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Il ne me faut pas un quart d’heure pour retourner en bordure de la voie ferrée. Une ombre est immobile sous un arbre. À sa masse je reconnais Nonœil.

Il s’avance, son nécessaire à la main.

— M…, t’as fait une belote en route, rouscaille-t-il.

— Oui, dis-je, avec un flic… Paul a oublié de me laisser la carte grise ; manque de pot, un perdreau me l’a demandée…

— Et qu’est-ce tu lui as dit ?

Je ricane :

— Je ne lui ai pas dit, je lui ai fait…

Il me propose un paquet de Camel. Bien que n’aimant pas les amerlocks, j’en allume une.

— Bon, qu’est-ce qu’on branle maintenant ?

— On attend, dit le gros, tranquille…

— On attend quoi, mec ?

— Ben… le train… Paul t’a rien dit ?

— Oh ! lui, il n’est pas porté sur la jactance. Il joue la muette à longueur de journée, tu le connais. Et suffit que je sois nouveau pour qu’il me considère comme un colombin !

« C’est vrai, ça, le Pourri, il est pas laubé mais il est discret… Ça doit venir de son eczéma qui le rend sombre !

— Ça doit, admet Nonœil en tirant une goulée béate…

Je reprends :

— Bon, on attend le train, et après ?

— Après, fait-il, il reste plus qu’à souhaiter que tout aille bien…

— Oh ! dis, gros, accouche un peu. Tu veux pas faire un marathon de bouche-cousue avec Paul ? Si ma gueule ne vous revient pas, dites-le, j’irai vendre des moules…

Il rit…

— C’est pas pour te faire languir, c’est pour te faire la surprise. Tu vas voir…

Il pointe le doigt au ciel afin de réclamer mon attention. D’abord je ne perçois que le crépitement de la nuit forée par les millions d’insectes… Puis, enfin, un lointain grondement me parvient…

La frime de Jérôme s’épanouit.

— Le train, murmure-t-il, radieux…

Je le regarde, je regarde sa petite valise.

— Nom de Dieu, fais-je en blêmissant, tu ne vas pas me dire que t’as déboulonné la voie ?

— Non ! dit le gros, t’es malade : Paul et Panta sont dans le dur !

— Alors ?

— J’ai posé des pétards…

— Pour quoi faire ?

— Pour faire stopper l’express.

Il se marre :

— Il s’est encore jamais arrêté ici, crois-moi…

— Et pourquoi veux-tu qu’il s’arrête ?

— T’es bouché, gars, ronchonne-t-il. Faut bien que les potes descendent avec leur client…

Je n’insiste pas. D’un seul coup je viens de réaliser le micmac. Il s’agit d’un kidnapping ! Je me remémore les paroles du Vieux : « L’Île-de-France est arrivé… Le train fait la correspondance avec la gare maritime… »

Oui. Et il y a « quelqu’un » dans ce train que les gangsters ont pour mission d’appréhender.

Leur astuce est simple : faire stopper le convoi en pleine cambrousse et profiter de la confusion pour obliger le « quelqu’un » en question à descendre…

Le train s’annonce en grondant. Son rougeoiement troue la nuit et laisse dans le ciel une guirlande orangée, vaporeuse, agrémentée d’étincelles…

C’est chouette à regarder, un train dans la nuit.

Nonœil a le visage un peu tendu. Cette gravité ne lui va pas du tout. Tel, avec son châsse crevé et ses tifs hérissés, il ressemble à un mauvais personnage de comédie.

— Pourvu que les pétards partent bien, dit-il…

Le train nous dépasse en produisant un ouragan qui fait tressaillir la voiture rangée le long de la voie.

Puis, à peine le fourgon de queue nous a-t-il doublé que retentit une très forte explosion.

— Ah ! bon, murmure le gros.

Le train continue un instant sa course. Un second pétard explose.

Nonœil se tourne vers moi.

