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— Mais tout de même, t’es manche, Bernard…

— Pourquoi ? je me rebiffe.

— Mais… Parce que sans avoir de papelards tu stoppes quand un poulet te siffle !

— C’est vrai, ça, renchérit Paul, toujours prêt à la rouspétance. Pourquoi tu n’as pas filé au lieu de l’assaisonner ?… On allait sur une grosse contredanse, c’est tout, alors que maintenant c’est tout de suite le genre chasse à l’homme…

Il est enquiquinant, avec ses éternelles objections.

— Oh ! Tu me fatigues, Paul, je crie soudain. M… ! T’es duraille à vivre, soit dit sans te vexer. Vous pensez bien, les gars, que si je me suis arrêté c’est qu’il y avait pas mèche de faire autrement. Un gros c… de camion traversait le carrefour, un Bourgey-Montreuil s’il vous faut de la précision !

« Je pouvais pas lui rentrer dans l’œuf ? J’ai préféré stopper. Le flic s’est radiné tout de suite, je suis descendu, le temps que la circulation s’écoule et je lui ai mis un parpin. Ça suffit, non ?

Paul ne répond pas. D’un hochement de tête, il nous montre la route, devant nous, au milieu de laquelle s’agitent des lumières…

CHAPITRE VII

Jérôme pousse une kyrielle de jurons qui feraient rougir un charretier.

— Nom de Dieu de m… ! conclut-il, je parie que c’est à cause du poulet que Bernard a télescopé !

Moi, je ne fais pas le fiérot. Franchement, je regrette mon coup de tube au Vieux qui nous a filés dans un merdier semblable. Le plus angoissant c’est que je suis au milieu des truands, obligé de jouer leur jeu sous peine de me faire décrasser au chalumeau !

Je serre un peu les amandes, je vous jure.

Paul a ouvert la boîte à gants de la tire et s’est emparé d’un appareil à envoyer la fumée. Il le glisse dans la poche intérieure de sa vestouze.

— On va jouer serré, dit-il. J’ai les fafs de la bagnole. Si le poulet n’a pas relevé le numéro on est bonnards. Veillez bien à ce que le vieux ne la ramène pas !

— T’inquiète pas ! dit Pantaroli.

Il incline le gros zig chauve en avant et lui télégraphie un gnon maison à la base de la terrine. L’autre s’endort presto.

Là-dessus, si je puis dire, nous parvenons au barrage de gendarmes. Ils sont au nombre de trois : un brigadier et deux moustachus. Il y en a un avant qui joue à L’Auberge de la Jamaïque en balançant une calbombe au milieu de la chaussée, et deux autres qui parlementent avec les occupants d’une traction noire…

Personne ne pipe mot dans notre groupe. Paul, qui s’est muni d’un cache-col, le remonte sur le bas de son visage, histoire de dissimuler sa frime bouffée aux mites.

Il prépare son larfeuille et attend, d’un air indifférent. Jérôme fait semblant d’en écraser ce qui est encore le meilleur moyen de planquer son lampion crevé. Pantaroli regarde d’un air fureteur, avec l’œil du géomètre relevant le cadastre.

La traction file.

— Si tu mettais la sauce ? je dis à Paul…

— T’es louf ! murmure-t-il…

Et il me désigne deux motards, devant nous, que la traction me masquait. Évidemment y a pas grand-chose à tenter avec un tel tandem devant soi.

Je baisse le bord de mon bitos sur mes yeux et je laisse venir en priant ferme mon ange gardien d’arranger le coup. Mais mon ange gardien a dû aller au cinéma car les choses se gâtent dès que le brigadier se met à examiner la carte grise. Il tique salement en lisant le numéro d’immatriculation de la tire.

Il va à l’avant de la 203 pour vérifier la plaque. Puis il appelle ses deux collègues.

— Oh ! les enfants ! dit-il…

Les pandores s’annoncent.

