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Il préfère le steak tartare à la bataille des Flandres, Jérôme, on ne peut pas lui donner tort…

— Plus vite ! répète-t-il… Plus v…

Et il la ferme parce qu’une dragée vient de lui entrer dans le front, juste — ô ironie — sous son bon œil. Ça lui a éjecté le lampion de l’orbite. Une grosse boule blanche et sanglante pend sur sa joue… C’est fou ce que ça peut être mahousse un œil entier ! Un vrai carreau de bœuf ! Entre lui et le brigadier qui traîne sur le goudron on peut se présenter au Grand-Guignol ; illico qu’on y sera admis. Notre spectacle n’est peut-être pas littéraire, mais pour ce qui est de l’épouvante, inutile de louer un vieux manoir en Écosse ! Joignez à ce cirque les coups de flingue, l’odeur de la poudre ; le phare de la moto qui zigzague derrière nous, ceux des autres voitures que nous croisons sur la route et qui s’arrêtent pile en se demandant à quoi on joue et vous aurez une faible idée du petit enfer à roulettes au milieu duquel je suis tombé.

Le vieux chauve ne dit plus rien. Pas fou, il s’est accroupi à l’arrière de la 203 et je n’aperçois que le sommet de son croûton, brillant comme une opale.

Paul se fout en renaud.

— M… ! dit-il, assaisonne cet enc… ou il va nous seringuer les uns après les autres ! Faut que je m’arrête pour décrocher le matuche, ses cannes font frein…

— Et merda ! lance Pantaroli.

Comment qu’il l’ajuste, le motard.

Mais l’autre est un futé. Et puis il a pour lui une chose fameuse : grâce à son plein phare il voit distinctement Pantaroli lorsque ce dernier le met en joue… Au dernier moment, d’un coup de dargeot il fait dévier sa bécane.

Le bourdille cesse de tirer parce que son magasin est vide. Il n’a pas la possibilité de recharger. Maintenant il tient son guidon à deux mains et il nous suit, simplement, pour ne pas nous paumer… Ça peut durer longtemps, ce manège. Il sait que les gendarmes, à l’arrière, ont donné l’alerte et que le renfort est déjà en route. D’une minute à l’autre nous risquons de tomber sur un barrage et alors ce sera la fin parce qu’au point où ils en sont… Paul et le Rital vendront leur peau au prix fort et dans la bigorne y aura sans aucun doute quelques pruneaux pour votre petit ami San-Antonio !

Ah ! je me sens mal parti.

Soudain Pantaroli crie :

— Arrête ! Il a plus de balles !

Paul freine sec. Le motard a juste le temps de braquer à gauche pour nous esquiver. Il passe à côté de nous comme une rafale. Le temps d’apercevoir sa masse enveloppée de cuir, sa plaque brillante, ses lunettes remontées sur le casque, un visage pareil à un bois gravé…

Maintenant il est devant. Pas fou il continue à bomber car il a pigé l’astuce. Panta n’a pu le flinguer au passage car la vitre de côté était remontée.

— À toi ! crie-t-il, à toi Bernard !

Je tire mon feu, pas de danger que je l’empêche de penser avec cet engin, vous vous rappelez que c’est celui que j’ai chouravé au poulet de la rue Ballu et qu’il est chargé à blanc. Pour la bonne forme je lâche les balles restantes dans la direction du motard.

Pendant ce bref intermède, Paul-le-Pourri a baissé la vitre de son côté et il a, en s’y prenant à deux mains, décroché le brigadier de la poignée de porte, laquelle, à demi arrachée par le poids du corps, pend, complètement tordue.

— Faut le rattraper, dit Panta… Cette carne va stopper le premier camion qu’il rattrapera et le fera foutre en travers de la route, on sera cuit, le coup est classique !

Paul sait que le copain a raison. Aussi démarre-t-il avec le même brio que précédemment. Mais cette fois, la voiture, délestée de son poids mort (c’est le cas de le dire) fonce plus vite.

— Jamais tu pourras rattraper une moto de la routière, je prédis à Paul. Tu parles, de la 500 culbutée !