— J’avais fait la bonne mesure, dit-il… Mais tu te rends compte comme je me défends bien ?

— Compliments, fais-je un peu fébrile, je l’avoue…

— Commence à faire tourner le moulin, ordonne mon compagnon, quand les aminches seront là, faudra pas moisir, espère un peu !

J’obéis.

Le train vient de stopper assez loin d’ici en crachant un jet de fumée pourpre… On entend des exclamations… Des tronches meublent les encadrements de portière…

Un moment s’écoule, puis trois ombres dévalent le talus de la voie… J’identifie facile Panta et Paul… Mais il y a avec eux un petit bonhomme tout rond, tout chauve, avec des lunettes et, je m’en apercevrai dans un instant, des touffes de persil dans les manettes.

Le petit vieux est essoufflé, ce qui lui ôte la possibilité de crier. Panta le tient par le collet et lui montre sans cesse son fameux pétard dont il est si fiérot. Il a dû paumer son bada car il n’est pas homme à se baguenauder tête nue avec une coquille aussi désertique.

Jérôme ouvre la portière arrière. Il pousse le petit vieux dans la guinde, Panta contourne et s’installe aussi derrière. À eux trois, ils n’ont pas beaucoup de place pour remuer…

— Pousse-toi ! ordonne Paul.

Il prend ma gâche au volant. Lui aussi est essoufflé. Il a la bouche entrouverte, ce qui ajoute à sa bouille hideuse une sorte d’affreux rictus. Son regard brille dans la pénombre…

— Fissa ! dit Jérôme… J’aperçois du mec sur le ballast qui s’avance par ici…

Le petit vieux qui vient de retrouver pour trois francs cinquante d’oxygène se met à gueuler à la garde dans une langue que je ne connais pas. Pantaroli lui retourne une beigne en pleine terrine ; le coup envoie valdinguer les besicles du petit vieux. Sans ses carreaux il a l’air complètement paumé. Ses mirettes ressemblent à celles d’un batracien… Il sanglote en balbutiant des trucs vagues… Nous revoici sur la grand-route.

— Ça s’est bien passé pour toi ? demande Paul…

— Non, justement, je voulais te dire : t’as oublié de me laisser ta carte grise…

Il tourne brusquement la tête. Ses yeux enfoncés flamboient.

— Et alors ?

— Alors, nature, un flic m’a demandé les papelards et j’ai été obligé de l’étendre…

— Tu l’as buté ?

— Non, un crochet au foie ou au plexus, il est encore en train de dégueuler si ça se trouve.

Il y a un petit silence.

— Moche ! remarque Pantaroli, derrière. Est-ce qu’il a pu relever le numéro ?

— Je le crains…

— Faudra changer la plaque en arrivant à la maison, dit le Rital à Paul. T’en as de rechange au moins ?

— Non, fait Paul, mais j’ai de la peinture…

Un nouveau silence. Le petit vieux s’est arrêté de gémir. Il se laisse aller.

Paul me demande à brûle-pourpoint :

— Pourquoi qu’il t’a arrêté, le perdreau ?

— Je m’étais engagé dans un feu rouge, juste comme l’orange finissait. C’était un râleur. À Paname, un matuche aurait rien dit, mais en province, ils veulent faire du zèle, surtout lorsque t’es immatriculé 75, tu les connais, ces peaux de vaches ?

— T’as pas eu d’autres anicroches ?

— Non, tu trouves pas que c’est suffisant ?

— Si. T’es c…, tout de même, d’avoir brûlé un feu rouge…

— J’étais pressé, tu m’avais tellement dit de faire vite ! Et puis, je te le répète, il était pas au rouge quand je me suis engagé dans le carrefour.

— Heureusement qu’on n’a pas loin à aller, remarque Nonœil, on regagnerait Pantruche tout de suite, tu peux être certain qu’on rencontrerait de la volaille sur le chemin…

— Oui, heureusement, fait Pantaroli…

Il ajoute :