— Quoi ? fait le plus vif d’esprit…

— C’est la voiture en question…

Celui qui tient la calbombe, trouvant l’éclairage du plafonnier insuffisant, nous colle son faisceau dans le portrait. Il y a un instant de silence. Les trois gendarmes nous scrutent comme des pêcheurs de perlouzes scrutent le fond de la mer.

L’un des motards, voyant qu’il se passe quelque chose, lâche sa péteuse et se pointe à la rescousse.

— Eh bien ! quoi ? demande Paul de sa voix neutre, un tantinet bougonne… Je suis pas en règle ?

Le brigadier porte des baffies à la Clark Gable. Il les lisse du dos de la main.

— Votre véhicule est recherché, dit-il… Vous avez « agressionné » un gardien de la paix, au Havre.

Paul comprend que c’est tordu, mais il risque encore de la même voix tranquille.

— Moi, j’ai agressé un gardien de la paix ? Vous plaisantez, je suppose ?

— On n’a pas l’habitude de plaisanter avec le travail. Votre numéro a été communiqué par la victime… Pas d’erreur : c’est vous… Par exemple l’agresseur était seul ; qui sont ces gens ?

— Des amis…

— Vos papiers à tous !

Cette fois j’ai la profonde, l’intense certitude que nous touchons au fond du problème.

— Voilà les miens, dit Pantaroli.

Prompt comme l’éclair il cramponne son feu et défouraille par deux fois par-dessus l’épaule du Pourri dans le placard du pandore qui obstruait la portière.

Le gendarme ferme les châsses et crie :

— Fumier…

Il y a d’autres cris, dehors… Un drôle de branle-bas…

— Vite ! gueule Jérôme, décarre, mec… Ça va vaser de la prune d’Alsace !

Il a pas besoin de cette exhortation. Paul a déjà branché la seconde directo et arrache la bagnole dans un magistral coup d’accéléro.

— M… ! fait Paul…

Par une de ces étrangetés dont le hasard est costumier, comme dit une petite soubrette de mes relations, le brigadier que le Rital a flingué est tombé lentement et la bride de sa sacoche s’est accrochée après la poignée de la voiture. Si bien que nous le traînons sur la route.

Je suis un peu pâle des genoux et moite du calcif, j’avoue. M’est avis que cette enquête qui avait si bien commencé tourne sauvagement au vinaigre ! Et ce par la faute de San-Antonio ! Comme coup foireux on ne réussit pas mieux ! Mais je n’ai pas le temps de m’abandonner au farouche désespoir des âmes ulcérées. Il se passe trop de choses à la fois qui sollicitent mon attention. D’abord, comme l’a fait remarquer Jérôme, ça vase de la valda dans le secteur. Le motard qui s’était approché a eu vite fait de dégainer sa rapière. Et il tire juste. Probable qu’il passe ses loisirs chez Gastinne Reinette ! La vitre arrière, pour commencer, fait des petits. Le vieux kidnappé, revenu de son erreur, recommence à pousser des cris d’orfèvre ! Il se jette à genoux. Panta se met à genoux aussi, mais sur la banquette et il profite de ce que la vitre s’est trouvée pâle pour faire des cartons par l’ouverture.

— Ça y est ! exulte-t-il, je l’ai eu au bras !

Paul continue de sacrer. Le corps du brigadier que nous traînons freine notre allure et entraîne la direction sur la gauche. Pas moyen de larguer cet étrange colibard sans s’arrêter. Or, il n’est pas question de s’arrêter.

Nous entendons brusquement une pétarade… Le second motard nous file le train. Il a vu ce qui se passait, s’est planqué sous un arbre pour nous laisser passer car il a tout de suite pigé que s’il se carrait devant notre os Paul ne lui ferait pas de cadeau. Maintenant il bombe sur la route en tenant son guidon d’une seule main. Et ce gnace, croyez-moi, il a dû être élevé par Buffalo Bill parce que pour être un as c’est un as. Il monte sa ronflante exactement comme s’il s’agissait d’un bourrin bien dressé.

— Plus vite ! Plus vite ! brame Jérôme…

Lui aussi a dégauchi une rapière, mais il ne tire qu’avec parcimonie. Cette corrida ne semble pas de son goût.