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Je trouve une piaule vide, poussiéreuse et moisie, avec un lit recouvert d’une grande toile grise.

Je sors de mon futal, je pose ma veste sur une chaise et je m’enfonce voluptueusement dans les torchons.

Y a des instants dans la vie — et celui-ci en est un ! — où l’on se fout de tout. Une seule chose compte : dormir, s’anéantir, tout oublier…

Je ferme mes châsses. Demain je demanderai à quoi rime l’opération de ce soir et qui est le vieux bonhomme kidnappé de si astucieuse façon…

Oui, demain…

Je flotte un instant sur le matelas comme sur un nuage de crème Chantilly. Puis je me fonds dans un horizon noir où brille méchamment l’œil arraché du gros Jérôme.

CHAPITRE IX

Quand je m’éveille, il y a un Durand du tonnerre dans la piaule. Ses rayons viennent caresser ma terrine et ce sont eux qui m’ont tiré du cirage.

Je me mets sur mon séant avec la bouche aussi pâteuse que si j’avais léché la route de Paris à Chartres. M’est avis qu’une tasse de jus me fera du bien. Si, en plus, je peux m’offrir une douche, alors ça sera le fin des fins, le grand rebecquetage maison !

Je passe mon futal et je me propulse à l’extérieur. Pantaroli est assis à la cuisine occupé à beurrer une tartine longue comme un tapis roulant. Devant lui un bol de café répand une odeur réconfortante.

— Salut, mec, murmure-t-il.

— Bonnot, dis-je, t’as usiné le caoua ?

— Fallait bien, puisque cette grosse gonfle dé Nonœil n’est plus là…

Il paraît revenu à de meilleurs sentiments à mon égard. Je me sers un petit déjeuner copieux. Ensuite je demande au Rital s’il y a moyen de prendre une douche.

Il hausse les épaules.

— Tou té réfouses rien, déclare-t-il. Il y a une salle dé bains ma pas d’eau caldo…

— M’en fous, je la veux froide, ma douche…

— T’as la migraine ?

— Un peu, mon neveu… C’est la séance de cette nuit, ça me tourne un peu le raisin…

— T’as ouné pétite natoure…

— Possible…

Il m’indique la salle de bains. J’y vais, je me fous à loilpé et je fais pleuvoir sur ma géographie… C’est bon. Ça vous remet les idées en place les unes après les autres. Après ce petit exercice je me sens tout à fait bien.

Tandis que je me sèche, je perçois une sonnerie téléphonique dans la pièce voisine. Le grelot tremble un bon moment, enfin quelqu’un décroche. La voix méfiante de Paul murmure :

— Allô !

C’est marrant, mais, grâce à la tuyauterie qui accroît l’acoustique, j’entends tout ce qu’il bonnit.

— Ah ! C’est vous, fait le Pourri. Quoi ? Vous étiez inquiet ? Bien sûr, mais on n’a pas pu vous appeler, ici faut passer par l’inter, ç’aurait pas été prudent… Maintenant ça marche, enfin, ça a l’air, mais on a eu chaud aux plumes… Oh ! une c…

Il rit.

— Le plus marrant, c’est que c’est le poulet qui l’a faite. J’avais oublié de lui passer la carte grise, il s’est fait stopper par un agent, sans doute n’a-t-il pas de carte professionnelle sur lui… Pour s’en sortir, il a billé sur le collègue…

Si vous pouviez me voir, les mecs, vous rigoleriez cinq minutes ! Je suis à poil au milieu de la salle de bains, l’oreille tendue comme une main d’aveugle, la bouche ouverte de stupéfaction. Ce que j’apprends me foudroie. Paul est au courant de mon identité ! Là alors j’en suis comme mille francs de flans ! C’est proprement impensable ! Ces truands se livrent à un kidnapping. Ils butent des flics, tout ça devant moi, en sachant que j’appartiens à la maison parapluie ! Non ! y a qu’à moi que ça arrive, ces choses-là. J’en suis tellement baba que je ne perçois plus le reste de la conversation. Dans mes manettes il se produit comme une sorte de faible rumeur semblable à celle que l’on écoute dans les gros coquillages vides.

