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— Admirablement, assuré-je à ce philosophe en tablier bleu et pré-cirrhose de cérémonie, mais vous alliez me donner votre avis sur le comportement de Mme X… ?

— Oui. Bon, eh bien, selon moi, elle n’avait plus sa tête à elle.

* * *

Ce qu’il y a de bath, une rivière, la nuit, ce sont les bruits aquatiques. Ce remuement dans les roseaux. Ces clapotis brusques qui retentissent et se répercutent dans le silence… Tu sens l’autre vie ; celle que la nôtre nous fait oublier : les insectes, les batraciens, les poissons… Le grouillement formidable dans l’eau et dans la terre, partout. Des trucs insoupçonnés, et qui nous existent sous les pieds. D’autres qui titubent dans l’air nocturne, en laissant comme des traînées phosphorescentes. Tu écoutes, et tu te sens seul d’être un homme. Tu te sens con de ta bagnole, de ton aéroport Charles De Gaulle, de ton téléviseur, de tes ris-de-veau-petit-clamard. Ce fourmillement, et puis la voie lactée… Et toi, faux malin peaumé dans son intelligence, séparé du reste par elle.

Je mate l’herbe meurtrie par les roues. Elles ont dû patiner. Elle aura démarré en seconde, la pauvrette. Pour que son rush soit plus violent, le plongeon plus irrémédiable…

Et puis voilà.

La noyade la fascinait, aux dires de son sale melon. Elle assurait que si un jour… En disant cela, ne le pressentait-elle point, ce jour ? Ce que nous envisageons de notre futur n’est-il pas déjà une prise de position de celui-ci en nous ? Une manière qu’il a de nous investir d’avance pour, plus sûrement, s’accomplir ? Charogne.

Je suis venu à pied, depuis le bourg, ayant laissé ma Mercédès devant la boîte à lettres. Besoin de marcher en évoquant Mme X… Besoin de…

« Mets ton doigt où j’ai mon doigt », m’ordonnait mon camarade Culaille, l’autre jour, pour me faire palper, à travers sa viande, l’étourderie de son chirurgien.

Là, j’ai eu besoin de mettre mes pieds où elle a mis ses pneus. De suivre les derniers mètres de sa vie, comme on suit un corbillard.

Je me laisse tomber dans l’herbe trempée de rosée. Le ciel infini se permet des petits flocons de nuages, de-ci de-là. Presque rien, des déchets de temps qui passe…

Tout soudain, je perçois un double bruit de pas sur le chemin caillouteux. Des rires. Des baisers…

À cause des joncs, les arrivants ne doivent pas me voir. Ils s’arrêtent à quelques mètres seulement de moi.

Une voix niaise et femelle fait comme ça :

— Alors c’est là ?

Une voix conne et masculine répond :

— Ouais, c’est là.

— Et tu l’as vu se fout’ à l’eau, Milou ?

— Non, j’ lai pas vue, mais vu quand c’est qu’elle est arrivée.

— Qu’est-ce elle a fait ?

— Si tu crois que j’ vais m’amuser à bavasser, tu te goures, la mère.

— T’as pas confiance à moi ?

— J’ai confiance à personne. Quand je me suis fais gauler la fois que j’avais piqué la bagnole du pharmacien, c’t’ à cause de cette salope de Lucienne, non ? Elle avait pourtant juré ses grands Dieux de la boucler.

— J’sus pas Lucienne, Milou !

— T’es pas Lucienne, mais t’es une gonzesse, rien qu’une gonzesse, rétorque d’une voix riche de sous-entendus ce mysogyne convaincu.

À ce moment-là, le tendre San-Antonio décide d’intervenir, tout en remerciant le ciel et sa périphérie de lui avoir insufflé l’idée pourtant saugrenue d’allonger son spleen dans la rosée.

Il se dresse, beau-Sana, comme la statue du Commandeur.

— Salut, les amoureux ! lancé-je affablement (on m’appelle l’affable de la fontaine).

