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— Entrez, Hugo ! invité-je.

Au lieu d’obéir, il redemande :

— Quoi ?

— Monsieur est de la police, jette son frelot, puisant quelque réconfort dans l’emmerdement qu’il transmet à son frangin.

Hugo réagit spontanément :

— Et moi qui vous ai traité de flic !

— Aucune importance. Il n’y a pas de mal à traiter un maçon de maçon !

Je sors leur carte et leur explique où je l’ai dénichée. En fait, c’est uniquement parce qu’elle était soigneusement cachée que j’ai eu l’idée de leur rendre visite.

Ils secouent la tête en chœur. Me réaffirment avec force qu’ils ne connaissent les « X » que pour les avoir vus aux actualités ou dans la presse.

Échec, donc. Tout de même, sur le plan humain, je n’ai pas perdu mon temps…

Pinuche m’attend dans la voiture. Il me regarde arriver en pointant sur moi un regard intense. Il ressemble à un chat qui se grillerait les roustons en faisant dans la braise. Je suis frappé par la fixité de ses yeux.

— Ben, t’en fais, une bouille, vieille fripe, gouaillé-je en ouvrant la portière.

J’aurais dû piger qu’il s’agissait de quelque chose de sérieux.

— Montez et ne jouez pas au con ! m’intime une voix dont le calme est impressionnant.

J’aperçois, blotti dans un angle mort de mon carrosse, un monsieur portant un pardingue en vigogne, un chapeau roulé, véry sélect et de grosses lunettes noires. Il tient un feu braqué sur moi. Le renflement du silencieux fait ressembler l’arme à une lampe à souder. En fait, il s’agirait plutôt d’une lampe à dessouder, non ?

— Installez-vous et démarrez ! Mais je vous préviens : pas de zèle, surtout ! Je ne le tolérerais pas. D’ailleurs, si vous jetez un œil derrière, vous apercevrez une grosse Jaguar noire bourrée de messieurs. Il serait idiot pour tout le monde que vous entrepreniez une action intrépide.

Je me place derrière mon volant comme si de rien n’était.

— Direction ? je demande avec un flegme qui ferait chialer d’envie un colonel britannique.

— Porte d’Italie !

CHAPITRE IV

DANS LEQUEL LES FAITS TROUBLANTS SONT DE PLUS EN PLUS TROUBLANTS

Tout en pilotant mon cabriolet, avec la maestria que tu te doutes, je me tiens le raisonnement suivant : « Mon San-A. joli, me dis-je familièrement, mais avec pertinence, quand on va savoir dans le landerneau que deux policiers se sont laissé kidnapper en plein Paname comme deux rosières bretonnes, par un seul mec, les petits camarades de la maison Poupoule vont tellement se marrer qu’ils en feront péter leurs falzuches, si bien que la police française ressemblera à une horde de sans-culottes.

Moi, tu me connais ? Je tiens infiniment à ma peau, certes, mais presque tout autant à mon honneur. Aussi, excuse-moi de te le dire de bouton blanc (ou de butin blanc, si tu préfères), dans un laps de temps qu’on pourrait qualifier de séance-tenante, prends-je la ferme résolution d’enchetiber le monsieur au lardeusse de vigogne en moins de temps qu’il n’en faut à un contractuel pour comprendre la blague d’un gardien de la paix.

Examinons la situation.

Elle n’est que sérieuse. Critique ? Que nenni ! l’homme au soufflant est installé à l’arrière de ma pompe et pour sortir d’un cabriolet, il faut que les occupants de l’avant cèdent la place. Certes une Jag bourrée de malfrats nous file, mais je te parie ce que tu voudras contre ce que je ne voudrai plus que je la sèmerai quand bon me semblera.

C’est en traversant le pont de la Tournelle que l’homme me dit ces paroles qui pourraient laisser croire à la télépathie :

— Le canon de mon feu est braqué sur la nuque de votre vieux teckel, à la moindre fausse note, je lui déboutonne le cervelet, n’oubliez pas !

Mon éclat de rire confond notre agresseur.

— Ça vous amuse ? grince l’inquiétant personnage.

