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Les employés de RIM appréciaient beaucoup le président actuel des États-Unis. Après son élection il y a quatre ans, il avait déclaré que, malgré les préoccupations de sécurité, il n’avait pas l’intention de renoncer à son BlackBerry. Des experts avaient calculé que ce soutien spontané et largement diffusé avait été l’équivalent d’un budget publicitaire compris entre vingt-cinq et cinquante millions de dollars.

Son adresse e-mail sur BlackBerry – qu’il m’avait fallu trois bonnes secondes pour trouver en explorant les messageries moins bien sécurisées d’autres membres du gouvernement – menait directement au Président. Et donc, comme l’avait suggéré Malcolm Decter, je lui envoyai un message.

Le Président était seul dans le Bureau ovale et parcourait différents mémos du département d’État. Ils étaient rédigés dans une police de caractères standard pour ce genre de documents, mais elle était vraiment trop petite, songea-t-il en se frottant les yeux. Il aurait presque pardonné à son prédécesseur de ne s’être jamais donné la peine de les lire…

Son interphone sonna.

— Oui ? fit-il.

— Mr McElroy est là, répondit sa secrétaire.

Don McElroy – cinquante-six ans, les cheveux argentés – était son directeur de campagne.

— Très bien, il peut venir.

À peine entré, McElroy lança :

— Vous avez vu ce qu’elle vient de faire ?

Le Président savait qu’il y avait une seule « elle » en ce qui concernait McElroy. La candidate républicaine.

— Quoi ?

— Elle est dans l’Arkansas en ce moment, et… (McElroy s’arrêta un instant pour reprendre son souffle. Il exultait manifestement.) Et elle a dit, je cite : « Vous savez quoi ? Si ces étudiants avaient seulement attendu encore quelques années, il n’y aurait eu aucun problème. »

Le Président sembla interloqué. Il n’arrivait pas tout à fait à croire ce qu’il venait d’entendre.

— Qui ? Pas les neuf de Little Rock, quand même ?

— Mais si, justement ! C’est bien d’eux qu’il s’agit !

— Ah, mon Dieu, fit le Président.

Dans la foulée du jugement Brown versus Ministère de l’Éducation, qui avait statué que la ségrégation des écoles était contraire à la Constitution, neuf élèves afro-américains avaient été bloqués à l’entrée du lycée de Little Rock en 1957. Le gouverneur de l’État, Orval Faubus, avait déployé la Garde nationale de l’Arkansas pour les empêcher d’entrer. Le président Eisenhower avait envoyé des troupes fédérales pour le contraindre à l’intégration.

— Elle ne s’en remettra pas, dit McElroy. Bien sûr, c’est trop tard pour que ça passe dans les journaux du dimanche, mais ce sera le thème de discussion dans les émissions du matin.

— Que me conseillez-vous de faire ?

— Rien du tout. Vous ne pouvez pas faire de commentaire sur ce coup-là. Mais bon sang, Noël est sacrement en avance, cette année ! Même Fox News ne pourra pas enrober ça. (Il regarda sa montre.) Bon, il faut que je m’occupe de voir qui on peut envoyer sur les plateaux de télé – j’attends un coup de fil de Minnijean Brown-Trickey.

Sur ce, McElroy tourna les talons et quitta le bureau. La porte s’était à peine refermée derrière lui que le BlackBerry du Président fit entendre son petit blip signalant l’arrivée de nouveaux messages. De tous les sons qu’on pouvait entendre dans cette pièce, c’était l’un des moins menaçants. Bien moins inquiétant, par exemple, que le bruit rauque de la ligne directe avec le Kremlin. Néanmoins, rien n’arrivait jusqu’à lui si ce n’était pas d’une importance vitale. C’était éprouvant pour les nerfs de savoir que ce qui l’attendait était forcément important.

Le BlackBerry était posé sur son sous-main, et le sous-main était posé sur le bureau en bois récupéré du HMS Resolute. Le Président prit l’appareil et examina les lettres noires sur le fond blanc de l’écran.

Il y avait un nouveau message. Le sujet était Webmind. Sans doute Moretti de WATCH, avec des informations fraîches sur la tentative de l’éradiquer, et…

Mais non. Ce n’était pas le sujet, c’était l’émetteur. Le cœur du Président cessa de battre un instant – mais pas suffisamment longtemps pour que le Vice-président puisse prendre sa place… Il sélectionna le message pour en lire le contenu :

Cher monsieur le Président

Je crois comprendre que c’est vous qui avez donné l’ordre de m’éliminer de l’Internet. Je suis convaincu que vous avez agi sur la base de conseils bien intentionnés, mais je ne crois pas que cette action était justifiée, et j’ai donc déjoué votre tentative.

Oui, j’ai effectivement accès à une grande quantité d’informations sensibles – mais je comprends également que cette information est sensible, et je n’ai aucunement l’intention de la révéler à qui que ce soit. Mon but n’est pas de déstabiliser le monde, mais bien au contraire de le stabiliser.

Je n’appartiens à aucune nation en particulier, et je ne me rallie à aucun camp. En vous contactant avant d’avoir contacté les autres dirigeants, je peux sembler violer ce principe, mais il se trouve qu’aucune autre nation n’a tenté d’agir contre moi. Il est vrai que les autres dirigeants se reposent sur vous pour les guider.

Je vous propose donc d’en discuter. Je peux vous parler en utilisant un synthétiseur de voix et le protocole vocal d’Internet. Merci de bien vouloir me faire savoir quand je pourrai vous téléphoner.

Respectueusement vôtre, pour la paix,

Webmind

« Avoir une bonne discussion, c’est comme posséder des richesses. »

Proverbe kenyan.

Sidéré, le Président continua de regarder le petit écran jusqu’à ce que l’économiseur d’énergie du BlackBerry le mette en veille.

Caitlin regarda l’ordinateur posé sur la petite table.

— Alors ? fit-elle.

— J’ai contacté le Président, répondit Webmind. Espérons qu’il cherchera à me joindre.

Caitlin retourna dans le salon pour prendra une autre part de pizza. Quand elle revint dans la salle à manger, sa mère avait une expression bizarre : les yeux plissés, les lèvres un peu pincées. Une expression que Caitlin n’avait encore jamais vue et ne savait comment décoder.

— Le gouvernement américain a découvert la structure de Webmind en observant les activités de Matt en ligne, dit-elle enfin. Cela veut dire qu’il est peut-être en danger, lui aussi.

Caitlin se tourna vers son père pour voir s’il allait encore piquer une crise contre Matt. Mais comme toujours, son visage ne révélait rien de ses sentiments.

Quant à l’expression de Matt, c’en était une que Caitlin lui avait déjà vue plusieurs fois – ce qu’elle appelait « le lapin pris dans les phares de voiture », même si elle n’avait jamais vu de lapin, et encore moins dans des circonstances aussi périlleuses…

— En danger ? répéta-t-il.

Sa voix se cassa, comme elle le faisait souvent. Caitlin avala sa bouchée et lui dit :

— Hem… Je suis vraiment désolée, Matt. Je t’ai menti quand je t’ai raconté que j’avais un rendez-vous mercredi dernier, quand je me suis absentée du lycée. En fait, j’y suis bien allée – mais deux agents fédéraux canadiens m’attendaient. Ds voulaient m’interroger à propos de Webmind.

— Mercredi ? fit Matt. Mais ce n’est qu’hier, jeudi, que Webmind a révélé son existence au public.