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— Ce qui est fait est fait, décrète le Vieux qui adopte volontiers les formules toutes faites à condition toutefois qu’elles soient redondantes…

— C’est vrai, dis-je, un brin fataliste…

Il poursuit :

— Paul Mongin était un individu non dépourvu d’intelligence…

Je trouve la formule ravissante mais un peu longuette. Moi j’aurais dit qu’il n’était pas c…, c’était plus direct encore que moins académique.

— … Et il a averti « les autres » de l’incident. Alors ces gens, à la malignité desquels je rends hommage…

— Point de suspension, à la ligne ! je soupire…

— Pardon ?

— Rien, patron !

— Donc, reprend le Vieux, ces gens qui se préparent à kidnapper Hans Mutter, de la faculté de Stockholm…

Ça m’aurait étonné qu’il ne lui refile pas ses titres à M. Persil-dans-les-Manettes !

— … ces gens, dis-je, comprennent le parti qu’ils peuvent tirer de vous. Vous venez pour les surprendre, ce sont eux qui vous bernent… Vous êtes le collaborateur idéal. Tant que vous êtes sous leur contrôle ils peuvent agir en toute tranquillité, l’essentiel étant de vous supprimer une fois le coup réussi…

— C’est ce que je pensais, ne puis-je m’empêcher d’avouer.

Le boss me foudroie du regard. Il aime pas les interventions. Ça le défrise…

— Mande pardon, chef…

— Ils accomplissent donc le kidnapping, avec votre collaboration effective, ce qui ne manque pas d’humour. Hans Mutter arrive de Washington, il doit prendre le train au Havre pour Paris… C’est dans le train qu’il sera enlevé…

« Il y a l’incident malheureux dont vous êtes la cause…

Là, je viens au renaud ! Si maintenant mes chefs me font les mêmes griefs que les truands c’est le bouquet. Allez m’acheter pour vingt ronds de chrysanthèmes que je me suicide !

— Je ne pouvais tout de même pas conserver sur moi ma carte de commissaire ! protesté-je…

— Certes, dit le Vieux… Aussi bien ne vous le reproché-je pas…

« Toujours en votre compagnie, ils finissent par regagner leur P.C… Vous enterrez le mort, sous vos yeux on enferme le professeur Mutter dans une pièce, vous allez vous coucher et vous dormez. Pendant ce temps, Paul et son complice font sortir le savant de la maison et l’emmènent jusqu’au chemin où une autre voiture en provenance de Paris attend. Nous avons relevé des traces de gros pneus à cent mètres de la propriété, sur le chemin, à l’endroit où une clôture brisée permet à une voiture de manœuvrer…

Il me demande :

— Pourquoi avoir agi ainsi ?

Je vais pour répondre car sa question n’a rien de duraille, mais il me coupe la parole, gourmand, voulant s’entendre énoncer la solution :

— Parce qu’ils tenaient à vous faire croire que le professeur était toujours dans la maison. Cela leur permettait de gagner du temps. Un temps combien précieux ! Et de faire passer la frontière à Mutter. À l’heure où sa disparition était officiellement constatée il était embarqué pour une destination inconnue tandis que la police le croyait dans la maison, sous votre protection !

Il jubile.

— Admirable combinaison, plan machiavélique…

J’ai envie de lui taper sur l’épaule pour lui dire de lâcher le superlatif. On n’est pas laga pour faire l’apologie des petits malins qui m’ont repassé !

Il s’arrête de lui-même.

— Nous avons été mystifiés, San-Antonio. Je quitte à l’instant le ministre de l’Intérieur. Il en a assez de ces enlèvements camouflés en fugues ! Les nations amies dont les disparus sont les ressortissants s’indignent ! À la perte considérable que représente la disparition de ces hommes éminents…

Je pense : « Ouvrez le ban ! »

— … s’ajoute le déshonneur qui entache leur nom. Ils passent pour des traîtres alors que ce ne sont que des victimes. M. le ministre m’a laissé entendre que les choses iraient mal pour nous si nous ne parvenions pas dans un bref délai à une solution satisfaisante ! Vous comprenez ce que cette menace signifie ?

— Je comprends, chef !