Paul sait que je suis un perdreau. Et pourtant il agit comme si j’étais un truand.

Le froid me hérisse le derme. Je frissonne. Pas le moment de bicher une fluxion…

Je me reloque en réfléchissant. Et soudain je pige. Pour une raison ou pour une autre, Paul a compris que j’étais un poulet, peut-être a-t-il vu ma frime dans un canard il y a quelque temps ? Il a appris la chose au mec de la tire amerlock pour le compte duquel il gratte. Ce dernier a compris le parti qu’il pouvait tirer de moi. En manœuvrant habilement je servais de paravent !

« Beau ! » disait la mémé en retirant sa paluche du futal du colonel ! Voilà qui est pensé en pape ! Grâce à moi, ils étaient certains de réussir le coup et c’était ce qui les intéressait. Maintenant ça va se compliquer pour ma santé. J’ai dans l’idée que je vais faire un peu d’infection au cours des heures qui vont suivre et que ça n’est pas la pénicilline qui me tirera de ce mauvais pas. Car, maintenant que le kidnapping du petit vieux qu’ils appellent le Prof est réussi, ils vont me faire disparaître et embarquer le père Calvitie vers une destination inconnue de moi.

J’en ai épais comme le Mont-Blanc sur la tomate !

Le San-Antonio a voulu jouer au mouton et il s’est fait prendre dans un piège à loup. Me voilà dans cette cage, parmi des truands qui me surveillent, sans pouvoir agir…

Je gagne ma chambre pour achever de me vêtir et je commence à éternuer. Un malheur ne vient jamais seul. Maintenant je tiens un sacré rhume… Enfin grâce à lui j’ai appris pas mal de trucs…

Pour comble de bonheur je suis désarmé comme l’abeille qui vient de piquer. Mon pétard est vide.

Je réfléchis. Comment puis-je me sortir de ce mauvais pas ? Il y a une solution : la fuite. Elle m’est possible. Du moins je le crois… Seulement, calter c’est peut-être sauver mes os, mais c’est certainement compromettre ma mission ! Et une mission, je vais peut-être vous paraître pompelard, mais pour moi c’est sacré. Écoutez, vous allez dire que je tricolorise un brin, mais vous devez bien penser que, lorsqu’on fait un turbin comme le mien, faut s’y donner à fond. Le mec qui existe c’est un mec qui pense, d’accord, mais le mec qui pense c’est un mec foutu, je vous le bonnis comme je vous le casse because c’est vrai. Ce qui fait la force du bœuf c’est qu’il est castré. Ça l’abrutit… Il tire la charrue sans se demander ce que ça lui rapporte.

Eh bien ! pour un flic c’est du kif, avec la différence toutefois qu’on lui enlève pas les précieuses. La façon dont moralement l’État diminue un gars, c’est en en faisant un fonctionnaire.

Je noue ma cravate.

« San-Antonio, me dis-je, t’as choisi de te faire buter pour quarante ronds. C’est c…, mais on peut bien faire d’une c… sa philosophie. Alors, va jusqu’au bout, parce que c’est la seule façon de te justifier à tes yeux. Et tant pis pour la casse. Tant pis si tu te retrouves dans un pardingue de bois avec des manettes argentées à la place des manches ! »

Je vais pour ouvrir la fenêtre, mais je m’aperçois qu’elle est munie de barreaux…

Je réalise que j’étais optimiste en pensant pouvoir me tailler. Ils sont pas loin, les deux vachards…

Histoire de vérifier un peu l’ambiance, je sors de la maison. Je n’ai pas fait trois pas sur le sentier accédant à la grille que Paul me hèle :

— Bernard !

Je fais volte-face.

— Tu nous quittes ? il me demande…

— T’es dingue, fais-je, je prends l’air…

— Rentre !

J’obéis.

Il est là, sur le seuil, plus affreux que jamais, son eczéma n’est qu’une immense plaie. En pleine évolution son fromage !

— On peut pas aller gauler dans la nature à cette heure ?