Je flaire à plein pif la bonne fortune. Il n’y aurait pas la Martha, beaucoup plus réservée, on garerait la tire dans un chemin creux et je fourrerais cette divinité contre le capot de l’automobile.
On roule, roule. D’après mon estimation, il doit y avoir encore quatre cents bornes pour Phuket, soit environ six heures de voyage, compte tenu de notre allure. Si tout va bien, nous serons arrivés avant midi. Note que je ne serai pas sauvé pour autant, cette station balnéaire mondialement réputée se trouvant toujours en Thaïlande, néanmoins, je serai loin de Bangkok et de ses maléfices, et proche de la Malaisie ; deux belles raisons pour boire Contrex.
Une heure de route, puis deux, puis trois. Le trafic a repris du poil de la belette. A deux reprises, nous avons été dépassés, ou bien avons été croisés par des motards de la police, avec leurs casques plats, leurs silhouettes de petits garçons, leurs bolides fracassants couverts de chromes, d’antennes et de tout un pastaga spectaculaire. Les deux fois, je suis parvenu à me placarder complet dans mon trou et les draupers sont passés fiers comme bar-tabac, la face cachée par d’énormes lunettes teintées.
Un jour en construction commence à jeter des clartés mêlées d’ocre. M’est avis que ça va devenir sérieux.
Pour comble, Martha déclare qu’elle est fatiguée et prie sa camarade de travel de lui succéder au volant. Elles conviennent de faire une halte-caoua à la prochaine station indiquée pour 5 km par un panneau.
On y parvient en moins de jouge. La chauffeuse range la carriole sur une aire faite pour.
— Vous venez ? me propose-t-elle.
— Non, fais-je, je vais surveiller vos bagages ; dans ce pays, ce serait tenter le diable que de les laisser seuls.
Elle opine mais je note qu’elle prend sa clé de contact pour gagner la partie bar. Exit mes deux chéries. Si tu savais comme elles sont roulées, tu gonflerais du manche aussi fort que ma pomme.
Je me dégage pour tenter de désankyloser mes cannes paralysées. Elles fléchissent quand je pose les pieds au sol.
Je sens une menace planer sur ce coin du monde. Tu crois que l’opticienne la reverra, sa sœur chérie ? Moi, non. Une immense malédiction flotte dans l’air immobile.
Des convois de camions passent à vive allure. Des voitures particulières ont l’air de jouer au chat et à la souris avec eux. Deux d’entre elles s’arrêtent à la station pour un plein de tisane. Par mesure de précaution, je reste immobile. Voilà qu’un mouvement s’opère, en provenance du bar. C’est Carola qui se pointe, un gobelet de café en main. Quand elle est à cinquante centimètres de moi (et à trente de ma bite), elle me tend le breuvage fumant.
— Faites attention, c’est très chaud.
Tu verrais ce corps, sanglé dans un pantalon de coutil blanc et une chemise Lacoste corail ! Elle a ôté son turban. Des cheveux blonds comme l’or pâle ruissellent sur ses épaules.
— Martha est en train de manger quelque chose, me dit-elle.
— Pas vous ?
— Je n’ai pas faim ; du moins pas faim de nourriture.
Oh ! dis donc, m’n’onc ! Voilà qui s’appelle entrer dans le vit du sujet. D’autant que sa main chauffée par le café se plaque sur ma cuisse dénudée afin de contrôler mes muscles.
T’inquiète pas pour mon standinge : du béton !
— Ce que vous êtes dur, balbutie-t-elle.
— Tout l’animal est comme ça, fanfaronné-je.
Sourire carnassier de la sublime.
En voilà une qui n’a pas bouillavé depuis un certain temps et qui s’en ressent comme une dingue. Ou si elle a tâté du Niacouais, elle a dû être déçue par le gabarit bengali de l’interprète. Le fifre des Cadets de Gascogne, c’est pas sa pointure.