Le couple fait comme le cheval du père Hugo : un écart en arrière. La fille : un boudin de campagne, fagoté d’une robe mini que tout un chacun doit relever à sa guise, pousse un cri de basse-cour effrayée. Le garçon est un petit fripon malingre, loqué d’un bloudgine savamment élimé et d’un blouson de cuir râpé qui doit avoir été porté par douze générations de vauriens. Il est frisotté haut, avec une tignasse qui lui dégouline sur les épaules. De nos jours, les jeunes gens ressemblent à des jeunes filles travesties en Louis Quatorze. Moi, je m’en branle, l’essentiel est qu’ils soient heureux et qu’ils se croient beaux.

La pleine lune me permet de croiser son regard noir, à la fois anxieux et belliqueux. Y’a comme des relents de roulottes autour de ce petit jules.

— Milou, dis-je, je t’approuve pleinement, ce que tu sais, il ne faut pas en parler aux filles, mais aux bonshommes. Alors on va causer tandis que miss Yonne va regagner le domicile paternel.

Parler dissipe la peur. Ce qu’il y a de plus effrayant, chez les bourreaux, c’est qu’ils se taisent. On les comprend, les pauvres biquets, que voudrais-tu qu’ils te disent pendant qu’ils t’émondent la limouille avant de te sectionner le cigare ? Causer de quoi ? Du temps ? De la politique extérieure ?

Le naturel du Milou, un court instant pris au dépourvu, repart au petit trot. Le v’là qui se met à rouler des bielles et à se composer un bath rictus pour série B italienne.

— Dites, qu’est-ce y vous prend ? me demande-t-il avec des crachats en rassemblement dans la gargante.

— Police !

Tu crois que ça la lui coupe ? Au contraire, il devient caracoleur, ce Nestor. On dirait même que ma profession le rassure.

— Et alors, j’en ai quoi à branler ? demande-t-il en prenant une posture avantageuse, style : les grands conquérants de l’Ouest.

Nous autres, flics, on n’est pas tellement pourvus en dons naturels. Toutefois il en est un qu’on ne peut nous contester, c’est celui de la baffe. Une vraie tarte de poulet, espère, c’est quelque chose de particulier, de grand, d’inimitable. Ça part vite, de loin, avec un maximum de force. Tout le corps entre dans le circuit. Y’a une rotation du buste. Un emmagasinement spontané des muscles. Une puissante décharge d’adrénaline car si la médulo-surrénale participe pas pleinement, ça reste de la demi-porcif, de la tartelette de pâtissier.

Moi, bourdille en plein, enrogné, je lui allonge ma gifle d’apparat, v’zaffff !

La brusquerie est aussi importante que la violence. Faut les deux pour réussir son effet. Dans ce cas précis, je mérite d’emblée la note maximale. Tu verrais cette giroflée à cinq feuilles ! Le camarade Milou, ça le décolle du sol. J’y jure ! Il est soulevé de dix centimètres, sa tronche fait un angle de quarante-cinq degrés, et il tombe assis sur le chemin, l’air pensif. Une fluxion se développe à toute vibure sur sa joue gauche.

Je me tourne vers la souris.

— Allez, Olida, emmène promener tes fesses ailleurs, ton beau regard de génisse brouille mes idées…

Elle part en trottinant, comme une jument dételée qui regagne son écurie.

Ensuite de quoi, tu vas dire que ça tourne marotte, je m’assois par terre près de Milou, en tailleur. On dirait deux gentils scouts autour d’un feu de cons.

— Dis, gamin, on ne va pas se massacrer comme deux branques, hein ? je lui susurre.

Cet aimable pluriel le déconcerte.

Il dodeline, crache.

Pas de mépris, oh que non.

Du sang ! Il crache du sang issu (sans sangsue) de sa gencive éclatée.

Remarque, c’est gentil de ma part, non, de lui parler ainsi, comme si « on » se battait, alors que « je » le bats. Ça nivelle les orgueils, tu comprends ? Faut se mettre à portée, toujours, jamais endolorir trop longtemps l’honneur d’un homme.