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Le cortège est long comme un défilé sur la place Rouge à Moscou. Et il y a plus de fleurs que pour une générale à Marigny !

Je suis le convoi funèbre qui s’engage sur le boulevard de Ménilmontant en direction du Père-Lachaise… Personne autour de moi ne se doute que c’est bibi qui a nettoyé du bal le défunt. Si quelqu’un s’en gaffait il y a des chances pour que ça aille mal pour ma pomme.

Tout à fait à l’avant, la môme Sofia croulante sous le crêpe mène le deuil avec une grande distinction. Je l’ai aperçue en sortant de l’église, un peu chouïa, qu’elle est, cette polka ! En la revoyant j’ai senti ma carte d’électeur frémir. Elle a tout ce qu’il lui faut pour donner aux mâles la notion précise de leurs attributs, cette douceur.

Je vais, suivant l’enterrement, sans trop savoir pourquoi… Peut-être au fond pour rester jusqu’au bout en contact avec feu Paul-le-Pourri, unique lien conduisant à la bande de kidnappeurs… Tout à coup, je me sens touché au bras et je balance un coup de périscope à mon voisin de droite. Je sursaute en reconnaissant Mémé-Bille-en-Bois, un petit casseur de mes relations qui bouffe à la Grande Gamelle depuis un bon bout de moment.

Il est tout petit, Mémé, c’est je crois un ancien jockey. Il « bricole ». Il n’a pas plus d’envergure que ses épaules et c’était fatal qu’il sombre un jour ou l’autre dans le job dégradant d’indic.

Il cligne de l’œil aimablement.

— Salut, fait-il…

Je lui rends sa politesse, à savoir un second clin d’yeux. Tout frétillant il se colle à moi.

— Alors ? fait-il, on est d’enterrement ?

— Tu vois…

— Pauvre Paul, hein ?

Je soupire :

— Qu’est-ce que tu veux, c’est toujours les bons qui s’en vont les premiers.

Un imperceptible sourire égaie un court instant sa face blême.

Nous pénétrons dans le cimetière. En tête du convoi le cureton à qui on a dû allonger un gentil pécule pour filer Popaul dans la terre glaise dévide son latin…

— Il sera vite au ciel, fait Mémé… C’était un brave gars, il aurait pas fait de mal à une mouche…

— À une mouche, non ! dis-je…

Là encore il réprime un sourire…

On va filer une tournanche d’eau bénite sur le pardingue sans manches de Paul. Le cimetière sent la fleur pourrie et la douceur de mourir… Il y a un soleil affable par-dessus les croix et mausolées en tout genre…

Toujours flanqué de Mémé je me taille sans serrer la louche à Sofia qui, nature, s’est mise debout devant la lourde pour essuyer les condoléances de la populace.

Elle en a au moins pour une demi-heure, la chérie. Alors j’ai tout mon temps.

— On prend un glass ? je propose à Mémé.

Surpris, flatté, béat, il accepte. Nous nous dirigeons vers le bistro situé en face de l’entrée principale. Mémé commande un Clacquesin chaud et moi un Cinzano.

Un instant de silence s’établit, enfin j’attaque très sec :

— Écoute, Mémé, je vais te faire une confidence…

— Oui ? il dit, inquiet de ce préambule.

— Oui ! Le mec qui pourrait me rancarder utilement sur les agissements du Pourri, ces derniers temps, aurait droit à une indulgence plénière… Mon petit doigt me dit qu’à la Grande Taule on lui accorderait un condé grand comme la place de la Nation à ce type… Il serait comme qui dirait tabou à vie pour chez nous…

Sur ce, je liche mon godet en regardant ailleurs. J’attends que le sens de mes paroles lui soit arrivé dans la comprenette. Ça ne tarde pas…

— Pas possible ? fait Mémé-Bille-en-Bois, d’un ton qui tâte le terrain.

— Si.

Il souffle sur son Clacquesin qui pue affreusement le goudron des Alpes.

— Je me disais bien aussi, murmure-t-il, que pour que vous soyez à c’t enterrement fallait que ça ne tourne pas rond…

— Ça ne tourne pas rond du tout, mon gars…

Je lui prends la main.

— Vois-tu, Mémé, à la Grande Boutique on s’entend toujours avec des truands car personne n’est plus susceptible qu’un poulet de faire ami-ami avec un truand, t’en sais quelque chose. Des fois, pour les besoins de la cause, on ferme les châsses sur des tas de trucs : braquage, trafic de stups, etc. J’ai même vu des zouaves bons pour la bicyclette à Deibler s’entendre avec nos zigues, pour te dire… Mais il y a un truc avec lequel on ne plaisante pas…

— Les faux fafs ? demande-t-il.

— Non : l’espionnage !

Il blêmit encore, ce qui revient à dire qu’il tourne au gris cendré.

— L’espionnage ! répète-t-il, comme si le sens du terme lui échappait…

— Voilà !

— Vous voulez dire que le gars Paul ?…

— Je veux le dire. J’ai la preuve qu’il était en cheville avec les dirigeants d’un réseau. Oh ! il ne prenait pas d’initiatives, il était comme qui dirait la bonne à tout faire ; l’homme de main ; mais le résultat est le même. Ce faisant il avait franchi la marge, la vraie, et il n’avait pas la moindre chance de s’en sortir…

Je laisse encore un blanc parce qu’il faut toujours donner aux gens le temps de méditer les paroles sensées.

Puis je reprends :

— C’est pourquoi, Mémé, le gars qui nous aiderait au sujet des activités de Paul aurait droit à la croix de guerre avec palmes !

Une vache aurore boréale s’épanouit dans le cœur de Mémé. Il voit le moyen de se mettre définitivement les perdreaux dans sa manche et pour un petit margoulin comme lui c’est une aubaine qui vaut la retraite des vieux et un abonnement au Figaro !

— Vois ce que tu peux faire pour m’aider, dis-je… Qui fréquentait Paul, ces derniers temps ? Ça c’est un point capital comme la peine du même nom…

Il hoche la tête.

— Vous me prenez au débotté, commissaire. Paul, je l’avais perdu de vue… On s’apercevait, comme-ci, comme-ça, de temps en temps… Écoutez, faut que je voie ça d’un peu plus près ; y a pas un endroit où je peux vous joindre en fin de journée ?

— Si, fais-je, tu veux rue Pigalle, à la pâtisserie ?

— D’accord, j’irai bouffer une assiette garnie vers neuf heures ce soir, j’espère pouvoir vous être utile…

Je me lève et appelle le garçon.

— Non, supplie Mémé, laissez-moi ça, c’est ma tournée.

Les voyous aiment bien payer le coup aux flics.

— Comme tu voudras, fais-je en rempochant mon bifton.

Je touche le bord de mon galure et je gagne l’entrée du Père-Lachaise où le flot des aminches commence à se tarir.

* * *

Paul-le-Pourri avait beaucoup de relations mais peu de famille car la môme Sofia, au bout d’un instant, reste seule à l’entrée du cimetière, la dernière paluche serrée.

Je m’approche d’elle. Elle sursaute en m’apercevant et pâlit.

— Vous ! dit-elle, comme dans les vieux vaudevilles !

— Moi, réponds-je, comme dans les vaudevilles vieux !

Elle regarde autour d’elle, effarée.

— Mais… Ça n’est pas prudent !