— Tourmente-toi pas, dit Paul, le moteur de celle-ci est gonflé.

Pantaroli, qui se donnait tout à la fusillade, pousse une exclamation :

— Jérôme est canné !

Paul ricane :

— Vaut mieux que ça soit lui qu’un de nos pneus…

Il pédale à fond de ballon. L’aiguille monte à cent dix, puis elle tremble sur le cent vingt… Paul écrase encore le champignon. Il a le pied au plancher et il tourne à fond le bouton d’allumage. Je regarde l’aiguille avec des yeux fixes. Si à cette allure nous entrons dans les décors, ça va donner une bath confiture de macchabées. Mais je vous l’ai déjà dit : je connais pas un meilleur chauffeur que Paul.

— Le v’là ! grommelle-t-il…

En effet, devant nous, à cent mètres, danse le feu rouge du motard.

— T’as encore de la bastos ? demande Paul à Panta…

— Plus qu’une.

— Tiens, chope mon feu…

— De derrière ça sera pas commode, dit Panta.

— Pas de derrière, hé, enflure ? Je vais le doubler… Je lui entrerais bien dans le dos, mais ça risquerait de nous expédier aux questches, à l’allure où on va ! Je le remonte à gauche, au passage envoie-lui le potage…

Un grave cas de conscience se pose pour moi, les gars.

Je sais que du train où nous allons nous rattraperons le policier ; ce faisant il aura droit demain à la Légion d’honneur à titre posthume, car à bout portant Panta le mettra en l’air aussi sûrement que Paris est la capitale de la France !

Je peux essayer d’empêcher ça… Il me suffit de tirer le bouchon de contact… Le temps qu’on s’explique avec Paul, l’autre aura pris le large. Je peux profiter de l’élément de surprise pour démolir Paul d’un coup de boule dans les ratiches et pour faire une clé à Panta… Il est possible que ça réussisse… Du même coup le pauvre vieillard qui est accroupi à l’arrière sera sauf…

Oui, mais, je peux aussi échouer. Et le boss m’a bien précisé que je devais aller jusqu’au bout, sans tenir compte de rien. DE RIEN !

Je soupire et serre mes poings. Mon boulot c’est d’obéir ! Je ne suis pas à mon compte, et croyez qu’en ce moment je le regrette vivement.

— Allez ! dit sauvagement Paul.

Il ne peut plus accélérer car nous sommes à cent trente, mais, au moment où il rejoint le motard, on dirait que la bagnole obéit à son aspiration. Elle a un suprême rush ! Voilà, nous remontons le motocycliste. Panta a baissé la vitre du côté de Jérôme. Il a fait basculer le corps du copain sur la banquette et il est là, à demi accroupi, semblable à une hyène… Je vois la silhouette du motard. Il nous regarde, ses yeux brillent d’angoisse. Derrière moi quatre détonations retentissent. Le motard paraît ne pas les avoir entendues. Il semble que tout cela ne le concerne pas. Son regard reste fixe… Mais sa moto file sur le talus qu’elle escalade. C’est hallucinant. Le phare de la ronflante illumine un champ labouré et s’y engage. La terre vole autour de lui. Puis l’engin culbute.

— Je l’ai eu au cœur, assure fièrement Panta. Ce c… — là, il ne s’est pas seulement aperçu qu’il était mort !

CHAPITRE VIII

Je ne peux pas m’empêcher de regarder derrière moi. J’aperçois un rayon lumineux qui a poussé dans le champ et qui s’est braqué sur les étoiles : le phare du motocycliste.

Paul lève un peu le pied. La 203 qui tanguait comme une barque sur la mer démontée retrouve une allure plus raisonnable. L’aiguille descend au cent dix.

Un grand calme tombe sur nous. Excepté ce courant d’air causé par le bris de la vitre arrière et cette odeur de poudre, on ne croirait pas qu’une telle tragédie a eu lieu… Je me hausse un peu en me détranchant : le vieux chauve se tire le plus possible sur Panta afin d’éviter le contact du cadavre.

— T’es sûr qu’il est bien mort ? je demande au Rital en désignant Nonœil.