— L’expression teckel pour qualifier mon collègue, expliqué-je : c’est vrai que si tu marchais à quatre pattes, tu ressemblerais à un basset, César !

La Vieillerie renfrogne.

— Charmant. Toi, au moins, tu prends bien les choses…

— Pourquoi diantre les prendrais-je mal ? Dans la grisaille de l’existence, l’aventure, d’où qu’elle vienne, est la bienvenue. Un policier sans aventures n’est plus qu’un fonctionnaire qui croûtonne.

Le feu est au rouge à l’autre bout du bridge, côté Tour d’Argent. Une file de chiottes attend pour passer qu’un flot grondant cesse de déferler sur le quai. Nous ne sommes qu’à quelques centaines de mètres de la Tour Pointue. Si je prends à droite, j’y suis en quelques minutes malgré la circulation. Seulement, si je prends à droite, mon ami, je moule la direction Porte d’Italie.

Une idée me vient, ravissantissime.

J’ai un embrayage au plancher. En passant ma vitesse, je touche avec insistance le genou de Pinuche. C’est sec, cagneux, en os. Baderne-baderne, alerté, m’examine du coin de l’œil. Comment lui faire comprendre muettement ce que j’attends de lui ?

Je pianote mon volant en attendant la décarrade. Ses chasses mités se posent sur mes mains. Alors j’écarte imperceptiblement celles-ci de la direction. Quelques millimètres à peine.

Le feu passe au vert, la caravane tuturière s’ébranle. Je relâche progressivement ma pédale d’embrayage. Ma tire commence à se mouvoir. Mais je n’ai toujours pas remis mes mains sur le cercle du volant. Je passe mon pouce droit, entre mon index et mon médius, exécutant ainsi un geste obcène, familier aux collégiens. Le vioque se racle le gosier pour m’indiquer qu’il me file le train. Il ne sait pas encore trop bien où je veux en venir, mais il est prêt. Mon cabriolet roule plus vite, nous voici au milieu du carrefour. Je risque mon coup d’éclat. Avec une promptitude de serpent, j’opère une volte-face. Mes deux mains partent à l’arrière et empoignent le poignet de l’homme. De toutes mes forces, je l’abaisse. Un « pchtiouff » sourd, suivi d’une odeur de poudre, m’apprend qu’il a lâché une praline. Il essaie de se dégager en tirant de toutes ses forces. Mais je tiens bon. Pinuche, qui a enfin pigé, s’est emparé du volant.

— À la caserne ! gueulé-je.

Il braque tout à droite. Des lamentos de freins surmenés ponctuent sa manœuvre. On se fait incendier par les autres tomobilisses. J’appuie sur l’accélérateur, ma pompe décrit une embardée, louvoie un instant. La Jag nous suit-elle ? M’étonnerait. Elle se trouvait à notre gauche, je ne pense pas qu’elle ait pu obéir à cette manœuvre fulgurante, les autres voitures qui nous suivaient lui auront interdit un braquage à la désespérée.

L’énergumère s’agite comme un beau diable. Tout en tirant sur sa main droite, il me martèle la tronche de sa gauche restée libre. Et il n’a pas du jus de chique dans les biscotos, espère. Je commence à dénombrer des étoiles, moi. Y’a toute une constellation en formation sous mon dôme. Des bleues, bien vives, qui tremblotent comme pour une nuit de Noël. Va falloir que j’abandonne l’accélérateur. Tu connais la truite, toi ? Pas celle de Schubert, la vraie, celle qui remonte la cascade d’une détente ? Je bondis de mon siège, tête première. Mon ogive percute celle du méchant. Si je t’affirmais que j’entends le bruit de notre impact, tu me croirais ? Eh ben t’aurais tort. Ce fracas qui m’ébranle tout le système crânien, c’est plus du bruit, c’est de la désintégration. Un bradzoum monstre ! Ça me fait mal jusque dans les épaules. Harassé, je pends au-dessus de ma banquette comme le gendarme bastonné par Guignol pend en direction du public.

Privé de jus, la bagnole stoppe. Pinuche a eu la présence d’esprit de tout braquer à droite, si bien qu’on est au ras du trottoir.