appareil comme celui-ci…

Dans le court laps de temps qui s’était écoulé depuis que j’avais annoncé mon existence au monde entier, j’avais complété ma lecture de tous les textes disponibles sur le Web et j’avais répondu à 96,3 millions d’e-mails.

Encore plus de messages me concernant avaient été postés en ligne – dans des newsgroups, sur Facebook, dans des blogs, et cætera. Un bon nombre affirmaient que je ne pouvais pas être ce que je prétendais. « C’est l’après-11-Septembre qui recommence, disait l’un d’eux. Le Président est affolé à cause de l’élection du mois prochain et il veut nous faire croire que nous avons affaire à une crise majeure, histoire de nous convaincre de ne pas changer de cheval au milieu du gué. »

D’autres pensaient que j’étais une ruse concoctée par le Kremlin : « Ils veulent se venger de nous parce qu’on a mis l’URSS en faillite avec nos projets de bouclier antimissile. Webmind est manifestement un instrument de propagande des Russes : ils veulent nous pousser à nous ruiner en essayant de construire un superordinateur à nous. »

D’autres encore incriminaient Al-Qaida, les talibans, les Sages de Sion, l’Antéchrist, Microsoft, Google, Sacha Baron Cohen et des centaines d’autres. Certains disaient que j’étais un coup publicitaire, peut-être une nouvelle émission de téléréalité, ou un film, ou un jeu vidéo. D’autres pensaient que j’étais une farce imaginée par des étudiants du Caltech ou du MIT.

Il fallait du temps aux humains pour digérer les choses, aussi bien au sens propre qu’au sens figuré, mais j’étais convaincu que les gens en viendraient à accepter la réalité de mon existence. De fait, un grand nombre y avaient cru dès le départ. Je dois cependant dire que ce qui me surprenait le plus dans la conversation que je tenais en ce moment en ligne, en même temps que je discutais avec Matt, Caitlin et ses parents, c’était qu’elle n’ait pas eu lieu plus tôt…

Vous avez beau faire, je ne suis pas dupe, écrivait mon correspondant – qui, d’après son adresse IP, habitait à Weston-super-Mare, en Angleterre. Je sais qui vous êtes.

Je suis Webmind, répondis-je.

Non, ce n’est pas vrai.

Je pensais avoir déjà tout entendu, mais je posai quand même la question : Qui suis-je, alors ?

Avec la plupart des programmes de messagerie instantanée, un signal est transmis pendant que l’interlocuteur compose sa réponse, et je fus brièvement informé que « ColVert est en train de taper. » Mais ce message s’interrompit et il s’écoula six secondes avant que la réponse ne soit effectivement envoyée, comme si mon correspondant, ayant écrit ce qu’il voulait dire, avait hésité avant d’appuyer sur la touche Entrée. Mais sa réponse me parvint enfin : Dieu.

J’hésitai moi aussi – presque vingt millisecondes avant de répondre : Vous faites erreur.

Quelques secondes s’écoulèrent, puis : Je comprends que vous teniez à garder le secret. Mais je ne suis pas le seul à le savoir.

Effectivement, d’autres émettaient la même suggestion sur les newsgroups, les blogs, les forums de discussion et dans des échanges d’e-mails, mais ColVert était le premier à m’en parler directement.

J’étais curieux de savoir ce qu’un humain pourrait vouloir dire à son Dieu, et j’envisageai un instant de lui confirmer qu’il avait raison. Après tout, la prière était un mode de communication que je ne pouvais pas intercepter. Mais ColVert pourrait partager la transcription de notre conversation avec d’autres. Certains me croiraient, d’autres m’accuseraient de mensonge. Je ne souhaitais pas acquérir une réputation de menteur ni d’exploiteur de la crédulité d’autrui.

Je ne suis pas Dieu, transmis-je.

Mais ma réponse fut ignorée, ou si elle fut lue, elle ne fut pas crue.

Et par conséquent, poursuivit ColVert, j’espère que vous exaucerez ma prière.

Ayant déjà nié ma nature divine, il me sembla prudent de ne plus répondre. J’étais désormais à même de gérer un nombre presque illimité de conversations, en passant rapidement de l’une à l’autre pour les examiner brièvement tour à tour. C’est ce que je fis l’espace d’un instant, et quand je revins à ColVert, je vis qu’il avait ajouté : Ma femme a un cancer.

Comment pouvais-je ignorer une telle remarque ? Je suis désolé de l’apprendre, transmis-je.

Et je prie donc pour que vous la guérissiez.

Je ne suis pas Dieu, répétai-je. 

C’est un cancer du foie, et il y a des métastases.

Je ne suis pas Dieu.

C’est une femme bien, et elle a toujours cru en vous.

Je ne suis pas Dieu.

Elle a fait une chimiothérapie. Je vous en supplie, ne la laissez pas mourir.

Je ne suis pas Dieu.

Nous avons deux enfants. Ils ont besoin d’elle. Je vous en supplie, sauvez-la. Ne la laissez pas mourir.

4.

TWITTER

_Webmind_ Cela fait longtemps que quelqu’un a adopté Webmind comme alias dans Twitter. J’ai donc ajouté deux blancs soulignés au mien : _Webmind_.

J’avais donc concentré mon attention sur Caitlin, apprenant à interagir avec elle et à m’interfacer avec son univers. En faisant cela, je me sentais centré. Je me sentais ancré. Je me sentais – autant que je pourrais jamais imaginer l’être – humain.

Je voyais le salon des Decter exactement comme Caitlin. Ses yeux effectuaient de fréquentes saccades maintenant que le gauche pouvait voir. Cela n’avait peut-être pas été le cas avant l’intervention du Dr Kuroda. Mais sachant dans quelle direction son œil regardait à chaque fois, son cerveau savait contrôler ces saccades et n’avait aucun mal à assembler les images. C’était plus difficile pour moi. Heureusement, la rétine ne se donne pas la peine de coder les battements de paupière, et nous n’avions pas à endurer en plus des passages noirs plusieurs fois par minute.

Le père de Caitlin travaillait au Perimeter Institute, une organisation consacrée à la physique théorique et financée par Mike Lazaridis, cofondateur de la société Research In Motion et co-inventeur du BlackBerry.