Les coiffures commencent bien à monter, mais elles sont toujours élégantes et seyantes, la chevelure poudrée est relevée sur le front bien dégagé, arrangée en coques et en rouleaux, mêlée avec des touffes de rubans, des plumes et des perles.
Voyons ces mêmes dames à la promenade de Longchamps, au grand défilé traditionnel de Pâques, dans les superbes carrosses peinturlurés et dorés, — véritable carrosserie de conte de fées, auprès de laquelle les plus somptueux équipages cirés, brossés et vernis de notre prosaïque époque, sembleraient de vilaines et funèbres boîtes, étalant un luxe croque-mort.
Dans ces imposants carrosses, menés par d'imposants cochers en perruques, soutachés et galonnés, avec de grands diables de laquais aux éclatantes livrées accrochés à l'arrière-train, dans toutes ces éblouissantes voitures, quel déploiement de toilettes luxueuses, de dentelles, de plumes et de rubans, de diamants et de perles !
Des heiduques galopent aux portières, des coureurs en bizarres costumes, jouent des jambes à travers le flot des équipages, des cavaliers et des belles amazones, tandis que sur les bas côtés de la route, dans la foule accourue pour admirer les beautés à la mode et la mode elle-même, dans le brouhaha des rencontres, des conversations avec les jeunes seigneurs, les petits-maîtres et les grands roués, la marquise et la présidente, la dame de qualité et la financière coudoient la demoiselle d' éra, la folle actrice, coqueluche des jeunes
D'après Moreaii le Jeune.
galants de la comédie, qui se la disputent, ou l'impure échappée de quelque folie de grand seigneur ou de gros traitant, la courtisane qui sera peut-être la semaine prochaine Reine de la main gauche.
Vienne l'hiver, et ces élégantes laisseront leurs carrosses et leurs chaises à porteurs; — encore une des plus délicieuses créations de ce siècle charmant, — elles quitteront leurs chaises, peintes au vernis Martin de sujets galants et de bergeries à la Boucher oii à la Watteau; elles quitteront dentelles et rubans, s'habilleront, s'envelopperont et se coifferont de fourrures, et s'en iront, leur joli nez rose enfoui dans la zibeline ou le renard bleu, les mains enfoncées dans l'immense manchon gros comme un tambour, courir sur la neige dans les superbes traîneaux contournés, tarabiscotés et peinturlurés, ornés de figures sculptées et dorées, de la plus étonnante fantaisie.
Gi'und Chapeau Louis XVI.
IX
XVIIP SIÈCLE - LOUIS XVI
Les coiffures colossales. — Le pouf au sentiment. — Parcs, jardins potagers et paysages animés de figures sur les têtes. — La coilTure à la Belle-Poule. — Les mouches. — Modes champêtres. — Les robes négligentes. — Couleurs à la mode. — Le Monument du costume. — Les amazones. — Modes anglaises. — Les bourgeoises.
Il vieillit, le siècle des grandes élégances poudrées et musquées, le siècle aux exquises coquetteries, il prend de l'âge et s'ennuie dans son papillotant décor rocaille.
Son goût s'est un peu fatigué, il ne se renouvelle plus que difficilement, depuis longtemps la mode est stationnaire et tourne toujours dans le même cercle.
Le style Louis XV est devenu aussi ennuyeux que jadis le style Louis XIV, le rococo paraît à son tour perruque et vieux jeu; mais attendez, la mode va essayer de donner un brusque coup d'aile et tout risquer, même de tomber dans le baroque, — ce qu'elle peut bien se permettre trois ou quatre fois par siècle, après tout.
Le grain de folie qui couve toujours au fond de la petite cervelle frivole et hurluberlue de la déesse de lamode, va donc faire des siennes. Conservant encore pour un temps les gracieuses façons Pompadour et Watteau, la mode va se rattraper sur les coiffures et prendre pour champ d'exercice de ses caprices les plus fous, pour théâtre de ses plus incroyables fantaisies la tête de la femme, qu'elle va charger, arranger, surcharger des plus folles inventions, sous prétexte de l'embellir, qu'elle — transformera en paysage champêtre ou même maritime, qu'elle empanachera et rehaussera fabuleusement, sur laquelle elle bâtira des édifices et ira même jusqu'à faire promener de petits bonshommes ou de petites bonnes femmes, des poupées de carton.