— Bon, alors il nous faut décapiter d’urgence cette organisation. Mettez-vous en campagne sans perdre un instant. Disposez de tous les concours que vous jugerez nécessaires ! Mais il me faut des résultats ! Vous m’entendez, San-Antonio ? Des ré-sul-tats !

Il a presque crié. C’est la première fois que je le vois sortir de ses gonds. J’en suis baba. Et comme tous les babas j’ai besoin de m’humecter au rhum pour me sentir mieux.

Je me lève en tortillant mon bitos.

— O.K., je me mets en chasse…

— J’y compte. Souvenez-vous : si vous échouez, il y a quatre-vingt-dix chances sur quatre-vingt-dix que vous soyez muté à la P.J. ! Finies la liberté de mouvement, les notes de frais illimitées, les…

Il se tait, à court d’arguments.

— Si ça peut vous faire plaisir, dis-je, je vais démissionner.

Mon ton froid et tranchant le revigore.

Il s’adoucit. Ses châsses furibards prennent la douceur du velours de première qualité.

— Voyons, San-Antonio, murmure-t-il, vous savez tout le bien que je pense de vous, n’est-ce pas ? Seulement, croyez-moi, cette affaire est grave parce qu’elle dépasse le domaine du « secret ». C’est du « secret » à grand tapage et alors les gros bonnets s’émeuvent, c’est fatal…

Je répète :

— C’est fatal. Seulement les gros bonnets ont tout ce qu’il faut pour s’émouvoir : un fauteuil tournant, douze téléphones pour crier leur désapprobation et une armée de sous-fifres à engueuler…

Je hausse les épaules :

— Enfin, nous vivons dans une société organisée… Salut, chef !

Je sors et je manque m’étaler dans le couloir parce que mon collègue, le gros Bérurier, comme par hasard, relaçait ses lattes devant la lourde du Vieux. Il relace toujours ses pompes devant une porte par laquelle s’échappent des éclats de voix. C’est une manie chez cette gonfle !

Il balbutie :

— Ça ne va pas, collègue ?

— Ça va admirablement bien, dis-je en ricanant sauvage, j’ai lu ce matin dans le journal que le prix du sucre allait baisser de trois francs à partir de demain, alors tu parles si je suis joyeux…

Et je m’en vais siffler une paire de rhum au troquet d’en face parce qu’il y a des moments dans cette p… de vie où l’on doit faire appel aux paradis artificiels si on veut en oublier les laideurs.

CHAPITRE XII

Il y a un trèpe considérable aux obsèques de Paul Mongin dit Paul-le-Pourri, le surlendemain matin.

Messieurs les hommes sont tous laga : les maques des quartiers populeux, les patrons de boîtes des Champs-Zés, les diros de clandés, les rois de la chnouf, les buteurs diplômés, ceux de la traite ; les troncs, les Corsicos, les Ritals, les Grecs, les Espagos, tous loqués avec distinction : limaces de soie ou à l’extrême rigueur de Nylon premier jus, costards sur mesure non industriels, bitos de chez Mossant, avec tous au poignet des horloges en dix-huit carats made in Swiss ! Et en plus de messieurs les hommes, y a les pépées : le beau linge de la Madeloche, en rupture de rue Caumartin ; les mactées, les sous-mactées, les p… à trois francs, celles qui se farcissent le clodo avec les fortifications par-derrière et un parapluie ouvert par-devant pour économiser le prix d’une piaule ; les pompeuses du Bois, les marchandes de neige des boîtes… Bref, le tout-Paname du vice et du crime accompagne à sa dernière demeure un digne homme de chez lui, tombé au champ d’honneur. Car le flingage de Paul, aux yeux de ces messieurs-dames (à propos j’oubliais de mentionner les tantes), a pris des allures de catastrophe, car il s’auréole de mystère. Les baveux, pour une fois, ont suivi les indications de la rousse et ont mis une sourdine sur les circonstances de cette mort. Tout ce qu’ils ont dit c’est que deux dangereux repris de justice ont trouvé la mort dans une maison de Normandie assiégée par la garde mobile. Cette fin tient de l’épopée pour les truands. Depuis la mort en avion de Marcel Cerdan, on n’avait jamais été secoué pareillement dans le mitan.