Je tente de lamper une gorgée de café, mais malgache bonne eau, comme dit Béru.
— Vous avez raison, c’est terriblement chaud, fais-je en déposant le gobelet sur le capot.
A cet instant, elle vient d’opérer une prise juteuse (si tu me passes l’expression) en la personne (car c’est quelqu’un que ce machin-là) de mon zob préféré. Mon short est si court qu’elle le dégage par en dessous.
— Magnifique ! s’extasie la chérie.
— De quoi rendre une jolie femme heureuse, non ?
Au lieu de me répondre de vive voix, elle descend me téléphoner à l’entresol. Je devrais m’embarquer illico pour Vénus, mais un élément intempestif me perturbe.
Figure-toi que, de l’autre côté du véhicule, un homme qui a dû ramper jusqu’à nous se redresse. Un énorme, tenant un pistolet à haute portée destructrice : le cerbère du « club » à qui j’ai meurtri le sac à roustons hier.
Il me braque avec un air si mauvais qu’il flanquerait la diarrhée verte à une première communiante. De la pointe de son soufflant, il m’ordonne d’attraper les nuages.
J’obtempère déjà du droit, pour verser des arrhes, et exécute le même geste du gauche, seulement, en cours d’ascension, ma main se saisit du gobelet et balance son contenu dans la poire blette du vilain.
J’ignore jusqu’à quel degré il est brûlé, en tout cas il pousse un hurlement de douleur.
Je saute par-dessus le capot, ma grosse bibite au vent, superbe flamberge. Emplâtre le gros d’un magistral coup de boule dans sa boîte à dominos.
Il n’a pas le temps de réagir que je l’envoie aux quetsches d’un nouveau shoot à la Cantona dans sa paire d’aumônières bouddhistes.
Tu crois que ça dénote un tempérament sadomasochiste de toujours pilonner le mec dans ses œuvres vives ? Je devrais consulter un psy ? Même un qui serait moins intelligent que moi ? Parce que pour en trouver un qui le soit davantage, faudrait passer une annonce dans Libé. Et encore, je me demande.
Le gros sac de riz éructe. Son regard fétide (quand il chiale, c’est de la merde qui sort de ses orbites) ressemble à la boutonnière d’une ancienne braguette-de-pantalon-de-velours-côtelé-appartenant-à-un-vieillard-frappé-d’incontinence[10].
Manière de lutter contre d’éventuelles déviations, je le termine d’un autre coup de salon dans la tempe et il reste coi, la bouche plus béante qu’une brèche dans les digues camarguaises en période d’inondation.
Cela fait, je ramasse son pistolet, souffle dessus pour en chasser la poussière et, comme ma fouille de short est pleine de l’autre, si je puis exprimer aussi puérilement, je le jette à l’arrière de l’auto des deux donzelles.
Une que cet exploit pétrifie d’admiration, c’est Carola.
— Formidable ! me dit-elle. Cet homme venait nous attaquer et, en un clin d’œil, vous l’avez neutralisé.
— Aidez-moi, coupé-je, me disant que le sucre glace sur le gâteau du vainqueur, ce sera pour plus tard. Allez chercher sa bagnole qui se trouve là-bas, de l’autre côté des pompes à essence et amenez-la ici, la clé de contact doit être restée au tableau de bord.
Subjuguée, elle m’obéit. Et toi, pendant qu’elle s’active, de te demander comment je peux savoir que la guinde en question appartient au gros salingue. Pas dif, eh pomme à l’eau : il n’y a qu’une bagnole sur le terre-plein !
Une fois que son véhicule est près du nôtre, je hisse l’inanimé dans le coffre de sa chignole, non sans l’avoir bâillonné et ligoté en utilisant ses fringues découpées en lanières et m’en vais remiser sa tire dans une espèce de terrain vague proche de la station où s’accumulent une foule de charogneries, parmi lesquelles des épaves d’automobiles à jamais immobiles.