Paris alors pullulera de coilleurs de génie, les Legros et les Léonard, Raphaëls et Ru-bens, ou plutôt Soufflots de la coiffure, qui tiendront des académies pour enseigner les principes de leur architecture capillaire; qui lutteront à qui trouvera, pour orner les têtes aristocratiques, le comble du ridicule et qui le trouveront plusieurs fois.
Les perruquiers avaient eu déjà leurs jours de gloire au grand siècle, avec les majestueuses perruques des hommes; devenus maintenant les Académiciens de la coiffureÀU vont triompher de nouveau, mais aux dépens de la grâce féminine.
Voyons la femme à sa toilette, se préparant pour les visites ou pour la sortie aux Tuileries, à riieure du beau monde. C'est rallaire importante de la journée, ce petit travail de labo-
GRANDS PANIERS LOUIS XVI.
ratoire où l'art et la fantaisie accommodent la beauté toute simple au goût du jour. Cette heure de la toilette après le petit lever, Lan-crct, Baudoin et tous les peintres galants ou élégants du siècle, l'ont célébrée avec toutes les coquetteries de leur pinceau charmeur, et les caricaturistes ne se sont pas privés d'en sourire.
Dans le cabinet de toilette aux boiseries blanches, moulurées et sculptées dans le style rocaille, devant sonmiroir au cadre contourné, Madame a été habillée par ses suivantes, femmes de chambre ou soubrettes ; elle a pu à son petit lever donner audience à ses galants et à ses modistes, au marquis et au linancier, au poète qui célèbre ses charmes dans V Almanach des Miises^ au déluré chevalier et au galant abbé de Cour à petit collet.
— « Qu'en dit l'abbé? » L'abbé a du goût et ses avis sur tout ce qui touche aux fantaisies de la mode sont précieux.
Mais tout ce monde frivole a été renvoyé, c'est maintenant l'heure du coiffeur, le moment sérieux de la journée, le seul moment vraiment important.
L'artiste a besoin d'être seul pour ne pas effaroucher l'inspiration, et d'ailleurs l'œuvre est longue, difficile et demande tant de préparatifs et de soins pour être menée à bien! Une ou deux femmes de chambre qui le comprennent à demi-mot et lui passent tout ce qui lui est nécessaire lorsqu'il est dans le feu de la composition, c'est tout ce qu'il peut tolérer autour de lui.
Suivant le rang de la dame, c'est le grand artiste à la mode, venu en carrosse, courant d'hôtel en hôtel dans le noble faubourg, attendu aux Tuileries ou chez quelque princesse, ou bien c'est l'un de ses élèves qui opère, en frac et manchettes de dentelles et l'épée au côte.
L'inspiration vient, et sous les doigts, sous le peigne, sous le fer à friser de l'artiste, les plus étranges monuments de boucles naturelles, adroitement mélangées à d'énormes quantités de tresses rapportées, s'élèvent, se roulent en volutes, s'étagent, se superposent en coques^ tapés, marrons, frisures^ barrières, dragonnes, béquilles, etc.
Pendant vingt ans, c'est un défilé d'architectures étranges sous prétexte de coiffures. La folie a élu domicile sur la tète des dames. On peut citer, parmi les plus extravagantes inventions, les coiffures à la Quèsaco, les coiffures à la Mo7ite-au-ciel dont le nom indique assez les proportions, la coiffure à la Comète, le hérisson à quatre boucles inventé par Marie-Antoinette qui porta jusqu'à l'exagération de l'exagération l'empanachement des coiffures, le parterre galant, le chapeau en berceau d'amour, à la novice deCythère...